Sommet européen : A Bruxelles, le président ukrainien Volodymyr Zelensky est déjà comme chez lui (ou presque)
Volodymyr Zelensky a été reçu comme un héros au Parlement européen avant de prendre part au sommet des chefs d’État et de gouvernement. Il a demandé aux Européens d’accroître le soutien militaire à son pays. Et dit espérer l’ouverture des négociations d’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne à la fin de cette année.
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Publié le 09-02-2023 à 21h27 - Mis à jour le 10-02-2023 à 10h02
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Il est là. Smartphone en main, prêt à immortaliser le moment, certains eurodéputés s’étaient même plantés à l’entrée de l’hémicycle du Parlement européen, à Bruxelles, pour le voir de plus près. D’autres, debout devant leur siège, arboraient fièrement une tenue aux couleurs, jaune et bleu, du drapeau ukrainien ou, au moins, une petite broche attachée à leur veston. Comme si chacun cherchait le meilleur moyen d’offrir à l’invité d’honneur un accueil prestigieux et ainsi d’écrire une page d’histoire à l’occasion de cette séance solennelle du Parlement européen.
Vers 10h30, le président ukrainien Volodymyr Zelensky, visage grave, tête haute, tenue “de combat” sobre et sombre, à l’image des moments que traverse son peuple, fait son apparition aux côtés de la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola. Sa seule présence lui vaut un tonnerre d’applaudissements, ponctué de plusieurs “Bravo !” lancés par les élus les plus émus. Roberta Metsola elle-même affiche sa “fierté” de recevoir celui dont “leadership a inspiré” autant les Ukrainiens, que les citoyens de “tous les coins du monde”, avant de lui céder la parole.
Accompagné sur l’estrade du Parlement européen par une nouvelle salve d’applaudissements, le chef de guerre entame son discours sans détour. “Slava Ukraini !” (Gloire à l’Ukraine), lance-t-il. “Heroyam Slava !” (Gloire aux héros), lui répondent en chœur les dizaines de visiteurs ukrainiens présents dans l’hémicycle.

Avec le talent de communicateur qu’on lui connaît, Volodymyr Zelensky a taillé son intervention sur mesure. Ce n’est pas ici qu’il s’étendra sur les besoins militaires de l’Ukraine, sujet qu’il abordera plutôt avec les chefs d’État et de gouvernement européens qui l’attendent, dans le bâtiment Europa, à un jet de pierre de là. Dans l’enceinte de la démocratie européenne, il préfère parler aux citoyens européens, aux “parlementaires, fonctionnaires, journalistes, policiers, militaires, diplomates, professeurs, enseignants, scientifiques, médecins, chauffeurs, agriculteurs, industriels, patrons, employés, salariés, syndicalistes, acteurs, producteurs, juristes, défenseurs des droits de l’homme”…
Car “tout le monde a un rôle à jouer” pour une “victoire commune” face à la Russie. Face aux “forces les plus antieuropéennes au monde”, qui cherchent à “annihiler la vie humaine”, ainsi que tout ce que l’Union européenne représente : l’ouverture, l’égalité, les frontières inviolables, mais qu’on peut franchir librement, la liberté de manifester ou la démocratie. Si l’Ukraine tombe, “c’est votre mode de vie qui disparaît”, avertit M. Zelensky. “Nous nous défendons, nous vous défendons”, complète-t-il, assurant que l’Ukraine sera “victorieuse”. Et qu’elle “sera membre de l’Union européenne”, lance-t-il au parterre d’eurodéputés pour la plupart acquis à cette cause.
Hymne ukrainien et larmes d’émotion
Ce jeudi, c’est d’ailleurs un peu comme si l’Ukraine faisait déjà partie de la famille. Du moins dans le symbole et les paroles, puisque le parcours pour rejoindre l’UE sera long et difficile, qui plus est pour un pays en guerre. Dans la matinée, après avoir accueilli le dirigeant ukrainien sur le tarmac de l’aéroport à Bruxelles, Charles Michel, président du Conseil européen, lui avait souhaité dans un tweet, la “bienvenue dans l’Union européenne !” – ce, même si concrètement, Volodymyr Zelensky atterrissait de Paris, où il avait dîné la veille avec le président français Emmanuel Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz.
La présidente du Parlement européen a, elle, décidé de faire jouer en session plénière l’hymne de l’Ukraine – plus personne ne se rappelle la dernière fois qu’un pays tiers a été honoré de la sorte – avant d’enchaîner avec l’Ode à la joie, l’hymne européen. La solennité de l’instant arrache des larmes sur les travées, notamment à la Lettonne Sandra Kalniete, qui a vu son pays vivre sous le joug de l’URSS et ses parents déportés en Sibérie. Sourcils froncés et regard humide, le président ukrainien lui-même peine à cacher son émotion. “Pour créer ce genre de moments, il n’y a que le Parlement européen”, constatait une source de l’institution dans l’après-midi, pour expliquer pourquoi Volodymyr Zelensky a tenu à s’y rendre, avant de rejoindre les dirigeants européens.
