Les Bulgares se rendent encore aux urnes, mais ne voient toujours pas la fin de l'instabilité politique
Des législatives sont organisées ce dimanche, pour la cinquième fois en deux ans.
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Publié le 01-04-2023 à 14h03
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Les Bulgares se rendront aux urnes ce dimanche pour la cinquième fois en deux ans, mais ces élections législatives ne devraient pas modifier substantiellement le paysage politique, dont les clivages persistent et amenuisent l’espoir du pays de renouer avec la stabilité. “Les gens sont épuisés, agacés. Pas seulement parce qu’ils ont voté plusieurs fois, mais parce qu’il y a des vrais problèmes économiques, géopolitiques, politiques à gérer”, constate Boriana Dimitrova, sociologue et directrice de l’institut de sondage Alpha Research.
Pays le plus pauvre de l’Union européenne (PIB par habitant, en 2021), la Bulgarie se confronte à une inflation de 13,7 %, bien supérieure à celle de la Belgique (5,4 %) et à la moyenne européenne (8,5 %). Les prix de l’alimentation y ont même augmenté cette année de 25 % (19,9 % pour la Belgique, 19,5 % pour l’UE). De plus, Sofia a dû reporter d’un an son objectif d’adopter l’euro en janvier 2024, faute d’avoir pu mettre en place toute la législation requise, à cause de l’instabilité politique. Réputée aussi comme le pays le plus corrompu de l’Union, la Bulgarie a été “dépassée” récemment par la Hongrie, mais reste dans le bas du classement de l’Indice de perception de la corruption établi en 2022 par Transparency International.
Par ailleurs, alors que l’agression russe de l’Ukraine se poursuit non loin des frontières bulgares, la population, historiquement attachée à la Russie, reste divisée sur cette question. Une polarisation qui se reflète aussi dans la classe politique et donc dans la position, parfois confuse, du pays face à la guerre et au soutien, notamment militaire, à Kiev.
La Bulgarie a donc besoin d’une direction politique. Mais pour l’heure, la formation d’une majorité semble quasi impossible. Dans les sondages, le GERB de Boïko Borissov, qui fut maître de la politique bulgare pendant plus d’une décennie, se situe au coude à coude avec la coalition pro-européenne, qui regroupe “Nous continuons le changement” (PP) et “Bulgarie démocratique”.
Deux ennemis
Une alliance entre ces ennemis politiques, qui obtiendraient chacun 26 % des voix, est peu probable. Créé en 2021 par Kiril Petkov et Assen Vassilev, deux diplômés de Harvard résolument pro-européens, “Nous continuons le changement” “est entièrement fondé sur le mépris, l’antagonisme envers GERB”, qu’il accuse d’avoir nourri la corruption, note Mme Dimitrova. Si le PP est arrivé en tête des législatives fin 2021, hissant ainsi (brièvement) Kiril Petkov au poste de Premier ministre, c’est notamment en surfant sur le rejet de Boïko Borissov par une partie de la population.
Accepter de gouverner avec ce dernier reviendrait pour le PP à s’allier avec le Diable, alors que le parti axe toujours sa campagne sur la lutte contre la corruption et la justice, grands thèmes électoraux. “Nous continuons le changement” ne devrait pas prendre un tel risque, surtout avant les élections locales prévues à l’automne. “Il y a un vote anti-GERB, mais qui n’est pas assez puissant que pour accoucher d’un gouvernement stable”, observe Mme Dimitrova. Car en face, Boïko Borissov s’accroche, menant une campagne axée sur la critique du PP et du bilan économique de ses six mois au gouvernement. Les prix de l’énergie, l’inflation, l’augmentation du déficit bulgare… tout est imputé à M. Petkov.
Un gouvernement technocrate ?
Quid des autres acteurs politiques ? Trop faibles, aucun ne se profile en véritable faiseur de roi. Allié traditionnel du GERB, le parti de la minorité turque, le Mouvement des droits et libertés, est crédité de 13,3 %. Il se disputera la troisième place avec Renaissance (13 %), parti d’extrême droite, ultranationaliste, prorusse et anti-européen – avec lequel personne ne peut envisager une alliance. On notera par contre la chute vertigineuse du Parti socialiste bulgare (8 %), qui penche aussi du côté prorusse.
Si le sujet de la guerre en Ukraine a décidément compliqué la donne et accentué les divergences dans la classe politique, ce thème est loin d'avoir dominé cette campagne électorale. Il est surtout accaparé par le président Rumen Radev, dont la posture s’est retrouvée renforcée par l’absence de gouvernement.
Vu le blocage qui s’annonce, une des options envisagées est celle d’un gouvernement technocrate, qui serait soutenu politiquement – encore faut-il savoir par qui. Ce “histoire de guider la Bulgarie dans cette période très difficile, après laquelle on organiserait de nouvelles élections”, soupire Mme Dimitrova. Et de pointer “l’égoïsme, l’absence d’audace, de sens des responsabilités des partis bulgares”, qui refusent de mettre la stabilité et l’intérêt du pays au premier plan. Plus que les clivages de la société elle-même, cette attitude représente peut-être le véritable défi de la Bulgarie.