En Espagne, le "populisme hydrique" menace le parc national de Doñana
En pleine campagne électorale, un projet de loi régionale prétend étendre la surface irrigable dans les environs d’une zone humide classée au patrimoine mondial et menacée par la surexploitation de sa nappe phréatique pour la production de fraises.
Publié le 12-05-2023 à 14h28
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C’est la grande bataille écolo du moment en Espagne. Sauver un trésor de biodiversité du "populisme hydrique" au milieu d’une campagne électorale marquée par une sécheresse historique et des chaleurs anormales.
Le parc national de Doñana, zone humide classée au patrimoine mondial de l’Unesco, est menacé par la surexploitation de la nappe phréatique qui l’alimente. Alors que le gouvernement central cherche à réduire les surfaces agricoles à proximité du parc et la pression qu’elles font peser sur ses ressources en eau, les autorités politiques régionales, en Andalousie, tentent de faire passer une loi destinée à élargir les surfaces irrigables.
Là où le fleuve Guadalquivir se jette dans la mer, au sud du pays, une large zone couverte de marais inondés une partie de l’année et de lagunes peu profondes, colonisée par les flamants roses, abrite un écosystème unique. Doñana a été déclaré parc national en 1969 et classé au patrimoine mondial de l’humanité de l’Unesco en 1994. Mais la zone humide ne cesse de diminuer. Elle a déjà perdu 59 % de ses grandes lagunes et trois de ses lagunes permanentes. L’été dernier, la totalité des points inondés de Doñana se sont asséchés.
Des plans de contrôle jamais appliqués
Les coupables ? Le changement climatique, et la surexploitation des ressources hydriques qui nourrissent cet écosystème. En particulier pour la culture de fruits rouges sous serre, principalement des fraises. Extrêmement rentable, cette activité est aussi très gourmande en eau, et pompe dans la même poche d’eau que celle qui abreuve Doñana.
Ces dernières décennies, plusieurs plans supposés contrôler l’expansion de cette activité aux abords du parc ont déjà été élaborés. Mais le poids électoral du secteur agricole dans ces petites communes est tel qu’aucun responsable politique n’a eu le courage de les faire appliquer réellement. De nombreux agriculteurs se sont immiscés dans l’interstice en élargissant leurs terres sans autorisation, mordant sur le domaine public, ou en s’installant directement sur des terrains qu’ils n’ont pas le droit d’occuper. Ces derniers arrosent leurs cultures grâce à des puits illégaux, où ils pompent sans aucun contrôle, contrairement à ceux qui cultivent de façon légale, soumis à des restrictions précises. Résultat : le niveau de la nappe phréatique a déjà baissé de deux mètres.
Légaliser la fraude
Depuis qu’elle a arraché le pouvoir à la gauche en Andalousie, en 2018, la droite flirte avec l’idée de légaliser l’activité de ceux qui cultivent en contrevenant à la loi. En mars dernier, le Parti populaire (PP, droite classique) appuyé par la formation d’extrême droite Vox, a présenté une proposition de loi destinée à modifier la qualification d’une partie des terres cultivées illégalement afin d’en faire des terrains irrigables.
L’exécutif andalou s’accroche à ce projet envers et contre tout, malgré les pressions du gouvernement central, une coalition de gauche menée par le socialiste Pedro Sánchez pour le retrait du texte, la préoccupation exprimée par l’Unesco ou encore les avertissements de la Commission européenne, qui prévient du risque de sanctions pour l’Espagne si une telle loi était votée.
"Le PP andalou veut empêcher Vox de s'emparer de la bannière de défenseur du monde rural. C'est ce qui explique ce projet de loi", regrette Leandro del Moral, spécialiste de la gestion de l'eau à l'Université de Séville, qui n'hésite pas à parler de "populisme hydrique". "Le sujet sera très présent dans les campagnes électorales des semaines et mois à venir." Des élections municipales et régionales se tiennent en effet le 28 mai, tandis que les élections générales doivent être convoquées avant la fin de l'année.
Le président du gouvernement andalou, Juan Manuel Moreno Bonilla, explique que les terrains requalifiés auront ainsi la possibilité de solliciter des droits à l'eau, mais en aucun cas de pomper dans la nappe phréatique. Il est pourtant peu probable qu'ils obtiennent ces droits, dans une région sèche où les quantités disponibles sont restreintes. En attendant, ils utilisent leurs puits. "Si cette proposition de loi est approuvée, elle retardera davantage l'action que nous aurions déjà dû entamer depuis des années, ce qui fait que l'espoir de sauver Doñana est de plus en plus mince", regrette Eloy Revilla, directeur de la Station biologique de Doñana, organisme dépendant du Conseil supérieur des recherches scientifiques (Csic), affilié à l'État.
Une manifestation a été convoquée à Séville ce dimanche, la capitale régionale, afin de faire pression sur l’exécutif local pour qu’il abandonne son projet. Le mot d’ordre est clair : "Sauvons Doñana".