La Belgique s'inquiète que rien ne soit encore décidé pour la rénovation du Parlement européen à Bruxelles
En voie d’obsolescence, le bâtiment Paul-Henri Spaak, qui abrite l’hémicycle bruxellois, doit impérativement être rénové. Mais le Parlement européen tarde à se décider sur ce qu’il faut entreprendre comme travaux. Or, l’horloge tourne…
- Publié le 28-05-2023 à 08h00
- Mis à jour le 28-07-2023 à 12h36
:focal(460x315:470x305)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/32SS5SHSLNBFBC6OII46IVEUTY.jpg)
Ah, il aurait fière allure, le siège bruxellois du Parlement européen, s’il était rénové et relooké sur base du projet d’esquisses présenté par le collectif de bureaux d’architectes Europarc. Premier des cinq lauréats du concours d’architecture lancé en 2020 par l’administration du Parlement, le collectif international piloté par le bureau belgo-danois JDS, a vu beau et grand pour la rénovation du bâtiment Paul-Henri Spaak (PHS), surnommé “Le Caprice des dieux”. La structure de l’aile PHS serait conservée sur sept étages. La partie supérieure serait démontée et refaite, notamment pour accueillir l’hémicycle, qui y serait déplacé. Les travaux de la plénière seraient visibles depuis une galerie végétale, connectée à l’Agora verte occupant le dernier étage, dans laquelle on trouverait des espèces végétales de différents pays de l’Union européenne. Accessible au public, elle offrirait une vue imprenable sur Bruxelles. Enfin, le bas de l’édifice serait ouvert pour laisser passer une promenade reliant le Parc Léopold à la place du Luxembourg, situé de part et d’autre du Parlement.
Tout cela reste, pour l’heure, du domaine du rêve de papier, dont il est très incertain qu’il verra le jour. Car si les résultats du concours d’architecture ont été annoncés durant l’été 2022, et les projets des cinq lauréats dévoilés à l’automne, rien n’a bougé depuis. Le Parlement européen n’a pas encore pris de décision quant au lancement des travaux de rénovation. Sur la voie à suivre demeurent encore beaucoup de questions sans réponse. Est-ce opportun de lancer un tel projet ? Quels sont les réels besoins en matière de rénovation ? Quelle sera la durée de l’indisponibilité de l’hémicycle bruxellois pendant les travaux ? A ces interrogations se greffe la rivalité sourde entre Strasbourg et Bruxelles, qui se partagent la garde du Parlement européen.

Une rénovation s’impose
S’il est une seule certitude, c’est que le bâtiment ne peut pas rester en l’état. Inauguré en 1993, le Caprice des dieux a (déjà) pris un sacré coup de vieux. La question d’une rénovation substantielle du PHS se pose avec acuité depuis la décennie précédente. “Ce n’est pas juste la question des tapis et du mobilier qui a mal vieilli”, expose une source belge. En 2012, le PHS avait été provisoirement fermé, en raison de fissures constatées sur des poutres surplombant l’hémicycle. En 2017, l’administration du Parlement avait été informée de problèmes de stabilité du PHS, jugés suffisamment sérieux pour que le scénario d’une démolition-reconstruction soit un temps envisagé. L’idée a été écartée, d’autant qu’il apparaît que l’édifice n’est pas menacé d’effondrement. Néanmoins, la rénovation s’impose, pour mettre le bâtiment en conformité avec les normes Eurocodes de sécurité.
Ce n’est pas tout : si rien n’est fait, viendra un moment où le Paul-Henri Spaak ne répondra plus aux exigences européennes en matière d’efficacité énergétique. C’est l’ironie amère de l’histoire : “Au cours des dernières années, on a mis l’ensemble des bâtiments du Parlement européen à niveau, au niveau énergétique, de la sécurité… et pour le PHS, on n’a rien fait, puisqu’on se disait qu’il allait falloir le rénover de fond en comble”, observe une source parlementaire au fait du dossier.
Il faut tenir compte du fait que “les besoins du Parlement évoluent”, glisse une autre source bien informée. “Bien sûr, on peut se contenter de rénover un peu de-ci de-là, mais quitte à dépenser de l’argent pour ça, peut-être cela vaut-il la peine de regarder quels sont ces besoins”. Il faut anticiper les probables élargissements de l’Union européenne à de nouveaux États membres, qui enverront des députés au Parlement ; prévoir de nouvelles salles pour les trilogues lors desquels le Parlement, le Conseil (les États membres) et la Commission cherchent à conclure des accords provisoires sur des textes législatifs ; envisager un nouvel espace multimédia pour la presse…
La question a plusieurs centaines de millions d’euros : combien tout cela va-t-il coûter ?
Une facture à plusieurs centaines de millions d’euros. Mais combien ?
Lorsque le Parlement européen a lancé le concours d’architecture, les bruits sur le coût de la rénovation faisaient état d’un montant de 500 millions d’euros – qui ne tenait pas compte d’éventuels problèmes, retards, surcoûts… “Avec l’effet de l’inflation sur le coût des matériaux, on n’ose même plus envisager ce que ça va coûter”, souffle la source parlementaire.
