L’Europe se réunit en Moldavie, "à une vingtaine de kilomètres de la frontière ukrainienne", pour faire front face à la Russie
Quarante-cinq chefs d’État et de gouvernement des pays du continent européen seront présents, ce 1er juin, en Moldavie. Une manière d'exprimer le soutien à cet État aux prises avec les tentatives russes de déstabilisation, ainsi qu'à l'Ukraine.
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- Publié le 01-06-2023 à 06h34
- Mis à jour le 01-06-2023 à 15h32
Le symbole y est. Une quarantaine de chefs d’État et de gouvernement des pays du continent européen seront présents, ce 1er juin, en Moldavie, où se déroulera le deuxième sommet de la Communauté politique européenne (CPE). Pas besoin de déclaration écrite. La présence de tous ces dirigeants suffit en soi pour signaler le soutien à cet État de 3,5 millions d’habitants, qui accueille ainsi le plus grand événement politique de son histoire alors même qu’il est aux prises avec une guerre hybride menée par la Russie. La photo de famille, qui sera prise au château Mimi, à une trentaine de kilomètres de la capitale Chisinau, reflétera à elle seule l’unité des Européens face à la menace que pose l’agression russe de l’Ukraine au principe de souveraineté des États et à la sécurité du continent. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, sera de la partie, si pas en personne, en tout cas par vidéoconférence. Faute d'avoir reçu une invitation, la Russie et son allié, la Biélorussie, brilleront, elles, par leur absence.
“Alors que l’Europe se réunit à une vingtaine de kilomètres de la frontière ukrainienne, cet événement est une réaffirmation résolue de notre attachement indéfectible à la paix”, a déclaré la présidente moldave Maia Sandu. “Si j’étais au Kremlin et que je voyais autant de pays de ma région se réunir à côté de moi, je me ferais des soucis”, glissait aussi cette semaine une source européenne.
Visualiser la famille européenne
Lancée à l’initiative du président français Emmanuel Macron, la Communauté politique européenne est née de la guerre déclenchée par la Russie en Ukraine, le 24 février 2022. Une guerre qui vise en réalité “l’idée d’une Europe unie et libre”, comme l’a rappelé mercredi la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, au forum Globsec de Bratislava. Le premier rendez-vous de la CPE a été pris le 6 octobre à Prague, en République tchèque, avec pour objectif de donner corps à la famille européenne à laquelle l’Ukraine appartient et qui la soutient.
Une famille qui dépasse donc celle de l’Union européenne. Celle-ci s’efforce d’ailleurs de se faire oublier, de prouver que la CPE n’est pas son apanage. La preuve : le sommet se tient cette fois hors de son territoire, en Moldavie. Et ce, malgré les défis logistiques et sécuritaires immenses qu’une telle réunion pose à ce pays voisin de l’Ukraine en guerre, miné par les tentatives russes de déstabilisation du gouvernement pro-européen, au pouvoir à Chisinau. Si le prochain épisode de la CPE s’écrira dans six mois en Espagne, pays qui assumera alors la présidence du Conseil de l’UE, le suivant sera organisé au Royaume-Uni. Puis en théorie en Hongrie, avant de sortir à nouveau de l’UE, pour prendre place sans doute dans l’un des pays des Balkans.
Ce calendrier témoigne d’un certain succès de ce nouveau forum qui vivra (au moins encore quelques mois). L’idée de la CPE est d’offrir à des États souverains du continent européen la possibilité de se parler, d’égal à égal, de leurs défis communs. "Les dirigeants de petits pays s’y affichent avec les grands. Ceux en train de négocier leur adhésion à l’UE conversent à tu et à toi avec leurs homologues européens, sans ici leur étiquette de "candidats"", note Sébastien Maillard, directeur de l’Institut Jacques Delors. “On avait avant surtout des formats centrés sur l’Union européenne, où tous les débats se concentrent sur le processus pour y adhérer, les moyens de l’accélérer”, note également un diplomate européen, en référence par exemple aux rencontres habituelles avec les pays des Balkans, qui aspirent tous à rejoindre l’Union.
