La perspective de voir la Hongrie présider le Conseil de l’Union européenne en 2024 suscite le malaise
Le Parlement européen va adopter ce jeudi une résolution appelant le Conseil à “trouver une solution adaptée” pour protéger les valeurs de l’UE. Mais il semble y avoir peu d’appétit pour cela du côté des États membres
- Publié le 31-05-2023 à 19h25
- Mis à jour le 01-06-2023 à 08h05
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La Hongrie pourrait-elle assurer de manière crédible la présidence du Conseil de l’Union européenne, lors du second semestre 2024, alors que ce pays malmène, de longue date, le droit et les valeurs européennes ? Alors que Budapest, même s’il a voté les paquets de sanctions contre la Russie, agresseur de l’Ukraine, continue de faire preuve de complaisance envers Moscou ? Le Parlement européen pose la question dans une proposition de résolution sur les violations de l’état de droit et des droits fondamentaux en Hongrie et le gel des fonds de l’Union européenne. (UE) Et y apporte la réponse. Le texte qui sera soumis au vote des députés européens en séance plénière ce jeudi à Bruxelles, demande au Conseil, donc aux États membres, de trouver une “solution adaptée”. Faute de quoi, peut-on lire, “le Parlement pourrait prendre des mesures appropriées si une telle solution n’est pas trouvée”.
Pas de progrès pour restaurer la démocratie et l’état de droit
”Jusqu’ici, ça a toujours été un sujet assez tabou. On nous disait que la présidence hongroise aurait lieu et qu’il fallait s’y faire”, a rappelé mercredi matin en conférence de presse l’élue verte française Gwendoline Gwendoline Delbos-Corfield, rapporteure du texte. “Au moins, le sujet sur la table”, se félicite-t-elle. La position exprimée par la résolution fait l’objet d’un large consensus transpartisan, qui rallie les conservateurs du Parti populaire européen (PPE), les socialistes et démocrates, les libéraux-centristes de Renew, les Verts et La Gauche.
Le Parlement européen est, de longue date, très critique de la façon dont Viktor Orban et son parti, le Fidesz, exerce le pouvoir en Hongrie depuis 2010. C’est à l’initiative des députés européens qu’a été ouverte, à l’automne 2017, la procédure de l’article 7 du traité sur le fonctionnement de l’UE, actionné lorsqu’existe un “risque de violation grave par un État membre des valeurs européennes”.
Depuis, très peu, sinon aucun progrès n’a été accompli par le pouvoir hongrois pour corriger la situation. C’est pour cette raison que la Commission européenne n’a pas encore donné son feu vert pour que la Hongrie puisse bénéficier des 5,8 milliards d’euros du plan de relance européen qui lui revienne et qu’elle a gelé 7,5 milliards des fonds de cohésion qui lui sont destinés.
Le texte qui, selon toute vraisemblance, sera adopté demain par le Parlement européen n’a aucune portée législative. De plus, comme le reconnaît Gwendoline Delbos-Corfield, “les traités sont peu précis sur ce qu’il est possible de faire et les États membres ne le savent pas trop non plus”. L’élue française se réjouit que les interrogations du Parlement européen aient trouvé un relais au Conseil. En marge de la réunion des ministres des Affaires européennes qui se tenait mardi à Bruxelles, la ministre allemande (verte) Anna Lührmann a exprimé devant la presse ses doutes quant “à la capacité de la Hongrie de mener à bien une présidence du Conseil”.
Pas d’alarmisme au sein du Conseil
Ces propos ne recueillent cependant guère d’écho parmi les États membres, constate une source diplomatique. “Le Parlement européen est dans son rôle et c’est très bien, mais il n’y a aucune discussion au Conseil” quant à la possibilité de priver la Hongrie de sa présidence. “Aucun danger pour la présidence hongroise”, a tweeté la ministre de la Justice du gouvernement Orban, Judit Varga, accompagnant son message d’une photo la montrant avec ses collègues des deux autres pays qui forment avec la Hongrie un trio de présidence : le secrétaire d’État espagnol aux Affaires européennes Pascual Ignacio Navarro Rios et la cheffe de la diplomatie belge Hadja Lahbib (MR).
Aux inquiétudes du Parlement est opposé le fait qu’une présidence tournante, même si elle place ses priorités à l’agenda, s’inscrit dans une continuité législative et politique. “Les présidences tournantes se mettent en ordre de marche par rapport aux institutions européennes, beaucoup plus que l’inverse”, rappelle la source diplomatique. De plus, la présidence hongroise sera la première qui suivra les élections européennes de 2024. Elle ne devrait pas avoir énormément de pain sur la planche, et beaucoup moins de relations avec le Parlement européen que s’il fallait faire atterrir des dossiers législatifs lors de la dernière année de la législature européenne – ce que devront faire l’Espagne et la Belgique. Et c’est la Commission qui fixera les priorités pour les cinq années à venir, sur base des impulsions données par le Conseil européen, où Viktor Orban n’est qu’un membre parmi les Vingt-sept, Bref : la situation n’est pas idéale, mais ce n’est pas la fin du monde.
Comment éviter de donner une tribune à la Hongrie ?
“Attendre une action du Conseil, c’est comme attendre Godot”, soupirait mercredi l’eurodéputée libérale néerlandaise Sophie in’t Veld (Renew Europe). Les députés sont conscients qu’une présidence tournante ne fait pas la pluie et le beau temps dans l’Union, mais insistent cependant sur le fait que la présidence offrira une tribune à la Hongrie. Or, “la Hongrie n’est plus une démocratie”, insiste son collègue et compatriote social-démocrate Thijs Reuten. “Elle représentera l’Union européenne durant ses six mois”, se désole la conservatrice luxembourgeoise Isabel Wieseler-Lima.
Sophie in’t Veld fait cependant observer que si le Parlement s’il n’est pas en mesure d’empêcher la Hongrie d’accéder à la présidence du Conseil, il n’est pas sans pouvoir. “Nous devons retirer à cette présidence tout glamour et toutes paillettes. Nous pouvons être créatifs pour réduire toute les occasions pour cette présidence d’avoir une tribune et limiter à un minimum notre coopération avec elle”. Les députés pourraient ainsi refuser de partager le podium avec des représentants de la Hongrie, ou profiter de l'occasion pour mettre en avant des personnes dont le régime de Viktor Orban étouffe la voix. Le Parlement pourrait refuser de s'engager dans des trilogues pour conclure des accords provisoires sur des textes législatifs...
Les six mois de relations entre le Parlement européen et la présidence hongroise du Conseil s’annoncent tendus.