Espace aérien fermé, rues ultra-sécurisées... Comment la Moldavie a accueilli près de cinquante dirigeants européens, unis, dans l’ombre de la Russie
Mise sous pression russe, la Moldavie n’a pas lésiné sur les moyens pour assurer la sécurité du sommet de la Communauté politique européenne. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a été le premier à y faire son apparition. Récit d’une journée inédite pour la Moldavie.
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- Publié le 01-06-2023 à 18h05
- Mis à jour le 01-06-2023 à 22h31
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Il est le premier invité à fouler le tapis rouge pour pénétrer dans le domaine viticole de Mimi, niché dans le village de Bulboaca, au sud-est de la Moldavie. Vers 9h, en ce jeudi 1er juin, le président ukrainien Volodymyr Zelensky fait son apparition au sommet de la Communauté politique européenne (CPE), vêtu de tons kaki, comme toujours depuis le début de l’invasion russe de son pays, voisin de la Moldavie. Sa présence, en chair et en os, n’était pas garantie. La journée commence donc fort, avec l’image de la présidente moldave, Maia Sandu, serrant fièrement la main de Volodymyr Zelensky. Deux chefs d’État déterminés à tenir tête à Moscou – qui veut déstabiliser la Moldavie et mène une guerre sanglante en Ukraine – ouvrent le bal de ce grand rendez-vous de près de cinquante dirigeants des pays d’Europe (excepté la Russie et la Biélorussie).
Depuis le Kremlin, on dit suivre de près “les nouvelles et la rhétorique qui domineront” ce sommet. Après tout, l’enjeu de la CPE est de montrer “l’unité européenne autour d’un objectif important : la stabilité, la prospérité et la paix du continent”, indique le Premier ministre belge Alexander De Croo, à son arrivée. En d'autres termes, il s'agit de faire front, face à Moscou. “C’est un message important pour les pays qui sont mis sous pression” russe, poursuit M. De Croo.

Pour les dirigeants des autres États, le déplacement en Moldavie permet sans doute de ressentir ce que vivre dans l’ombre de Moscou signifie. “La Russie est une menace pour notre sécurité à tous, qu’on la ressente directement ou pas”, insiste le Premier ministre letton Kariņs. Mais ici, cette menace “est palpable”, observe son homologue néerlandais Mark Rutte.
Comme le rappelle Maia Sandu, “la paix et la tranquillité [du château de Mimi] contraste avec la guerre violente” qui fait rage en territoire ukrainien, à une vingtaine de kilomètres de là. Au début de l’agression, certains craignaient qu’une fois la ville ukrainienne d’Odessa tombée dans les mains des Russes, ceux-ci ne tarderaient pas à marcher sur la capitale moldave Chisinau. Moscou était convaincu que cela ne prendrait que “quelques jours, une semaine tout au plus”, note Volodymyr Zelensky, une fois assis à table avec les autres leaders, en début d’après-midi.
Un dispositif renforcé de sécurité
La résistance ukrainienne et la réaction européenne en ont voulu autrement. “L’Ukraine nous protège et nous lui en sommes très reconnaissants”, reconnaît la présidente moldave. Reste que la pression russe sur la Moldavie, pays de 3,5 millions d’habitants, s’est accentuée, alors que des agents du Kremlin tentent de renverser le gouvernement pro-européen, multipliant les cyberattaques et organisant systématiquement des manifestations dans le pays.
Dans ce contexte, l’organisation du sommet a relevé de l’exploit. L’aéroport de Chisinau et l’espace aérien du pays ont été fermés aux vols commerciaux. L’Otan surveille le ciel de la Moldavie grâce à ses avions AWACS. Les routes qui relient Chisinau au château, situé à une distance de 40 km, ont été interdites à la circulation. En matinée, les rues du centre-ville de la capitale étaient quasiment désertes, les magasins fermés. Des policiers montaient la garde tous les 200 mètres, dos aux colonnes de voitures diplomatiques qui roulaient au ralenti vers le domaine de Mimi.
Combien de temps l'Europe va-t-elle tolérer cela ?
