Le parti de Giorgia Meloni cultive l’ambiguïté sur son rapport au fascisme
Pour la première fois, des membres de Fratelli d’Italia, dont la cheffe du gouvernement, participent à la fête de la Libération qui célèbre aussi la fin de l’ère fasciste. Une idéologie dont le parti ne s’est pas clairement distancié.
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- Publié le 24-04-2023 à 19h26
- Mis à jour le 25-04-2023 à 15h42
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J'espère que Giorgia Meloni va profiter de l’occasion pour dire sans ambiguïté et réticence que la droite italienne a réglé ses comptes avec le fascisme, que la liberté et l’égalité sont des valeurs démocratiques, de la Constitution et que ce sont des valeurs antifascistes. Je ne comprends pas cette réticence à prononcer cet adjectif.” Celui qui a prononcé ces mots n’est pourtant pas un homme de gauche, mais Gianfranco Fini, souvent considéré comme le mentor politique de Giorgia Meloni. Ancien président de la Chambre, il a fait évoluer le Mouvement Social Italien, né sur les cendres du fascisme, en un parti d’extrême droite moderne, l'Alliance nationale, et jugé à l'époque suffisamment “fréquentable” par Silvio Berlusconi pour faire part de toutes les coalitions gouvernementales qu'il a dirigées.
C’est sur les résidus de ce petit parti que Giorgia Meloni a fondé en 2012 sa formation, Fratelli d’Italia, passées de 6 à 29 % des voix en quelques années. Selon Gianfranco Fini, l’occasion qui devrait permettre à Giorgia Meloni de lever toute ambiguïté du rapport de son parti au fascisme n’est autre que la fête de la Libération.
Une fête qui divise
En Italie, le 25 avril est une fête nationale aussi importante, si pas plus, que la fête de la République qui se célèbre le 2 juin. Le 25 avril 1945, les partisans italiens repoussaient les soldats nazis et fascistes à Turin et à Milan et appelaient à l’insurrection générale des territoires encore occupés. La date marque symboliquement la fin de la guerre et la chute définitive du régime fasciste, dont le fondateur et Duce, Benito Mussolini, sera assassinée trois jours plus tard.
Chaque année, à l’approche des célébrations du 25 avril, la pression monte. La fête divise le monde politique, la droite accusant la gauche de s’être approprié l’histoire sous prétexte que les résistants italiens appartenaient pour la plupart au Parti communiste. Mais cette année, tous les yeux sont braqués sur les élus de Fratelli d’Italia qui, alors qu’ils n’ont jamais pris part aux festivités seront contraints, pour raisons institutionnelles, d'y participer. En effet, pour la première fois depuis la fin de la guerre, l’Italie a mis au pouvoir le gouvernement le plus à droite depuis l’ère fasciste, un gouvernement qui a bien des difficultés à se distancier de l’histoire la plus sombre du pays.
“Je n’ai jamais eu de sympathie pour les régimes antidémocratiques, fascisme inclus”, a certes déclaré Giorgia Meloni dans son discours d’investiture le 25 octobre dernier. Comme la plupart des membres de son parti, elle a tendance à condamner les “totalitarismes” en général. Beaucoup d’Italiens aimeraient cependant entendre des paroles de rupture nettes et totales avec le passé fasciste du pays, septante-huit ans après la Libération.
Les "colonels" de Fratelli d’Italia envoient des messages
“La parole antifasciste ne se trouve pas dans la Constitution”, a osé dire le cofondateur du parti et actuel Président du Sénat, Ignazio Benito La Russa, connu pour collectionner les bustes de Mussolini. “Non au remplacement ethnique des Italiens par les migrants” , a pour sa part déclaré Francesco Lollobrigida, ministre de l’Agriculture, montrant ainsi au grand jour son ADN d’extrême droite. Depuis les bancs de l'opposition, la nouvelle secrétaire du Parti Elly Schlein a dénoncé "des mots qui nous ramènent aux années 30 du siècle dernier et qui ont un relent de suprémacisme blanc. J'espère que Giorgia Meloni se démarquera de ces déclarations". Même la Lega, partenaire de coalition de Fratelli d'Italia, également situé à l'extrême droite, a dénoncé la forme des propos de M. Lollobrigida, tout en approuvant le fond.
Ces “colonels” de Fratelli d’Italia profitent de l’ambiguïté qu’entretient Giorgia Meloni sur ces questions. Leurs affirmations aux relents d’idéologie post-fasciste provoquent des polémiques médiatiques qui poussent alors leurs auteurs à présenter leurs excuses ensuite, puis à retirer leurs propos. Mais l'effet recherché est atteint : leurs déclarations ont fait mouche auprès de leur électorat nostalgique du fascisme, souvent par ignorance des faits historiques.
Une question de droits et de mémoire
En six mois de pouvoir, Giorgia Meloni a pris soin de rassurer les alliés de l'Italie. La présidente du Conseil des ministres n’a jamais remis en cause l'appartenance du pays à l’Union européenne ni à l’Otan. Son gouvernement tente de jouer les bons élèves sur le plan économique. Loin de la droite sociale dont elle se revendique, Giorgia Meloni tient les cordons de la bourse, et a mis en œuvre une politique qui tolère mal “l’assistanat”. Ce qui fait dire au ministre de l’Agriculture “que les personnes qui touchent l’aide sociale devraient aller travailler dans les champs”, sous-entendant que c’est de leur faute si l’agriculture italienne doit faire appel aux migrants pour ce genre de tâche.
Par petite dose, le gouvernement Meloni diffuse en effet un discours identitaire et souverainiste truffé de positions xénophobes, parfois à la limite du racisme, qui remettent également en cause certains droits civils notamment pour les femmes ou la communauté LGBTQI +. Ces prises de position ultra-conservatrices qui rapprochent l’Italie de la Pologne et de la Hongrie, et tentent de marginaliser la culture antifasciste qui fait pourtant partie intégrante des fondations de la République Italienne.