Les Vingt-sept font un pas pour “bâtir la défense européenne” et entament un “update géopolitique” de leurs politiques communes
L’agenda était chargé, pourtant les chefs d’État et de gouvernement européens, réunis jeudi à Bruxelles, ont terminé leurs discussions plus tôt que de coutume. C’était un sommet à la fois “consensuel” et “important”, a résumé Alexander De Croo, Premier ministre belge.
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Publié le 23-03-2023 à 00h42 - Mis à jour le 24-03-2023 à 09h13
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L’agenda était chargé, pourtant les chefs d’État et de gouvernement européens, réunis jeudi à Bruxelles, ont terminé leurs discussions plus tôt que de coutume. En quelques heures, les déclarations communes sur la guerre en Ukraine, la compétitivité, l’énergie et la migration ont été adoptées, avant que la fin de la réunion soit annoncée peu après 21h, un timing inhabituel, les débats ayant tendance à se poursuivre dans la nuit. C’était un sommet à la fois “consensuel” et “important”, a résumé Alexander De Croo, Premier ministre belge.
L’enjeu majeur ce rendez-vous était après tout la validation du plan d’achat commun de munitions, qui doit permettre d’accélérer la livraison d’obus à l’Ukraine (1 million en douze mois) et le rythme de production de l’industrie de défense européenne. Négocié en quelques semaines à peine, ce projet inédit avait été déjà validé lundi par les ministres des Affaires étrangères, de sorte qu’il ne restait plus aux dirigeants qu’à donner leur bénédiction.
Ce qu’ils ont fait, sans hésiter. Surtout après avoir écouté parler Volodymyr Zelensky, intervenu par vidéoconférence. Le président ukrainien voyageait dans un train, la connexion était instable. Mais l’émotion du chef de guerre était palpable. Après s’être rendu à Bahkmout, il était jeudi en déplacement dans la région de Kherson, quotidiennement bombardée par la Russie. “Il était marqué par la situation dramatique sur le terrain”, confie un insider. Outre des obus, M. Zelensky a demandé aux Européens des missiles à longue portée et des avions de chasse modernes – que les Occidentaux ont rechigné jusqu’ici à livrer.
En matinée, Antonio Guterres, secrétaire général de l’Onu, avait, lui, peint un sombre tableau de l’impact mondial de la guerre en Ukraine sur prix de l’énergie ou l’insécurité alimentaire. De quoi renforcer le sentiment d’urgence des Européens pour aider l’Ukraine à gagner.
Cette semaine, l’UE a déboursé une nouvelle enveloppe de prêts à l’Ukraine de 1,5 milliard d’euros. La présidente de la Commission européenne a par ailleurs haussé le ton sur la question des enfants ukrainiens enlevés et déportés par la Russie vers son territoire. “C’est un rappel horrible des périodes les plus sombres de notre histoire. C’est un crime de guerre”, a déclaré Ursula von der Leyen, annonçant qu’une conférence internationale sera organisée, en coopération avec la Pologne, pour “exercer une pression internationale afin que toutes les mesures possibles soient prises pour retrouver la trace de ces enfants”.
Une direction claire
“L’Europe n’a jamais été aussi claire sur la direction qu’elle veut prendre”, se félicitait un diplomate, soulignant que “vingt-sept pays démocratiques et souverains continuent d’agir de manière décisive et unifiée, sans aucun signe de fatigue”. En ce sens, l’enjeu du plan validé jeudi est aussi à terme “de bâtir une industrie de défense européenne”, a insisté M. De Croo. “C’est un pas supplémentaire, concret” vers cet objectif, a enchéri Charles Michel, président du Conseil européen.
La Commission présentera ainsi une proposition pour accélérer la production de munitions, a annoncé la présidente Ursula von der Leyen. Un soutien financier sera apporté via le budget européen. “Il s’agit de construire, agrandir et réaffecter les installations de fabrication. Et de renforcer l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement en munitions”, a-t-elle expliqué.
Quant à la compétitivité des entreprises et à la politique commerciale de l’UE, basée sur des traités de libre-échange avec des pays partenaires, ce sommet a acté la volonté de “faire un update géopolitique de ce qu’on fait”, a noté M. De Croo, constatant le besoin “d’un peu plus de stratégie et d’un peu moins de naïveté”.
… mais des divergences qui persistent
Cela marque donc le début d’une réflexion qui sera longue et certainement complexe. D’autant que certaines divergences persistent entre les Vingt-sept sur la manière concrète de faire face aux défis mondiaux, tant économiques que climatiques.
Les Européens ont par exemple évité ce jeudi que les discussions dérapent sur la question du nucléaire. Le président français Emmanuel Macron veut défendre l’atome comme une énergie de transition verte, alors que l’Allemagne refuse d’en entendre parler, en faisant une source de fortes tensions au sein du couple franco-allemand. Ce débat n’était pas à l’agenda du sommet, mais a néanmoins été évoqué, indirectement, en lien avec un autre sujet, qui n’était pas, lui non plus, officiellement au menu. A savoir le sort des moteurs thermiques des voitures au sein de l’UE, une question qui embarrasse actuellement Berlin. Si ceux-ci devaient être interdits à partir de 2035, selon un texte clé du plan climat européen, l’Allemagne a dû rétropédaler, en raison du blocage de l’un des membres de la coalition du chancelier Olaf Scholz.
Paris et Berlin pourraient-ils éventuellement négocier un compromis qui les arrange tous les deux ? À savoir, lâcher chacun du lest, tant sur le statut du nucléaire, que sur celui des moteurs thermiques ? Une “analogie” en ce sens a été faite, sans qu’une telle piste soit clairement évoquée. Une réunion bilatérale franco-allemande est prévue vendredi matin.
“Sur le nucléaire, il y a des opinions très prononcées. Des pays qui sont idéologiquement contre et de la même manière certains qui sont très favorables. La Belgique a, elle, une position très pragmatique”, a précisé quant à lui M. De Croo, expliquant qu’il s’agit de prendre en compte les bénéfices de l’atome, tout en pariant sur les technologies du futur, qui devraient produire moins de déchets. Quoi qu’il en soit, sur la lutte contre le changement climatique, l’UE “ne doit pas changer de cap”, a insisté le Premier ministre belge, en référence aux tentations à Berlin, mais aussi à Rome, de pousser à la baisse les ambitions européennes.
Antonio Guterres a même plaidé pour agir davantage, et de manière déterminante, alertant sur le fait que “nous sommes proches du point de basculement” qui rendrait impossible le fait de limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré, un objectif que s’étaient fixé plus de 190 pays en 2015. De manière générale, entre les effets de l’agression russe et ceux de la crise climatique, “plusieurs facteurs créent une situation très dramatique dans les pays en développement : plus de faim, plus de pauvreté, moins d’éducation, moins de services de santé. Et il est clair que notre système financier international n’est pas adapté pour faire face à un défi d’une telle ampleur”, a-t-il mis en garde, disant compter sur l’UE pour répondre aussi à ce défi.