Le village de Bulboaca ne se trouve qu’à huit kilomètres de la Transnistrie, territoire moldave accaparé par des séparatistes pro-russes depuis 1992 et soutenus par Moscou. Les organisateurs du sommet de la CPE ont ainsi dû prévoir des générateurs d’électricité, au cas où le principal fournisseur du pays, la centrale électrique de Cuciurgan, contrôlée par les autorités de Transnistrie et par une société russe, venait à jouer les trouble-fêtes. Dans cette enclave séparatiste qui longe la Moldavie, ex-république soviétique, sur son flanc Est, se trouve aussi le village de Cobasna qui abriterait depuis la guerre froide le plus grand dépôt de munitions de la région, sécurisé par quelque 1500 soldats russes. “La Russie tente de vivre un conflit gelé sur le territoire de ses voisins, si elle ne parvient pas à les engloutir. Pourquoi, par exemple, les contingents russes sont-ils toujours présents en Transnistrie? […] Combien de temps l’Europe va-t-elle tolérer cela ?”, s’indigne Volodymyr Zelensky.
Le président ukrainien ne mâche pas ses mots pour appeler les Européens à ne plus douter. De la nécessité de renforcer l’unité sur le continent. Et donc de celle d’élargir l’Union européenne. Kiev et Chisinau ont obtenu leur statut de candidat à l’adhésion en 2022 et les deux espèrent pouvoir lancer les négociations cette année. “Mon engagement est que la Moldavie soit prête d’ici la fin de cette décennie”, indique Maia Sandu.
L’alternative à l’Otan, c’est la “guerre” ou l'”occupation”
Mais ce sont surtout les doutes quant à l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan que M. Zelensky dénonce avec ferveur. “La Russie a peur de l’Otan”. Dès lors, tous les pays qui lui sont voisins “et qui ne veulent pas que la Russie leur arrache une partie de leur territoire doivent être membres à part entière de l’Otan et de l’UE”, réclame-t-il. En réalité, la Moldavie hésite encore à troquer sa “neutralité” pour l’Alliance. Interrogé à ce sujet, le président roumain Klaus Iohannis a indiqué que la Roumanie, membre, elle, de l’Otan, ne serait pas en mesure de défendre militairement la Moldavie en cas d’escalade de la guerre en Ukraine.
Pour M. Zelensky en tout cas, les choses sont claires: l’alternative à l’Otan, c’est “soit une guerre ouverte, soit une occupation russe rampante”, comme le montre le cas moldave d’ailleurs.
Mais sur la question de l’adhésion à l'Alliance, M. De Croo a estimé qu’il fallait avancer “pas à pas”, plaçant la priorité sur le soutien militaire à l’Ukraine – que personne ne voit rejoindre l'Otan tant qu’elle sera en guerre. Le Premier ministre belge s’est ainsi entretenu avec, Volodymyr Zelensky, Mark Rutte, la Danoise Mette Frederiksen et le Britannique Rishi Sunak au sujet de la coalition de pays qui envisagent d’entraîner des pilotes ukrainiens à se servir d’avions de chasse F16. Le groupe a ensuite été rejoint par les dirigeants polonais et suédois.
Le message, c’est la photo
Ce n’est de toute façon pas à la CPE que Volodymyr Zelensky allait obtenir des décisions concrètes. Des tables rondes sont prévues en fin de journée pour discuter sécurité, énergie et connectivité. Mais ici, le message, c’est la photo. Celle qui réunit quarante-cinq chefs d’État et de gouvernement, ainsi que Charles Michel, président du Conseil européen, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission, Josep Borrell, chef de la diplomatie de l’UE et Roberta Metsola, présidente du Parlement européen. Le cliché de l’unité européenne est pris dans l’après-midi. “Un symbole puissant”, se réjouit Charles Michel sur Twitter.
Mission réussie pour la Moldavie ? “La journée n’est pas encore finie”, nous répond, prudemment, une responsable politique moldave, qui observe la scène de loin, avec émotion. “Mais nous pouvons être fiers. Nous tous, les Européens.”