Roberta Metsola: "Si vous ne votez pas aux élections européennes, les sièges seront quand même occupés. Par qui voulez-vous être représentés ?"
Les élections européennes se tiendront dans un an. La présidente du Parlement européen préface les enjeux dans un entretien accordé à La Libre Belgique : le climat et la migration, l’économie, la lutte entre le “centre proeuropéen” et les radicaux, le taux de participation…
- Publié le 07-06-2023 à 06h42
- Mis à jour le 07-06-2023 à 14h30
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La législature européenne vient d’entrer dans sa dernière année. Les élections qui renouvellent la composition du Parlement européen et pourraient (ou devraient) influencer le choix de la présidente ou du président de la Commission seront organisées du 6 a 9 juin prochain (selon les pays) dans les vingt-sept États membres de l’Union européenne. À un an du scrutin, la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, a fait le point sur les enjeux du scrutin à venir dans un entretien accordé à une poignée de journaux européens, dont La Libre.
La Maltaise commence par se féliciter des résultats du dernier Eurobaromètre. Publiés ce mardi, ceux-ci indiquent que 56 % des citoyens européens sondés s’intéressent aux prochaines élections européennes. Ce n’est pas énorme, mais cela représente 6 points de plus par rapport à 2018, un an avant les précédentes européennes. Et 67 % des personnes interrogées envisagent d’aller voter (contre 58 % il y a cinq ans, avec, au final, un taux de participation de 50,6 % aux européennes de 2019). “Les chiffres sont étonnamment bons”, constate avec satisfaction la présidente du Parlement européen, les attribuant à ce qui a été accompli par l’Union au cours des quatre dernières années. “Nous avons encore beaucoup de dossiers législatifs pendants sur le climat ou la migration. Nous attendons encore du mouvement pour que nous puissions nous présenter l’an prochain devant les citoyens en leur montrant que nous avons fait preuve d’une unité inédite durant la pandémie de Covid-19, que nous avons créé le fonds européen de relance Next Generation EU, que nous avons apporté un soutien ferme à l’Ukraine, que nous avons avancé sur l’environnement, l’énergie, l’état de droit…”
Le vote à 16 ans, pour lutter contre le désintérêt des jeunes pour la politique
Il ne faudrait cependant pas de céder à la complaisance. Selon l’Eurobaromètre, le niveau d’intérêt pour les européennes est faible dans plusieurs États membres, dont la France (40 %), voire très faible en République tchèque (27 %) ou en Slovaquie (26 %). Dans ce dernier pays, le taux de participation n’avait atteint que 22,1 % lors des élections de 2019. Roberta Metsola a l’intention d’effectuer une tournée dans tous les pays membres, pour insister sur l’importance des européennes. “Mon message sera que si vous n’allez pas voter, les sièges seront quand même occupés. Par qui voulez-vous être représentés ?”.
Je pense que le grand thème des élections de l'an prochain sera l'économie. Nous devons lutter contre le discours qui affirme que l'Union dépense tout son argent pour aider l'Ukraine. Il faut que les gens constatent que l’Europe est une success story qui a des résultats concrets pour eux”.
La présidente du Parlement européen, âgée de 44 ans, est très favorable à l’extension du droit de vote aux européennes pour les jeunes de 16 ans – ce sera le cas dans son pays, Malte, ainsi qu’en Belgique, en Autriche, dans certaines parties de l’Allemagne, tandis qu’il sera possible de voter dès 17 ans en Grèce. “Si nous n’impliquons pas les jeunes électeurs, non seulement à s’intéresser à la politique, mais aussi à choisir leur candidat, alors nous ne serons pas en mesure de combler le fossé que nous constatons partout, avec des jeunes désenchantés, qui considèrent que tous les politiques sont les mêmes”, avertit Roberta Metsola.
La campagne doit se mener au centre
Le risque d’ouvrir le vote aux plus jeunes est qu’ils soient plus sensibles aux arguments des partis situés aux marges de l’échiquier politique, à gauche et à droite. La possible radicalisation de l’électorat européen est d’ailleurs une perspective qui inquiète Roberta Metsola. “Pendant trop longtemps, nous avons pensé qu’en veillant à la stabilité de notre électorat, en nous concentrant sur ceux qui votent pour les partis traditionnels, les extrêmes ne progresseraient pas. Nous nous sommes trompés sur toute la ligne, regrette-t-elle. Il faut que le centre proeuropéen du spectre politique s’adresse à ces électeurs et ne laisse pas le champ aux extrêmes, dont la rhétorique est toujours de donner des réponses simples aux questions compliquées.”
