En France, les médecins généralistes à nouveau en grève : “Comment voulez-vous que des jeunes aient envie de travailler dans ces conditions ?"
Ils s'estiment incompris et mis sous pression par le gouvernement.
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- Publié le 14-02-2023 à 10h56
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Si les Français ont la fâcheuse réputation d’être friands de grèves, les médecins, eux, n’en ont guère l’habitude. “En vingt-cinq ans de carrière, c’est mon deuxième jour de grève”, confie le docteur Williams Fraissinet, médecin généraliste, responsable de SOS Médecins à Montpellier et élu au Syndicat des médecins libéraux, qui nous reçoit, dépité. Ce mardi 14 février, lui et ses confrères sont à nouveau appelés à une journée de mobilisation, après celles du mois de décembre, à l’occasion du premier jour d’examen de la proposition de loi Rist au Sénat. À travers ce mouvement, inédit depuis vingt ans, les médecins veulent dire leur colère face à certaines mesures “inappropriées” et “déconnectées du terrain” prévues dans la nouvelle convention médicale actuellement en négociation et dans le texte de loi.
”Il y a la souffrance des patients, mais aussi celle des médecins, que certains ont du mal à comprendre, nous explique le docteur Fraissinet. D’un côté, on a une hausse de la demande des patients, avec en toile de fond un vieillissement de la population et une multiplication des pathologies chroniques. De l’autre, on a une baisse continue des moyens alloués à leur prise en charge. On travaille de plus en plus sous pression, dans le stress, avec une salle d’attente où l’agressivité est de plus en plus forte”, soupire-t-il. À tel point que l’antenne locale de SOS Médecins qu’il dirige a dû recruter un vigile, présent tous les soirs de 20h à minuit, pour tenter d’apaiser les tensions entre les malades qui s’agglutinent à la tombée de la nuit, sans rendez-vous.
1,50 € d’augmentation en 5 ans
Les praticiens en grève dans toute la France réclament notamment un doublement du tarif de la consultation de base. En 2017, il avait augmenté de 2 euros, à 25 euros, mais n’a pas été revu à la hausse depuis. “La moyenne européenne d’une consultation est à 46 euros”, argue le collectif Médecins pour demain, né en septembre 2022 sur les réseaux sociaux. Las, l’Assurance maladie ne leur propose qu’une hausse de… 1,50 euro pour les cinq années à venir. “Mépris”, “provocation”, “humiliation”, lui ont aussitôt répondu les principaux intéressés. D’après les syndicats, une vraie revalorisation du tarif de la consultation de base permettrait aux médecins d’embaucher du personnel (secrétaires, assistants médicaux) pour les soulager des tâches administratives et donc libérer du temps médical utile. “Après deux ou trois jours ici à SOS Médecins, j’ai une journée de papiers à remplir. Je consacre, disons, deux fois plus de temps qu’avant à la paperasse”, témoigne le docteur Fraissinet. D’après lui, une revalorisation permettrait aussi de “rendre le métier de médecin libéral plus attractif aux yeux des jeunes médecins”, davantage tentés par le salariat dans une clinique. “Comment voulez-vous que des jeunes aient envie de travailler dans ces conditions ?” interroge le médecin. L’enjeu est pourtant de taille : 6 500 généralistes, âgés de plus de 65 ans, doivent prochainement partir à la retraite et 1,7 million de Français vivent déjà dans des déserts médicaux.
Parmi les autres mesures envisagées par le gouvernement qui suscite la bronca des professionnels, le “contrat d’engagement territorial”, censé réduire les difficultés d’accès aux soins, un thème cher à Emmanuel Macron. Concrètement, chaque généraliste ou spécialiste qui le souhaite pourrait prétendre à un niveau de rémunération supérieur à condition de signer ledit contrat, impliquant qu’il prenne en charge plus de nouveaux patients en ALD (affection longue durée), assure trois gardes par trimestre et ouvre son cabinet certains samedis. ” Cet argument qui consiste à nous dire que si l’on veut gagner plus, il faut travailler plus, n’est pas entendable. Dans mon équipe, certains font déjà plus de vingt gardes de douze heures par mois !” s’insurge le docteur Fraissinet.
"Perte de chance pour le patient”
Enfin l’idée, contenue dans la proposition de loi Rist, de permettre un accès direct des patients à certains professionnels de santé (infirmiers, kinés, orthophonistes) sans passer par leur médecin traitant, tout en étant remboursés, ne passe pas, elle non plus, chez les médecins en grève. “Si quelqu’un ressent une douleur dorsale, il peut être tenté d’aller voir un kiné alors qu’il peut tout à fait souffrir d’une rupture de l’aorte. Si nous, médecins, faisons dix ans d’étude, c’est bien pour cela : poser un diagnostic et orienter si besoin vers le bon soignant. L’accès direct peut entraîner une perte de chance pour le patient”, assure notre généraliste.
À ses yeux, l’heure est grave et les besoins de réforme immenses. “La médecine française, autrefois l’une des meilleurs du monde, est en arrêt cardiaque. Il faudrait masser mais les autorités hésitent. Je pense qu’elle est sur le point de mourir, au profit d’une médecine à l’anglo-saxonne, à deux vitesses”, lâche-t-il, en rappelant que l’hôpital, lui aussi, est au bord de la rupture.