”Un sommet exceptionnel”
Pendant que l’Ukrainien mène une opération de charme au Parlement européen, les chefs d’État et de gouvernement des Vingt-sept commencent à arriver au bâtiment Europa où se tient un sommet européen extraordinaire. “Exceptionnel” même, enchérit Charles Michel, puisque le président ukrainien, invité virtuel régulier des réunions du Conseil européen depuis un an, y participe pour la première fois physiquement. Le Belge avait lancé en décembre une invitation ouverte à l’Ukrainien, puis répété sa proposition lors de sa visite à Kiev, le 27 janvier dernier. Volodymyr Zelensky, qui n’était sorti qu’une fois de son pays depuis le début de la guerre, pour se rendre aux États-Unis a finalement indiqué, vendredi dernier, qu’il acceptait l’invitation.
Le président lituanien Gitanas Nauseda s’en félicite. “Une rencontre en face-à-face est plus importante que dix réunions en ligne. Parce que vous percevez les réactions, l’implication, la confiance en soi de Zelensky, et c’est inspirant”. Le Premier ministre belge Alexander de Croo rappelle, comme d’autres le feront, qu’il y a près d’un an, le 24 février, Volodymyr Zelensky s’était adressé à eux par écran interposé, après le déclenchement de l’invasion russe, en leur disant que c’était peut-être la dernière fois qu’il leur parlait. “Et regardez où on est aujourd’hui”. Giorgia Meloni ne peut s’empêcher, elle, de faire entendre une note grinçante. La présidente du Conseil italien n’a pas digéré l’invitation “inopportune” lancée la veille à M.Zelensky de se rendre à Paris, estimant qu’Emmanuel Macron et Olaf Scholz ont brisé l’unité européenne – Giorgia Meloni est surtout vexée de pas avoir été conviée.
Qui a des avions pour l’Ukraine ?
Avant même la réunion, il est évident que le président ukrainien répétera aux Vingt-sept ses arguments en faveur de la livraison d’armes – même si un Conseil européen n’est pas le lieu pour obtenir ce type d’engagement. Plusieurs leaders européens appuient par avance son propos. “Nous devons tous regarder dans nos entrepôts ce que nous avons, mais nous devons en faire plus. Nous devons donner un signal clair à l’industrie européenne de produire plus”, insiste la Première ministre estonienne Kaja Kallas. Plus tôt dans la journée, Roberta Metsola avait dit que “la fourniture d’avions de chasse doit être envisagée”.
Aider l’Ukraine jusqu’à la victoire, oui, mais “il faut regarder ce qui est livrable à court terme”, tempère Emmanuel Marcon. En tout cas, la Belgique n’enverra pas d’avions de combats à l’Ukraine, prévient Alexander De Croo, pour la simple et bonne raison que “nous en avons besoin”, pour défendre l’espace aérien de la Belgique, des Pays-Bas, mais aussi en tant que membre de l’Otan, dans les pays baltes. “On ne peut pas les céder”. Le Premier ministre bulgare en affaire courante Rumen Radev juge pour sa part que livrer des armes à l’Ukraine équivaudrait à “jeter de l’huile sur le feu”. Et d’appeler l’Europe de s’engager sur la voie diplomatique pour mettre un terme au conflit. Son homologue portugais Pedro Costa rappelle la ligne européenne : “Seule l’Ukraine peut définir les conditions de la paix”.
Remerciements et demandes
La patience de Charles Michel, qui guette l’arrivée son hôte, est récompensée vers 12h30. Il le guide sur le tapis rouge jusqu’à l’estrade où l’attendent les chefs des Vingt-sept. Volodymyr Zelensky est accueilli par les applaudissements (encore) des leaders européens auquel ne se joint pas Viktor Orban, très occupé à regarder ses chaussures. Même s’il suit le mouvement européen, le Hongrois continue de cultiver une attitude ambiguë vis-à-vis de la Russie. L’Ukrainien est invité à poser pour la photo de famille au milieu des leaders européens, entre Charles Michel et le Chypriote Anastasiades (et devant le Hongrois boudeur), comme s’il était l’un des leurs. Dans la salle de réunion, on se précipite vers l’invité pour le saluer, chaleureusement, très chaleureusement (ou pas du tout, comme Viktor Orban) sans oublier de prendre la pose pour la photo.
