Le mouvement Letzte Generation sous la pression de la justice allemande: "C’est le gouvernement qui enfreint la constitution"
Le collectif climatique, dont les membres se collent régulièrement au bitume, dénonce une tentative de criminalisation de leur action.
- Publié le 01-06-2023 à 22h19
:focal(4123x2757:4133x2747)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/3RVX4IGK7FBBBE5EETLF5VGBKM.jpg)
Avec leurs pancartes et gilets orange, ils étaient plusieurs centaines à défiler, mercredi après-midi, sur la Karl Marx Allee, l’une des plus grandes avenues de Berlin. Ces militants climatiques ne se sont pas collés au bitume pour bloquer la circulation, comme ils en ont pris l’habitude depuis un an et demi. Ils ont marché dans le calme, dans la capitale allemande mais aussi dans une dizaine d’autres villes, pour dénoncer le manque d’action du gouvernement en matière climatique. Ils avaient d’ailleurs rédigé une lettre ouverte en ce sens au chancelier Olaf Scholz pour lui demander de mettre en place une assemblée citoyenne chargée de prendre des mesures pour lutter contre le changement climatique.
Habituellement, seule une poignée de militants participent aux marches de protestation et aux actions de blocages sur les routes, mais cette fois la foule était importante. “Je suis venu exprimer ma solidarité avec ce collectif car je refuse que les autorités criminalisent un mouvement de désobéissance civile”, nous explique Bastian, un trentenaire sans lien avec Letzte Generation (Dernière génération). La semaine dernière, à la demande du parquet de Munich en Bavière, des perquisitions ont été menées contre ce collectif climatique dans plusieurs régions du pays dans le cadre d’une enquête relative à la formation d’une “organisation criminelle”.
Une “alarme incendie”
Cette opération contraste avec les habituelles poursuites pour “troubles à l’ordre public” menées contre ce collectif et qui encombrent les tribunaux. Si le procureur de Neuruppin, dans le Brandebourg, avait déjà invoqué en décembre une possible “organisation criminelle” dans le cadre d’une enquête, l’ampleur de ces perquisitions a choqué les intéressés eux-mêmes. “C’est écœurant”, réagit Simon, membre actif de Letzte Generation, rencontré dans le défilé berlinois. “Nous sommes un mouvement non violent et rappelons au gouvernement que c’est lui qui enfreint la constitution en ne mettant pas en œuvre une politique active de lutte contre le changement climatique. Nous ne sommes qu’une alarme incendie. Le monde brûle”, ajoute-t-il. En 2021, la Cour constitutionnelle avait jugé que les autorités fédérales ne faisaient pas suffisamment pour réduire les émissions de CO2.
De nombreux partis politiques, notamment à droite, ont en revanche salué cette opération policière. C’est le cas de la CSU bavaroise dont l’un des dirigeants, Alexander Dobrindt, a comparé ce collectif à “une RAF climatique”, en référence au mouvement terroriste d’extrême gauche, Fraction armée rouge. Même le chancelier social-démocrate Olaf Scholz a jugé “complètement idiot de se coller à un tableau ou à une route”. Quant aux Allemands, si la plupart souhaitent qu’il y ait davantage de lutte contre le changement climatique, ils sont 76 % à rejeter les méthodes choisies.
”Deux questions fondamentales se posent : celle de la légitimité du mouvement et celle de la légalité de ses actions”, explique Albrecht von Lucke du mensuel Blätter für deutsche und internationale Politik. “Les actions sont illégales mais le mouvement revendique sa légitimité, car par ses actions, il demande au gouvernement de respecter l’accord de Paris et d’appliquer la décision de la Cour constitutionnelle en matière de climat. Le mouvement estime qu’il atteindra d’autant mieux ses objectifs qu’il dérange. Je crains cependant que ce soit le contraire qui se produise. Une grande partie de la population est opposée aux actions et aux méthodes choisies. Cela est contre-productif et renforce en définitive l’opposition populiste de droite. Le mouvement pourrait à son tour se radicaliser davantage -une possible spirale d’escalade fatale”, conclut le politologue.
Les militants de Dernière génération sont-ils des criminels ? La question ne pourra être tranchée que par une décision de justice, encore à venir. En attendant, les militants disent vouloir continuer leurs actions de blocage. “Nous ne sommes pas là pour être aimés mais pour atteindre nos objectifs”, confirme Simon, dans la manifestation berlinoise.