”Le timing pour une rénovation est très mauvais”, glisse le second interlocuteur. Tout le monde est conscient, au Parlement européen, que dans les circonstances économiques et politiques actuelles, les citoyens européens comprendraient mal, pour le dire gentiment, que l’institution s’offre une fastueuse rénovation aux frais du contribuable. Aussi est-il question de réduire la voilure, par rapport aux ambitions affichées par le projet Europarc. Il a été demandé à la direction générale Infrastructures et Logistiques du Parlement européen (DG Inlo) d’établir quels sont les besoins impérieux en termes de rénovation, mais aussi d’estimer les coûts et la durée d’indisponibilité de l’hémicycle. Le travail est toujours en cours, mais on a une petite idée de vers où on se dirige. “Ce qu’on doit faire à vue de nez reviendrait à 250-300 millions, parce qu’on ne peut quand même pas se contenter de faire une rénovation de façade”, calcule le même interlocuteur.
L’inauguration n’est pas pour demain, ni après-demain
Le dossier rénovation devrait atterrir avant l’été ou au début de celui-ci sur la table du Bureau du Parlement européen (qui réunit la présidente Metsola, les quatorze vice-présidents et vice-présidentes ainsi que cinq députés(e) s élu(e) s au poste de questeur et de questrice). Mais il ne sera encore question que d’analyse “pas de prise de décision”, précise un troisième insider. La présidente Metsola entend néanmoins que le sujet soit réglé avant la fin de la législature, fin 2024, faute de quoi, tout, ou presque, serait à refaire.
Une fois que le Parlement européen sera au clair sur ce qu’il faut entreprendre, il devra prendre langue avec le lauréat du concours pour lui demander de revoir sa copie et proposer une “rénovation raisonnable”. Ou, peut-être, de se concerter avec les autres finalistes pour présenter autre chose… Il semble en tout cas que sur un plan juridique, le Parlement européen ne peut pas se permettre de repartir d’une feuille blanche comme si le concours n’avait pas existé. Bref, tout cela prendra encore du temps.
Ensuite, selon l’ampleur du coût des travaux, il faudra passer par la commission des Budgets, puis par la plénière. Ce n’est pas demain, ni après-demain, que les députés pourront emménager dans le nouveau PHS. Le chantier devrait durer des années.
Un nouvel épisode de la rivalité entre Bruxelles et Strasbourg
De Strasbourg, on porte un regard moqueur sur les heurs et malheurs du siège bruxellois. “L’affaire PHS” ravive la (gué) guerre des sièges que se livrent la ville alsacienne et la capitale belge. La première accueille les séances plénières (au moins douze par an) ; la seconde les commissions parlementaires, les réunions de groupes, mais aussi une demi-douzaine de (mini) plénières par an. Pour résumer : le cœur du Parlement européen bat à Strasbourg, mais l’essentiel de l’activité cérébrale de l’institution est à Bruxelles. De nombreux députés européens ainsi que leurs assistants, ont un pied-à-terre à Bruxelles.

Sans surprise, on a tôt entendu des voix opposées à la rénovation du PHS venues d’Alsace. En novembre 2020, lors du lancement du concours d’architecture, la Région du grand Est, l’Eurométropole et la ville de Strasbourg avaient publié dans plusieurs quotidiens européens une lettre ouverte à feu David Sassoli, alors président du Parlement. Elles insistaient sur le fait que “le Parlement européen dispose à Strasbourg, sa ville siège, d’un bâtiment parfaitement fonctionnel”, et ajoutaient, en substance, qu’il n’y avait donc pas lieu de se lancer dans des dépenses “pharaoniques” pour rénover l’hémicycle du siège bruxellois. Peut-être en France, ne voit-on pas d’un très bon œil la perspective d’un siège bruxellois du Parlement européen flambant neuf.
Osmose double le PHS
Au sein du Bureau du Parlement européen, la ligne “pas de dépenses inutiles” était notamment tenue par l’eurodéputée française et ancienne maire de Strasbourg Fabienne Keller (groupe Renew). Atteinte de myopie stratégique, la Belgique a négligé de faire du lobbying et de placer des élus noir-jaune-rouge là où l’on discute de ce dossier : il n’y a pas vice-président, ni de questeur belge au Bureau. En revanche, la France dispose de relais parlementaires qui plaident avec succès la cause du bâtiment Osmose. La France l’a construit à Strasbourg en face du siège du Parlement européen, auquel elle a proposé de l’acheter, alors que l’institution ne lui avait rien demandé. Le lobbying français a payé : le Parlement n’achètera pas Osmose, mais devrait louer à l’État français l’espace de 15 000 m2, dont une récente étude du Parlement a opportunément démontré qu’il répondait aux besoins de l’institution.
Pendant ce temps, les mêmes acteurs français ont œuvré, selon certains observateurs, à garder le dossier PHS sous la pile aussi longtemps que possible. Jusqu’il y a peu, “le sujet n’était jamais mis à l’agenda du Bureau”, peste une source belge. “On est à deux doigts de décider pour Osmose, on n’est nulle part sur le PHS”, grommelle un de ses compatriotes.
Dans toute cette histoire, la Belgique est mal prise : elle redoute, malgré les assurances données en ce sens par le Parlement européen, que les pompiers décrètent un jour qu’il faut fermer l’hémicycle, sans attendre la rénovation. D’un autre côté, elle s’inquiète de la durée de l’indisponibilité du PHS, qui donnerait des arguments au pro-Strasbourg. “Les Français répètent au Parlement : Strasbourg est prêt à vous accueillir. Et je m’attends à ce qu’un jour on nous sorte que ce n’est pas nécessaire d’organiser des plénières à Bruxelles, puisqu’il y a Strasbourg”, pronostique un des insiders. Or, une présence “complète” du Parlement européen à Bruxelles est un élément central dans sa nouvelle stratégie élaborée par le fédéral et la Région pour renforcer la position de la ville en tant que capitale européenne.