Charles Michel ouvre la réunion par des mots d’introduction fervents. Volodymyr Zelensky fait ensuite en ukrainien une allocution dizaine de minutes – retransmise en direct, fait rarissime pour une intervention à la table du Conseil européen. Il remercie “personnellement” les Vingt-sept “de leur soutien sans faille à son pays” et à l’aspiration des Ukrainiens “de vivre dans une union unie et libre. Pour nous, cela veut vraiment dire quelque chose”. Aux dirigeants européens, il répète ce qu’il a dit un peu plus tôt au Parlement européen : en luttant contre l’invasion Russe, l’Ukraine “défend notre maison européenne”. Le président ukrainien établit de ce qui est nécessaire pour son pays afin de mener cette mission à bien : “Nous avons besoin d’artillerie, de munitions, de missiles à longue portée, d’avions de chasse modernes. Nous devons aller plus vite que notre agresseur, qui est en train de se mobiliser davantage”.
Une fois la caméra coupée, quelques leaders sont invités à prendre la parole : le Suédois Kristersson, le Lituanien Nauseda, l’Espagnol Sanchez le Luxembourgeois Bettel, le Slovaque Heger, le Polonais Morwawiecki et le Néerlandais Rutte. Lequel, rapporte-t-on, remercie Volodymyr Zelensky “d’avoir rendu l’Europe plus forte”. Le leader ukrainien reprend la parole dans son anglais rocailleux, cette fois. Il plaide notamment pour que l’Union sanctionne Rosatom, l’agence russe de l’énergie atomique, dont les experts s’activent à “débrancher” la centrale nucléaire de Zaporijia, privant des millions d’électricité.
Plus que ces requêtes, ce qui importe, dans la présence de M. Zelensky à Bruxelles “c’est l’impact qu’il a sur les chefs et sur l’opinion publique. Il est très charismatique, très fort en termes de communication et très fort politiquement”, souligne un insider.
“L’ouverture des négociations en 2023, Charles”
On a encore l’occasion de s’en rendre compte lors de la conférence de presse donnée en milieu d’après-midi en compagnie de Charles Michel et de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Le Belge s’exprime comme s’il était en meeting électoral, accentuant chaque fin de phrase. “Nous mesurons que les prochaines semaines et mois seront décisifs”, déclare-t-il afin de rassurer Volodymyr Zelensky qui redoute une offensive majeure imminente de la Russie. “Nous sommes absolument déterminés”, poursuit Charles Michel, promettant un “soutien militaire maximal” mais en se gardant de parler d’avions de chasse.
Le président du Conseil européen peut plus facilement s’avancer sur le terrain du soutien politique à l’Ukraine, en s’engageant à mettre “cette année” sur la table l’ouverture des négociations d’adhésion à l’Union européenne. De l’avis général, Kiev impressionne par la façon dont il entreprend, en temps de guerre, des réformes pour répondre aux sept conditions préalables à l’ouverture des négociations. “Nous voulons que ce soit cette année”, insiste l’Ukrainien. “Quand je dis cette année, Charles, je veux bien dire, cette année 2023”, enchaîne le président ukrainien, malicieux, retrouvant ses réflexes de comédien, pour un des seuls moments de la journée où il se permet d’user de l’humour.
“Je n’ai pas le droit de rentrer à la maison sans résultat”
Car pour Volodymyr Zelensky, l’enjeu de ce déplacement à Bruxelles était presque une question de vie ou de mort. Les Ukrainiens sont fatigués, las, comme il l’a lui-même avoué, alors que la Russie intensifie la pression sur le terrain de combat. “Je n’ai pas le droit de rentrer à la maison sans résultat”, résume-t-il. “Je le dis sans émotion. Car les émotions m’ont quitté le 24 février dernier. Pour survivre, nous avons besoin d’armes. S’il vous plaît, essayez de nous fournir ce soutien aussi vite que possible. Nous avons reçu des signaux positifs. Et je souhaite que ces signaux deviennent des messages concrets. Des messages que la Russie entendra aussi.”
Charles Michel a conçu la suite de la journée de façon que chacun des dirigeants européens – sauf MM. Macron et Olaf Scholz, qui ont eu leur tour la veille – ait un contact plus étroit avec Volodymyr Zelensky en petits groupes d’une demi-douzaine de pays. Alexander De Croo se retrouve avec ses pairs portugais, maltais, irlandais, luxembourgeois et lituanien. Il est question durant la discussion d’une heure quart de soutien militaire, de la nécessité de contrer le discours sur le conflit que diffuse la Russie dans le monde en particulier en Afrique, d’une méthode pour priver Moscou des bénéfices du commerce de diamants (sans pénaliser la Belgique), du processus d’adhésion…
Il est 18h30 quand Volodymyr Zelensky met un terme à son marathon européen, pour honorer l’invitation du roi Philippe, pendant que les Vingt-sept continuent de débattre du soutien à Kiev, de la façon de faire fructifier les avoirs russes gelés pour financer la reconstruction de l’Ukraine, et créer les conditions pour que les responsables russes soient punis. En gardant imprimés à l’esprit les mots et la conviction du président ukrainien, venu leur demander, de vive voix, de poursuivre et même d’accentuer l’effort.