"Opposer l'action de protection de la nature et l'action pour le climat n'a pas de sens"
À la suite du propos d'Alexander De Croo appelant à une "pause" des réglementations environnementales en Europe, le président de la commission Environnement du Parlement européen, Pascal Canfin, insiste sur le fait que l'Union doit aller au bout de la logique du Green Deal.
Publié le 24-05-2023 à 17h20
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Président de la commission Environnement du Parlement européen, l'eurodéputé macroniste Pascal Canfin siège dans le groupe Renew, dans lequel se trouve l’Open VLD, parti d'Alexander de Croo. Le Français est cependant loin de partager l’opinion exprimée mardi par le Premier ministre belge, qui a appelé à une pause dans l’adoption de réglementations environnementales européennes.
Quelle réaction vous inspire les déclarations d'Alexander De Croo ?
Sur le fond, opposer l’action de protection de la nature et l’action pour le climat n’a pas de sens. Parce que restaurer la nature, protéger les zones humides, les écosystèmes, c’est aussi améliorer notre résilience climatique, et donc aussi agir pour réduire nos émissions et favoriser notre adaptation [au changement climatique].
Son discours ne fait-il pas écho aux récents propos du président français Emmanuel Macron qui a lui aussi appelé à une pause réglementaire dans le domaine de l’environnement?
Non, ce n’est pas le cas. Sur le plan politique, il est clair que la France ne défend absolument pas le fait de ne pas aller au bout du Green deal (le Pacte vert européen, un vaste ensemble de textes législatifs qui doivent rendre l’Union européenne plus durable et l’amener sur le chemin de la neutralité climatique, NdlR). La France n’est pas sur la position de rejet d’aucun des textes qui fait l’objet de négociations en cours, que ce soit sur l’économie circulaire, sur la protection de la nature, sur les pesticides, etc.
Les déclarations de M. De Croo s'inscrivent dans un contexte politique européen. On constate l’apparition d’un mouvement de résistance contre les réglementations environnementales. La commission Agriculture du Parlement européen, mardi, et celle de la Pêche, mercredi, ont rejeté la proposition de la Commission européenne sur la restauration des écosystèmes, avec les voix des conservateurs du Parti populaire européen (PPE) mais aussi d’élus de votre propre groupe, Renew Europe. Comment l’expliquez-vous ?
La commission compétente du Parlement européen sur ce dossier est la commission Environnement et nous continuons à travailler sur une amélioration du texte, mais en aucun cas sur son rejet. Quand je parle d’amélioration, je fais par exemple référence au fait que ce texte est la traduction de l’engagement international pris par les Européens à Montréal en décembre. Le texte en discussion [au Parlement européen] a été présenté avant cela, il semble logique qu’on le mette en cohérence avec l’accord conclu à Montréal. Rejeter ce texte qui transforme en législation européenne nos engagements internationaux – pris par tous les États membres à Montréal, quelle que soit leur couleur politique -, ce serait comme rejeter un texte climat qui traduit l’accord de Paris.
Nous travaillons aussi à débusquer toutes les rumeurs et les fake news qui entourent ce texte. Il a par exemple été dit aux Pays-Bas, y compris par le Premier ministre néerlandais Mark Rutte, que ce règlement empêcherait le développement des énergies renouvelables, alors que plusieurs articles de ce texte excluent explicitement du champ d’application du règlement tous les équipements et infrastructures nécessaires à la production d’énergies renouvelables. Dans le domaine de l’agriculture, les opposants de ce texte avancent qu’il faudrait réserver 10% des surfaces agricoles utiles pour protéger la nature. Là encore, c’est complètement faux. Ces précisions techniques permettent de diminuer le niveau d’opposition à ce texte, très largement basé sur des éléments factuellement faux. Mais en aucun cas, nous ne sommes dans une politique dogmatique de rejet telle que celle actuellement portée par le PPE (Parti populaire européen, conservateur, groupe le plus important du Parlement européen, NdlR).
Quand on parle de pause environnementale, faut-il comprendre qu’il s’agit d’adopter d’ici la fin de la législature tous les textes proposés dans ce domaine par la Commission, et puis ne plus rien faire ?
Ce n’est pas ma lecture. D’abord, la pause ne concerne en aucun cas les textes en cours de négociation, et ils sont nombreux. Une fois que nous les aurons tous adoptés, nous ferons le point sur ce qui doit continuer d’être revu au regard de ce qu’il reste à faire. L’enjeu de la mise en œuvre du Green deal est fondamental. Les termes du débat ont totalement changé : la critique ne porte plus sur l’inaction climatique, mais au contraire sur le fait que l’Union en ferait trop, ce qui prouve à quel point nous avons été ambitieux et à la hauteur depuis trois ans. Il faut aller au bout de la logique Green deal avec les paquets économie circulaire qui sont sur la table, avec la protection de la nature…
La critique ne porte plus sur l’inaction climatique, mais au contraire sur le fait que l’Union en ferait trop/ Cela prouve à quel point nous avons été ambitieux et à la hauteur depuis trois ans.
Et ensuite, après les élections de 2024, il faudra se poser les questions de ce qui est encore nécessaire à changer pour aller au bout de l’objectif qu’on s’est fixé, qui est reconnu, accepté et demandé par l’immense majorité des citoyens européens : respecter les accords de Paris sur le climat et respecter nos engagements internationaux sur la protection de la nature. Allons au bout de ce qu’on est en train de faire, mesurons la révolution que représente le changement systémique entrepris, secteur par secteur… Il faut le faire avec le bon niveau d’ambition et en tenant compte de la capacité de mettre en œuvre les règles. Il ne faut jamais opposer écologie et économie qui vont de pair. La seule façon de procéder est de donner aux entreprises la possibilité réelle de changer leur technologie, leur modèle d’affaires, etc.
Dans un discours prononcé lundi à Berlin où il plaidait pour la création d’un Pacte industriel européen, Alexander De Croo a avancé que l'Union européenne devrait moins agiter le bâton (qu'est la réglementation selon lui) et offrir davantage de carottes (des investissements publics pour les technologies propres)… Êtes-vous d’accord avec lui ?
La réglementation est tout à fait nécessaire aux investissements. Aujourd’hui, si les constructeurs automobiles investissent massivement dans des batteries et dans toute la chaîne de valeur de la voiture zéro émission en Europe, c’est précisément parce que que nous avons adopté des réglementations dans ces domaines qui les incitent à produire ici. Les règles du jeu ne sont pas des bâtons, mais permettent la stabilité des investissements pour les entrepreneurs.
Là où Alexander de Croo a raison, c’est qu’il faut avoir des financements européens répondant aux objectifs. Nous avons déjà revu les règles en matière d’aides d’État pour faire en sorte qu’un pays membre puisse accorder un soutien jusqu’au niveau d’aides proposé par un pays tiers concurrent – par exemple, les États-Unis. Mais par ailleurs, il faut renforcer l’arsenal de l’Union, avec un fonds de souveraineté européen qui permette de prendre le relais du plan de relance et se projeter sur les-dix prochaines années, identifier les technologies‐clés dans lesquelles nous devons absolument investir et le faire en Européens, avec solidarité, cohérence et le moins possible de concurrence inutile entre nous. Nous attendons la proposition que la Commission européenne doit déposer à l’été. Oui, nous avons besoin de financement, mais ce n’est en aucun cas une raison pour dire qu’on arrête de fixer les bonnes règles du jeu.