La Commission propose de créer un organe chargé de fixer les règles éthiques pour les institutions de l'UE (mais pas de les faire respecter)
Le Qatargare a poussé la Commission a tenir la promesse faite en 2019 de créer une telle structure. Elle établirait des normes communes à dix institutions européennes. Mais elle n’aurait pas de pouvoir d’enquête, ni de sanction, ce que déplorent plusieurs groupes du Parlement européen.
- Publié le 08-06-2023 à 18h52
- Mis à jour le 13-06-2023 à 23h22
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La promesse faite par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen de créer un organisme éthique indépendant chargé d’établir des règles communes pour les institutions de l’Union remonte à 2019, déjà. Il aura fallu attendre la dernière année de la législature que la Commission dépose une proposition en ce sens. “La démocratie en Europe ne peut prospérer que si la population fait confiance aux institutions. Et cette confiance se mérite”, a introduit la vice-présidente chargée des Valeurs et de la Transparence, Vera Jourova, en présentant le projet à la presse jeudi à Bruxelles.
Cette présentation qui intervient six mois après qu’a éclaté le scandale de corruption et d’ingérences étrangères présumées au Parlement européen, dit “du Qatargate”. “En Europe, les gens ne distinguent pas si un scandale est né dans l’une ou l’autre institution. Pour rester crédibles, il faut des normes éthiques communes”, a précisé la Tchèque, qui a dit son espoir qu’un accord interinstitutionnel sur la mise en place de cet organisme puisse être trouvé avant les élections européennes de juin 2024.
Cadeaux, voyages, relations avec les lobbyistes, transparence, pantouflage…
Concrètement, le nouvel organisme éthique établirait les normes dans divers domaines : l’acceptation de cadeaux et les voyages et séjours payés par des tiers ; les conditions de rencontres avec des lobbyistes et la transparence sur ces entrevues ; les déclarations d’intérêts et d’actifs ; les règles concernant les activités annexes et extérieures ; les conditions selon lesquelles les anciens membres d’institutions européennes peuvent exercer leurs activités post-mandat…
Les mêmes règles seraient applicables pour la Commission, les députés du Parlement européen, les ministres du pays exerçant la présidence tournante du Conseil de l’UE et le président Conseil européen, les membres de la Cour de justice de l’UE, de la Banque centrale européenne, de la Cour des comptes européenne, du Comité européen des régions et du du Comité européen économique et social. La Banque européenne d’investissement et d’autres organismes pourraient, s’ils le désirent, être partie de l’accord après son entrée en vigueur.
Composé d’un membre par institution, de cinq experts indépendant et d’une présidence (exercée de manière tournante par chaque institution), le nouvel organisme serait chargé, outre d’établir les normes communes, de favoriser l’échange des meilleures pratiques et de promouvoir une culture commune de l’éthique et de la transparence. L'organisme disposera d'un secrétariat de trois personnes et d'un budget annuel de 600 000 euros.
Pour des raisons relatives à la fragile base juridique qui préside à sa conception, l’organisme n’aura pas de pouvoir d’enquête. Celui-ci est réservé au parquet européen ainsi qu’aux polices et juridictions des États membres pour ce qui touche aux atteintes portées aux intérêts financiers de l’Union ; à l’Office européen de lutte antifraude (Olaf) pour les manquements aux obligations professionnelles, ainsi qu’à la Médiatrice européenne et à chaque institution. Autrement dit : l’organisme fixe les règles, mais n'est pas chargé de les faire respecter.
Le Parlement européen n’est pas impressionné
Ce qui est sur la table a fait l’objet de vives critiques. L’ONG Transparency international estime qu’ainsi conçu, cet organisme “renforce le business as usual de l’UE et son approche de contrôle interne” (sous-entendu : inefficace) vis-à-vis des comportements inadéquats des membres des institutions européennes. “Si l’Union européenne veut faire preuve de sérieux dans la lutte contre la corruption dans ses propres rangs, elle doit assurer qu’un organisme de surveillance indépendance ait le pouvoir et les ressources pour enquêter et sanctionner les membres coupables de méfaits”, insiste Nicholas Aiossa, directeur adjoint de la branche européenne de Transparency international.
Au sein du Parlement européen, qui réclamait la création d’un tel organisme, dans le cadre du processus de réformes lancé à la suite du Qatargate, l’accueil n’est guère enthousiaste. Déçu que la proposition ne ressemble que de loin à la Haute autorité française pour la transparence de la vie publique, le groupe libéral Renew, où les élus macronistes forment le contingent le plus important, parlait, avant même la conférence de presse, “de propositions en demi-teinte” et disait craindre qu'”elles ne passent complètement à côté de la position du Parlement”. L’eurodéputé allemand Daniel Freund a regretté, pour le groupe des Verts, que la Commission “soit venue avec une proposition décevante, manquant de puissance et d’inspiration, après avoir traîné les pieds pendant des années”. Sa compatriote allemande du groupe social-démocrate Gaby Bischoff a déploré de son côté une “opportunité ratée”. Les conservateurs du Parti populaire européen se sont, eux félicités de la proposition, non sans avoir exprimé leurs inquiétudes quant au risque de “politisation” de l’instrument.
”Ce n’est pas une structure inoffensive ! Il y aura des mécanismes pour s’assurer que les institutions appliquent efficacement les standards”, a défendu le commissaire Jourova. La Tchèque souhaite que d’ici le 3 juillet prochain, toutes les institutions concernées disent qu’ils sont prêts à travailler sur la base de travail proposée.