Une communauté plus d'intérêts que de valeurs
Contrairement à l'UE, pour faire partie de la CPE, “il n’y a pas de cases à cocher, pas d’étapes à franchir, pas de conditions à remplir”, observe le centre de réflexion Brussels Institute for Geopolitics, dans une étude signée Hans Kribbe, Sébastien Lumet et Luuk van Middelaar. Ce qu’il faut, c’est appartenir à l’Europe. Et partager, plus ou moins, les mêmes intérêts géostratégiques. Il est en effet difficile de parler d’une communauté de valeurs démocratiques et libérales, avec, à table, la Turquie du “sultan” Erdogan, l’Azerbaïdjan autoritaire, la Serbie si proche de la Russie, ou même la Hongrie qui, bien qu’elle soit dans l’UE, poursuit sa dérive autocratique.
La CPE forme donc plutôt “une large communauté d’intérêts, liée par la menace que la guerre fait peser sur leur sécurité commune”, résume le Brussels Institute for Geopolitics. À l’origine, Emmanuel Macron parlait de créer une “intimité stratégique” entre les pays du continent.
Selon le Brussels Institute for Geopolitics, la Communauté politique européenne marque en ce sens un retour au “système westphalien” issu de la guerre des Trente Ans (désignant des relations égalitaires entre États), à l’esprit du Congrès de Vienne de 1815, ou des débats de 1945 et de 1989, autant d’époques où “des questions difficiles sur la guerre, la paix et l’ordre exigeaient des réponses nouvelles”. Mais quelles réponses la CPE peut-elle vraiment apporter ? Elle reste après tout un objet politique difficile à cerner, à défaut d’avoir accouché jusqu’ici d’initiatives concrètes ou même… d’une feuille de papier. Personne ne veut imaginer quarante-cinq chefs d’État et de gouvernement pinailler sur les mots et les virgules d’une déclaration commune, qui serait sans doute un ramassis de lieux communs, vu la diversité de leurs positions. Vu aussi, leurs conflits.
L'avantage du format informel
C’est aussi la “magie” de la Communauté politique européenne : réunir dans une même salle des dirigeants qui ne peuvent pas se voir en peinture. Est souvent cité l’exemple de la Turquie et de Chypre – la première ne reconnaît pas le second comme État et en a envahi une partie du territoire. Mercredi après-midi, le site Politico indiquait néanmoins que le président turc Recep Erdogan - qui était bien présent à Prague l’année dernière - ne ferait pas le déplacement à Chisinau, pour des raisons encore inconnues.
La Serbie et le Kosovo seront représentés, sur fond des violences qui ont éclaté ces derniers jours entre la minorité serbe et la communauté albanophone sur le territoire kosovar, que Belgrade considère toujours comme étant le sien. A ce titre, le Premier ministre belge Alexander De Croo a prévu une rencontre bilatérale avec la présidente kosovare Vjosa Osmani.
Parfois, la CPE pousse même au dialogue entre adversaires. Après une première discussion déjà organisée à Prague, Ilham Aliyev, président de l’Azerbaidjan, et Nikol Pachinian, Premier ministre de l’Arménie – deux pays en pleine dispute territoriale – seront conviés à une entrevue avec Emmanuel Macron, le chancelier allemand Olaf Scholz et le président du Conseil européen, Charles Michel.
De nombreuses réunions se tiendront en marge du sommet. Au total, M. De Croo a ainsi prévu entre cinq et six discussions bilatérales, avec aussi la présidente moldave Maia Sandu, ou encore les dirigeants roumain et norvégien pour discuter d’énergie. “Avoir un moment entre égaux, où l’on se respecte et on peut se parler ouvertement, sans un agenda pré-conclu, c’est une bonne chose”, confie le Premier ministre belge aux médias, dont La Libre Belgique, qui l’accompagnent à Chisinau.
Et après la guerre?
La valeur ajoutée de la CPE réside donc en son caractère symbolique et informel, privé de la pression du résultat politique, qui laisse place aux échanges et aux débats. Il n’empêche que des tables rondes seront organisées autour de trois sujets majeurs: sécurité, connectivité et énergie – la Belgique co-présidera les discussions à ce sujet avec la Norvège. De quoi donner un avant-goût des projets dont ce format pourrait accoucher. Les États pourraient ainsi renforcer leur coopération en matière de lutte contre les cyberattaques ou pour protéger leurs infrastructures critiques.
“C’est le moment à saisir pour forger une Europe plus unie”, a plaidé mercredi Ursula von der Leyen. Mais l’avenir de la CPE reste encore incertain, surtout le jour où la guerre en Ukraine s’arrêtera. Peut-être les dirigeants y prendront-ils goût, au point de consolider cette Communauté politique européenne, la doter d’une structure ou d’un budget pour matérialiser ces ambitions. Peut-être pas…