État de droit : la justice européenne condamne la “loi muselière” polonaise, une nouvelle escalade se dessine entre Varsovie et l’Union
Cette réforme, adoptée en 2019 par le parti Droit et Justice (PiS) au pouvoir à Varsovie, est “contraire au droit européen”, a estimé lundi la Cour de justice de l’Union européenne. Le ministre de la Justice polonais Zbigniew Ziobro a réagi en la qualifiant de “corrompue”.
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- Publié le 05-06-2023 à 19h11
- Mis à jour le 05-06-2023 à 19h28
La loi muselière polonaise est “contraire au droit européen”, a estimé lundi la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Ce verdict était prévisible, mais il n’est pas moins significatif, puisqu’il inflige une lourde défaite à la Pologne dans l’un de ses plus grands conflits avec la Commission européenne au sujet de l’état de droit. Alors que cette réforme, adoptée en 2019 par le parti Droit et Justice (PiS) au pouvoir à Varsovie, a mis les juges sous une pression extrême, Didier Reynders, commissaire européen à la Justice, a salué lundi “un jour important pour la restauration d’une justice indépendante en Pologne”.
Encore faut-il que le gouvernement polonais se plie au jugement de la CJUE, dont il tente de s’affranchir, défiant le droit européen de manière inédite. La réaction du ministre de la Justice polonais Zbigniew Ziobro laisse plutôt penser à une nouvelle escalade. “La principale Cour de l’UE est corrompue”, a-t-il déclaré, estimant que cette décision a été écrite “par des hommes politiques” en “violation des traités”.
La décision de lundi remet cependant les points sur les i, rappelant que la “valeur de l’état de droit relève de l’identité même” de l’UE. Et que le contrôle de son respect par les États membres “relève pleinement” de la Cour.
Un bras de fer qui dure depuis deux ans
Saisie par la Commission, la Cour avait agi dès le 14 juillet 2021 pour pallier les effets dévastateurs de cette loi qualifiée de "muselière", car destinée à punir les magistrats osant remettre en question les réformes judiciaires engagées par le PiS. En attendant de rendre son verdict définitif – tombé donc ce lundi -, la CJUE avait demandé à Varsovie de suspendre immédiatement certaines dispositions de cette loi, dont le fonctionnement de la chambre disciplinaire de la Cour suprême polonaise, chargée de mettre au pas les juges. Le gouvernement polonais avait cependant rétorqué en décrétant, via un Tribunal constitutionnel totalement inféodé au pouvoir, que la CJUE n’avait pas son mot à dire sur ces questions. Du jamais vu dans l’histoire de l’UE.
Confrontée au refus de la Pologne d’obtempérer, la justice européenne l’avait condamnée à payer une astreinte d’un million d’euros par jour de non-respect des mesures provisoires. Le compteur a démarré le 3 novembre 2021. Refusant de payer ses factures, Varsovie a accumulé une dette de 533 millions d’euros jusqu’au 20 avril 2023.
À partir de cette date, la CJUE a revu à la baisse l’amende polonaise, la fixant à 500 000 euros par jour. Ce “geste” a fait suite à la décision de Varsovie de réformer de manière cosmétique la chambre disciplinaire, qui a été remplacée par une chambre de “responsabilité professionnelle”, dont l'indépendance n'était pas garantie. Cela ne suffisait donc pas pour mettre fin entièrement aux astreintes journalières, avait estimé le vice-président de la Cour.
Plus de 550 millions d’euros d’amende
C’est sans doute la seule “bonne nouvelle” pour le PiS : avec le verdict de lundi, les factures cesseront de s’accumuler. Au total, sur les deux périodes, l’addition s’élève à plus de 550 millions d’euros. La Commission a jusqu’ici envoyé seize demandes de paiement à Varsovie. En vain. Ces montants seront donc déduits des fonds européens destinés à la Pologne. Sur le fond, le verdict confirme le fait que la chambre disciplinaire ne satisfaisait “pas à l’exigence d’indépendance et d’impartialité requise” et démonte divers éléments de la loi de 2019, qui persistent dans le système judiciaire du pays.
La décision de la CJUE tombe à un moment délicat pour le PiS, alors que plus de 500 000 personnes ont manifesté ce week-end contre ses abus continus de pouvoir. Pendant ce temps, la Commission bloque toujours l’accès du gouvernement polonais à ses fonds pour la relance post-Covid-19, qui s’élèvent à 23,9 milliards d’euros de subventions et 11,5 milliards d’euros de prêts. Ceux-ci ne seront déboursés que lorsque Varsovie aura atteint quatre “super jalons”, liés à la restauration de l’état de droit dans le pays.