Des lecteurs de La Libre lèvent le voile sur la mystérieuse “Lucienne”, dans l'ombre du "Shakespeare turc"
Cet été, un appel était lancé pour en savoir plus sur une femme liégeoise qui avait vécu au siècle passé avec l’un des plus grands poètes turcs. Elle est le personnage central d’un livre de Can Dündar, qui vient de paraître en français. Deux lecteurs ont retrouvé l’acte de naissance de “Lucienne” Maria Sacré.
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- Publié le 23-08-2023 à 10h51
- Mis à jour le 23-08-2023 à 11h00
La belle Lucienne, l’épouse belge d’un des plus grands poètes de la Turquie, était fille de mineur, née le 27 octobre 1891 à Ans. Elle s’appelait en réalité Maria, le prénom que lui ont donné ses parents, Lambert Sacré, mineur, et Marie Catherine Cabay, ménagère. Et son père n’était pas français, comme elle le proclamait, mais belge. C’est ce qu’ont découvert deux lecteurs de La Libre Belgique en se plongeant dans les Archives générales de l’État à la suite d’un appel lancé par le journal dans ses éditions du 9 août dernier.
Pour rappel, “Lucienne” est le personnage central d’une biographie écrite par le journaliste et écrivain turc, Can Dündar. Son livre, paru en Turquie en 2010, a eu un succès important et vient d’être traduit en français aux Éditions Luc Pire (Lucienne et le poète ottoman). Il raconte l’idylle improbable entre cette jeune Belge et le poète Abdulhäk Hamid, considéré à l’époque comme le “Shakespeare turc”.
Une affaire personnelle
Can Dündar et le traducteur du livre, Bahar Kimyongür, avaient fait des recherches sans succès aux Archives de la ville de Liège pour retrouver la trace de cette “Lucienne”, mais c’était sans compter sur le fait que la jeune femme avait grandi en dehors de Liège, rue Hubert Goffin à Ans précisément avant de “monter” à Bruxelles où elle avait séduit le poète qui était alors l’ambassadeur de Turquie à Bruxelles. Avec lui, le couple avait traversé toute l’histoire de la Turquie. Lucienne avait même dansé avec Atatürk.
Can Dündar a fait de Lucienne une affaire personnelle et a même financé la construction d’un tombeau pour remplacer la butte anonyme du cimetière d’Istanbul où il a retrouvé la dépouille de la Belge, tombée dans l’oubli et décédée le 17 juillet 1966.

Petits mensonges et boniments
Au poète, Lucienne s’était présentée comme une future étudiante de l’ULB, âgée de dix-huit à peine, dont le père était contremaître dans les charbonnages à Liège.
Les deux lecteurs de La Libre – Michel Marlier et Charles De Zutter – ont trouvé des éléments qui tendent à montrer que Lucienne était plus âgée de trois ans et davantage une courtisane qui voulait s’extraire de son milieu social et pour cela, vivre à Bruxelles, se faire voir dans des soirées mondaines et rencontrer des diplomates souvent issus des milieux aristocratiques. Elle s’est aussi inventé un prénom – Lucienne – très en vogue à l’époque. “C’est la honte sociale qui l’a poussée à camoufler son identité. En tant que fils de gueule noire et petit-fils de mendiant, je comprends Lucienne. Mon père s’était réinventé un passé par honte d’avoir été pauvre”, raconte Bahar Kimyongür.
Michel Marlier est passionné par la généalogie, membre du réseau mondial Geneanet tandis que Charles De Zutter est féru d’histoires méconnues et vient de publier un livre qui raconte l’histoire du président colombien Santos Gutierrez qui, au XIXe siècle avait déclaré la guerre à la Belgique par dépit amoureux.
La réaction de Can Dündar
“Grâce à ces précieuses recherches”, réagit Can Dündar, “nous découvrons une nouvelle facette de la personnalité de Lucienne. En Turquie, nous avons des portraits et des lettres de Lucienne exposés dans un musée, nous avons aussi des articles de presse et même sa tombe. Sa vie turque est clairement attestée. Par contre, nous n’avions rien d’officiel quant à son passé et son origine belge. L’acte de naissance émis par la commune d’Ans est le premier document officiel belge concernant Lucienne auquel nous avons accès. Nous espérions que la publication en français de mon livre nous aiderait à résoudre l’énigme Lucienne. Grâce à vos lecteurs, c’est chose faite”.
“Ces nouvelles données serviront en cas de réédition du livre et de réalisation d’un film”, poursuit l’auteur, qui a l’intention de se rendre à Ans dans les mois qui viennent pour peaufiner le portrait de cette Belge méconnue. “Nous appelons d’ailleurs vos lecteurs liégeois à se joindre à nos investigations et de contribuer ainsi à enrichir l’histoire de nos deux pays. Au centième anniversaire de la naissance de la République de Turquie, la mise à l’honneur d’une histoire d’amour belgo-turque nous changerait des discours guerriers et fielleux d’Erdogan”.