Il faut que le centre proeuropéen s'adresse aux électeurs des partis extrémistes.
Cette déclaration ne manque pas d’intérêt, alors qu’on prête à Manfred Weber, l’actuel chef de groupe des conservateurs du Parti politique européen (PPE) – le premier groupe en importance au Parlement européen, auquel appartient Mme Metsola – l’intention de se rapprocher voire de se coaliser avec des partis très droitiers, comme les Fratelli d’Italia, le parti post-fasciste de la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni. Ni une majorité de droite, ni une majorité de gauche ne sont possibles, calcule Roberta Metsola. “Si les tendances que nous observons se confirment, nous aurons besoin d’une majorité au centre (réunissant le PPE, les socialistes et démocrates, les libéraux de Renew, peut-être les Verts, NdlR)”. Ce qui est dit entre les lignes : faute de quoi le comportement de l’hémicycle sera imprévisible.
Ne pas tendre le bâton du Qatargate aux anti-UE
Le scandale de corruption présumée et d’ingérences étrangères dit du Qatargate a considérablement endommagé l’image du Parlement européen. Ce qui a conduit l’institution à lancer un travail, toujours en cours, de durcissement des règles éthiques et de transparence, basé sur un plan en quatorze points présenté par Roberta Metsola.
L’ONG Transparency international a publié mardi un rapport fustigeant le peu de progrès accomplis, au regard de ce qui était annoncé. “C’est quelque chose d’extrêmement compliqué à faire”, défend Roberta Metsola, qui évoque “des centaines d’heures de négociations, pour définir ce qu’est un conflit d’intérêts, la manière d’imposer des sanctions, prendre des mesures contre le pantouflage (la mue d’anciens eurodéputés en lobbyistes d’intérêts privés).” Le chantier progresse, soutient la Maltaise. La moitié des points ont été mis en œuvre et le travail se poursuit sur les objectifs restants. Roberta Metsola se fixe pour objectif qu’en arrivant au Parlement, les députés de la prochaine législature bénéficient “d’une formation pour gérer l’argent qui leur est attribué, sur les personnes qu’ils peuvent rencontrer ou non, sur la façon de déposer un amendement, sur ce qu’est un conflit d’intérêts”.
Si l’on en croit l’Eurobaromètre, à l’échelle européenne, le Qatargate ne semble pas avoir érodé significativement la confiance que portent les citoyens de l’Union au Parlement européen. Roberta Metsola garde cependant à l’esprit que, le moment venu, l’institution sera jugée sur ce qu’elle aura effectivement mis en place en réponse au scandale. “Je ne sous-estime pas l’intérêt des forces antieuropéennes” d’utiliser celui-ci comme argument de campagne, a fortiori que “ce Parlement européen s’est posé en défenseur de l’état de droit. C’est leur intérêt de nous le renvoyer à la figure. Je ne tomberai pas dans ce piège-là. Je répondrai que j’aurais pu ne rien faire et que j’ai fait le choix de prendre le taureau par les cornes et de faire des réformes”.
Le Parlement veut des têtes de listes européennes
La rumeur a un temps couru que Roberta Metsola pourrait être la Spitzenkandidat du PPE pour la présidence de la Commission européenne. Alors ? Intéressée ? “Non”, coupe-t-elle. “Il y a actuellement une très bonne présidente de la Commission (également membre du PPE, NdlR), qui fait très bien le boulot”. L’Allemande Ursula von der Leyen, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, avait été sortie du chapeau des chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne, brûlant la politesse à tous les candidats désignés des partis politiques européens.
Faute de pouvoir s’entendre pour soutenir l’un d’eux, comme ils l’avaient fait en 2014 avec Jean-Claude Juncker, les groupes politiques du Parlement se sont vus imposer le choix du Conseil européen. Le concept de “vraies fausses” têtes de liste des partis européens n’est pas pour autant enterré, veut croire Roberta Metsola. Qui assure qu’en tout cas, “le Parlement se battra pour ça”.