Quand les Ukrainiens ridiculisaient les nazis : l’histoire du légendaire “match de la mort”
Le 9 août 1942 à Kiev, en pleine occupation allemande, Ukrainiens et nazis s’affrontèrent sur un terrain de football. Dans le cadre de son dossier “Il était une fois”, LaLibre.be retrace l’histoire de ce match légendaire.
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- Publié le 28-05-2023 à 11h57
- Mis à jour le 31-05-2023 à 09h22
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En 1941, alors que toute l’Europe tremblait devant l’ombre toujours plus grandissante du IIIe Reich, l’Ukraine vit, elle aussi, l’horreur déferler sur elle. Le 22 juin, l’armée d’Adolf Hitler lançait l’Opération “Barbarossa”, la plus grande opération militaire de la Seconde guerre mondiale, afin d’envahir l’URSS.
Les Ukrainiens s’étaient préparés autant qu’ils le pouvaient à faire face aux troupes nazies. Aussi héroïque que pût être leur courage, il n’arrêta pas les chars allemands qui commencèrent à trouer l’horizon. Le combat, déséquilibré, fut vain. En septembre 1941, Kiev tombait sous l’occupation allemande, marquée à vif par le massacre sanglant de Babi Yar, où plus de 33 000 Juifs ukrainiens furent assassinés par les nazis.
Une lueur dans les ténèbres
Les rues pavées de la capitale ukrainienne, autrefois illuminées par la vie grouillante, s’étaient à présent assombries, glacées par la froideur des officiers nazis. Les étals colorés étaient devenus des points de distribution de rations alimentaires, qui se faisaient toujours plus maigres. Les mines réjouies des Kiéviens avaient fait place à des traits tirés, dévorés par l’angoisse de ne pas connaître de lendemain. Mais après plusieurs mois d’occupation, un semblant de vie reprenait toutefois dans Kiev, encouragée par les Allemands. C’est dans ce contexte qu’un événement sportif bien particulier vit le jour.
À l’arrivée des Allemands, le Dynamo Kiev, un club de football figurant dans les années 1930 parmi les plus populaires et performants d’Ukraine, fut dissous, comme l’ensemble des équipes de l’URSS. Les joueurs furent dispersés : certains rejoignirent d’autres équipes régionales, d’autres furent envoyés dans des camps de travail. Quelques-uns d’entre eux, en revanche, s’engagèrent dans la résistance.
En juin 1942, les autorités allemandes lancèrent un championnat de football, animées par la volonté de prouver les capacités sportives de la race aryenne. C’est là que le football kiévien renaquit, avec le FC Start. Jozef Kordic, directeur de la plus grande usine à pain de Kiev créa une équipe avec notamment Nikolaï Trusevich, le gardien du Dynamo et l’attaquant Alexeï Klimenko, ainsi qu’avec d’autres anciens joueurs ukrainiens. Pour l’amour du foot ou sous couvert de résistance, mais pour faire honneur à leurs compatriotes, ils s’entraînèrent d’arrache-pied dans le secret, à la nuit tombée.

La vaillante équipe du FC Start enchaîna une série de victoires avec une aisance sans précédent. Le 6 août 1942, l’équipe kiévienne affronta pour la première fois l’équipe allemande “Flakelf”, composée de membres de l’armée de l’air allemande, la Luftwaffe. Face aux soldats allemands, convaincus de sortir vainqueurs de ce face-à-face, les membres du FC Start déchaînèrent toute la rage qu’ils vouaient aux occupants. Le résultat fut sans appel : 5 à 1 pour les Kiéviens.
Il va sans dire que les Allemands ne supportèrent pas cet acte de défiance et ordonnèrent une revanche pour réduire au silence “l’arrogance” du FC Start. C’est ainsi que le 9 août 1942 eut lieu célèbre “match de la mort”. Sans le savoir, les membres du FC Start s’apprêtaient à rentrer dans l’histoire.
Le match de la mort, une lutte pour la vie
C’est au stade “Zénith” de Kiev, devant 45 000 personnes selon la légende, que le FC Start affronta encore une fois la Flakelf. Les joueurs, soigneusement choisis par les officiers nazis, avaient un avantage indéniable sur le papier, mais ils n’étaient pas animés par la même férocité que les Kiéviens.
