Guerre en Ukraine: le retrait du groupe Wagner de Bakhmout et de toute la ligne de front, une décision opportune pour Evguéni Prigojine
Evguéni Prigojine, le patron du groupe Wagner, a annoncé vouloir retirer ses troupes de la ligne de front. En attendant la grande contre-offensive des Ukrainiens, armés et formés par les Occidentaux, les Russes bâtissent et renforcent leurs lignes de défense.
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Publié le 23-05-2023 à 18h12 - Mis à jour le 23-05-2023 à 19h09
“La bataille pour la ville de Bakhmout continue”, l’état-major de l’armée ukrainienne l’a assuré ce mardi. Sa capture, jusqu’à son dernier tas de gravats, n’a pas encore été reconnue officiellement par les autorités de Kiev, bien que, sur le terrain, des soldats rencontrés par le Kyiv Independant aient concédé avoir perdu le contrôle des dernières rues de cette ville autrefois florissante de l’Est ukrainien.
Cette lutte acharnée pour une ville réduite à néant, au prix de dizaines de milliers de morts de part et d’autre, est l’une des pages les plus sombres de cette guerre d’un autre âge. Les Russes l’ont payée au prix fort, mais les Ukrainiens aussi. En refusant de lâcher la ville, Kiev espérait encore réduire le potentiel offensif de l’ennemi et augmenter les chances de réussite de sa prochaine grande contre-offensive, qui se veut décisive mais tarde toujours à venir.
Après avoir fait tomber le gros bourg de Soledar en janvier dernier, les Russes auraient donc arraché une nouvelle victoire sur les Ukrainiens. Une victoire symbolique à mettre au crédit d’Evguéni Prigojine, le leader du groupe Wagner, déterminé à accrocher, quoi qu’il en coûte, cette plume à son chapeau, lui qui n’a eu de cesse de fustiger l’état-major et le ministère de la Défense pour leur peu d’entrain à lui fournir des munitions. Entre les deux feux, le Kremlin s’est fendu d’un communiqué dans lequel “Vladimir Poutine a félicité les unités d’assaut de Wagner”, mais aussi “tous les militaires des unités des forces armées russes qui leur ont fourni le soutien nécessaire”.
Un retrait opportun
La situation n’est pas stabilisée pour autant. L’omniprésent Prigojine a annoncé, dans la foulée, qu’il remettrait les clefs de Bakhmout aux forces régulières russes le 25 mai et retirerait ses hommes de toute la ligne de front d’ici au 1er juin pour se reposer et se reconstituer pendant deux mois. Selon l’Institut d’étude de la guerre (ISW), il était de toute façon peu probable que Wagner continue à combattre, “en raison d’un épuisement sévère et de la fin de ses capacités offensives”.
Mission accomplie, Prigojine se retire au bon moment. “L’accent mis sur la victoire à Bakhmout détourne l’attention de la situation militaire russe précaire à l’intérieur et autour” de la ville, indique encore l’ISW. Les combats se poursuivent en périphérie de la ville, que les Ukrainiens essayeraient d’encercler. Une fois Wagner parti, l’armée devra réussir à tenir “des lignes défensives avec des unités conventionnelles mal entraînées et mal approvisionnées”, relève l’ISW.
Si la télévision d’État encense la prise “historique” de Bakhmout, censée faciliter les offensives plus avant en Ukraine, les troupes russes n’en seraient pas capables en l’état. Des blogueurs militaires nationalistes l’ont bien compris, abandonnant l’idée qu’elle entraînerait un effondrement des lignes ukrainiennes dans la région et des avancées russes jusqu’à Kramatorsk et Sloviansk. La victoire russe à Bakhmout aurait dès lors été non seulement très coûteuse mais aussi “inutile”, comme l’anticipe l’ex-colonel Igor Guirkine, prolongeant l’effort russe au détriment des préparatifs de défense en attendant la contre-offensive ukrainienne.
Aussi, la décision d’Evguéni Prigojine, devenu la figure centrale de la communauté ultranationaliste russe, peut se révéler particulièrement opportune. Son retrait pourrait lui éviter un éventuel retournement de situation à Bakhmout, le tenir éloigné de futures batailles essentielles et préserver son capital réputationnel.
En attendant la contre-offensive des Ukrainiens armés et formés par les Occidentaux, les Russes bâtissent et renforcent leurs lignes de défense.
“La tendance, dans une grande partie du discours international sur l’armée russe, a été de la considérer comme tactiquement inepte, techniquement déficiente et moralement brisée. Ces critiques ont plus qu’une part de vérité”, constatent les experts militaires Jack Watling et Nick Reynolds, dans leur dernière publication, Meatgrinder : Russian Tactics in the Second Year of Its Invasion of Ukraine, sur le site du Royal United Services Institute for Defence and Security Studies (RUSI).
Mais “les tactiques russes évoluent au fur et à mesure que les leçons sont tirées des échecs militaires”. “La ligne de défense de la Russie en Ukraine occupée constitue donc un défi difficile à relever pour toute contre-offensive”, pensent-ils. “L’Ukraine continuera à avoir besoin du soutien de ses alliés […] pour perturber les forces russes et, finalement, les vaincre.” Rien n’est encore écrit.