Après que les Ukrainiens refusèrent de faire le salut nazi réclamé par l’arbitre, un SS, le coup d’envoi fut donné. Les joueurs du FC Start, portés par leur passion, prirent rapidement l’ascendant sur la Flakelf : le score était de 3 à 1 à la mi-temps. Un affront que les Allemands ne tolérèrent pas. Tandis que les joueurs du FC Start reprenaient leur souffle, le dirigeant de la ligue qui organisait ce championnat, Georgi Shvetsov, ainsi que le lieutenant nazi Erich Eberhardt, entourés de soldats armés firent irruption dans les vestiaires. L’ultimatum posé était univoque, menaçant : la défaite du FC Start ou la mort. Mais le chef d’équipe kiévien ne baissa pas les yeux et répliqua, sans appel : “Non seulement nous allons continuer de jouer ce match, mais nous allons le gagner”.
Les joueurs ukrainiens remontèrent sur le terrain avec la volonté de défendre leur peuple avant tout. But après but, ils bravèrent les ordres des officiers et imposèrent un 5-3. L'arbitre allemand décida alors de mettre fin prématurément au match, prétextant des raisons douteuses. Selon certains, c’est l’enthousiasme des spectateurs qui aurait mis fin au match. Ces derniers auraient commencé à crier des slogans nationalistes et anti-allemands, provoquant ainsi la colère des nazis, qui auraient alors arrêté de nombreux spectateurs ukrainiens. Selon d’autres, le match aurait été interrompu en raison d’une bagarre entre les deux équipes, déclenchée par les tensions politiques et nationalistes. Une rumeur raconte également que c’est l’ultime provocation du numéro 3 du FC Start, Alexei Klimenko, qui a provoqué la colère d’un major allemand. Après avoir dribblé le gardien, il aurait arrêté le ballon sur la ligne de but au lieu de marquer et salué la tribune officielle nazie avant de dégager le ballon en direction du rond central, permettant à son équipe de reprendre le jeu.

La naissance d’une légende
Quelques jours après le triomphe, une main funeste s’abattit sur l’équipe de football ukrainienne. En août 1942, plusieurs footballeurs qui travaillaient à l’usine de pain de Kiev furent arrêtés. Huit furent déportés dans le camp de concentration de Syrets à Kiev, et trois d’entre eux furent fusillés six mois plus tard dont Nikolaï Trousevitch, le gardien. Deux autres furent également assassinés par des SS l’année suivante.
Leur refus intrépide d’accepter la suprématie nazie avait défié l’orgueil des Allemands, qui se vengèrent. C’est en tout cas ce que raconte l’histoire colportée. Mais ce sont les circonstances mystérieuses entourant les arrestations des joueurs du match mythique qui permirent aux propagandes soviétiques d’amplifier l’histoire, mettant en scène deux camps opposés par la guerre, l’un victime et l’autre bourreau. La défaite aurait alors rendu folles les autorités allemandes, qui n’auraient pas supporté la remise en question de la supériorité de la race aryenne.
Cependant, une autre théorie a également émergé : Georgi Shvestov, le dirigeant de la ligue, serait responsable de l’arrestation des héros kiéviens. Sa raison ? Les joueurs du FC Start auraient refusé de rejoindre son club de foot, ce qui l’aurait fait bouillir de rage et poussé à s’allier avec la Gestapo pour détruire l’équipe.
Une hypothèse plus vraisemblable serait l’implication de certains des joueurs dans la NKVD, acronyme russe de “Narodnyy Komissariat Vnutrennikh Del”, l’ancêtre du KGB. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle avait des fonctions militaires, notamment en tant que service de contre-espionnage et de sécurité à l’arrière du front et ses membres étaient disséminés à travers l’Europe. La Gestapo aillant eu vent de l’appartenance de certains joueurs à l’agence, aurait ordonné leur arrestation pour tenter d’obtenir des renseignements.
L’URSS aura de toute façon réussi à faire de ce match une légende, vantant le courage des joueurs du FC Start, devenus des héros de la résistance au nazisme. Exagération ou pas, le récit continue d’être raconté et a inspiré plusieurs films, comme “Match”, un film ukrainien sorti en 2012, ou encore “Le Match de la Mort”, un film de 2002 réalisé par Joe Coppoletta. En 1981, le stade qui fut le théâtre du “match de la mort”
rebaptisé le Start Stadium, en hommage aux joueurs ukrainiens.
