De nouveaux éléments concernant la mystérieuse disparition de Marwan Berreni, acteur de "Plus belle la vie": "Nous sommes terrifiés"
Le comédien, qui devait participer à la relance de la série fleuve par TF1, est introuvable depuis début août. La nuit de sa disparition, une femme a été renversée à Mâcon par une voiture. L’enquête laisse à penser qu’elle était conduite par l’acteur.
- Publié le 05-09-2023 à 12h32
- Mis à jour le 05-09-2023 à 12h35
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Il arrive tout et n’importe quoi à Abdel Fedala. Dans le petit écran, ce fils de mafieux hébergé ado chez un flic opte pour la carrière d’avocat tout en flirtant sans cesse avec la marge, au point d’intégrer la pègre, parfois pour de vrai, parfois en tant qu’indic. Il est question de blanchiment d’argent, de trafic d’organes, il y a des meurtres ici et là, une incarcération aux Beaumettes au passage, sans parler de sa vie sentimentale à rebondissements. Mais tout finit bien. Lors du dernier épisode de Plus belle la vie diffusé le 18 novembre, Abdel demande Barbara, son amour de jeunesse, en mariage. Happy end. Ecran noir.
Mais qu’est-il arrivé pour de vrai à Marwan Berreni, l’homme qui incarne Abdel ? Le comédien de 34 ans, l’un des interprètes centraux de la série fleuve (dix-huit ans d’antenne, 4 665 épisodes) et culte de France 3, s’est évaporé dans la nuit du 3 au 4 août. Depuis, rien, aucune nouvelle. Les circonstances ? Troubles et pesantes. Insaisissables. A partir d’éléments inédits, Libération a retracé ce qui pouvait l’être, dans un espace étrange où le fait divers rejoint le monde des paillettes et où l’enquête policière est percutée par la notoriété d’un disparu et des enjeux télévisuels d’envergure.
«Elle a une trace de pneu sur le corps»
Tout démarre le 3 août, à Mâcon (Saône-et-Loire). Il est 23h10 lorsque Sandra, 37 ans, s’apprête à traverser la rue du Kilomètre 400. Elle rentre au camping municipal situé pile de l’autre côté du passage piéton, son yorkshire en laisse. La jeune femme loge là temporairement. Son appartement est insalubre et le relogement promis par le bailleur ne vient pas. Sandra rapporte du centre-ville des kebabs à partager avec ses voisins de tente. Elle a choisi ce passage pour s’éloigner un peu de l’entrée du Club 400, une boîte de nuit en vogue dont les abords sont toujours agités. Il y a deux ans, un homme de 22 ans a perdu la vie ici, percuté par un chauffard ivre. Alors Sandra fait attention.
Des lampadaires éclairent suffisamment la voie pour remarquer une grosse voiture style 4x4 stationnée à quelques mètres de là. Elle s’engage. D’un coup, les phares du véhicule s’allument, il démarre en trombe au point que les pneus crissent. Et percute Sandra. S’arrête. Repart en lui roulant dessus. Arrivée à l’hôpital de Mâcon consciente mais détruite, Sandra entend une infirmière s’étouffer : «Elle a une trace de pneu sur le corps.» Du cambouis sur le bassin. Le lendemain, une ITT de vingt-huit jours lui est délivrée. La jeune femme a treize fractures aux côtes, à la clavicule et au plancher pelvien. Un pneumothorax (affaissement du poumon) et des lacérations au foie et aux poumons.
Le commissariat de Mâcon entre en scène. Sur les lieux de l’accident, les enquêteurs ramassent des débris qui leur permettent de déduire que la voiture est une Mercedes GLK. Par ailleurs, les caméras de surveillance de la ville ont filmé l’accident. Les images ne sont pas de très bonnes qualités, mais suffisent à confirmer la version de la dizaine de témoins, principalement des jeunes qui se rendaient au Club 400. Celle d’une scène d’une violence inexplicable.
Injoignable et introuvable
Le 5 août, les gendarmes signalent une voiture en tout point similaire à celle impliquée dans l’accident. Elle est abandonnée le long des vignes, au lieu-dit le Vivier, à Fleurie, à environ une demi-heure de route de Mâcon. Les débris correspondent. Bien informé, Laurent Bollet, reporter au Journal de Saône-et-Loire, a le temps d’aller prendre une photo qu’il publie sur le site de son média. On peut voir distinctement un choc à l’avant gauche du bolide. Son immatriculation renvoie les enquêteurs vers un garage situé à Le Broc, une commune des Alpes-Maritimes. Mais, beaucoup plus intéressant, des documents retrouvés à l’intérieur portent le nom de Marwan Berreni. Lequel a été verbalisé il y a peu au volant de cette même voiture pour défaut d’assurance.
Parmi les papiers retrouvés, le ticket de caisse d’un restaurant a été imprimé une heure après les faits. Par ailleurs, l’analyse de la téléphonie et des radars, tout comme sa présence au Club 400 ce soir-là, pendant au moins une demi-heure, laisse penser aux enquêteurs que Marwan Berreni était au volant. Problème, ce dernier est injoignable. Portable coupé.
Le 8 août, peu après 16 heures, la police débarque chez lui. Il n’y a personne. Sa maison, située dans le village de Fuissé, à quinze minutes de Mâcon, est vide. Le comédien l’a acheté en 2019. Ses parents, qui voulaient fuir la vie parisienne, se sont établis dans le coin il y a une vingtaine d’années. Tout lui plaît en Bourgogne : la proximité avec sa famille, l’emplacement, pile entre Paris et Marseille, où il tournait à cette époque Plus belle la vie, le bon vin (il a été parrain d’un millésime chablisien) et la bonne bouffe (il rêve parfois à voix haute d’ouvrir un jour un resto).
«Rends-toi à la police»
Nous sommes bien loin de la dolce vita lorsque le 11 août, le procureur Eric Jallet ouvre une information judiciaire pour blessures involontaires avec délit de fuite. Elle ne vise personne en particulier. Les proches de Marwan Berreni déclarent à la police sa disparition inquiétante. Un juge d’instruction est saisi. Le 13 août, depuis son lit d’hôpital, Sandra écrit sur le compte Facebook de Marwan Berreni : «J’ai besoin de réponses pour me permettre de me rétablir et d’avancer, rends-toi à la police pour qu’il puisse t’entendre sur les faits. Si c’est vraiment pas toi, pourquoi ne pas donner signe de vie depuis ce jour ?» Insondable question. Ce texte, la victime l’a publié sous la dernière photo postée par le comédien sur les réseaux.
Une image où il apparaît enfant avec son frère, Bilal, artiste plus connu sous le nom de Zoo Project. Diplômé des prestigieuses écoles d’art parisiennes Boulle et Duperré, Bilal commence ado à dessiner des immenses fresques d’humains à tête d’animaux sur les murs du XXe arrondissement de la capitale, où les garçons ont grandi dans un bouillonnement culturel intense. Leur père, Mourad, est le directeur du petit théâtre de l’Echo. Leur mère, Martine, est bibliothécaire. En 2011, alors que Marwan joue dans Plus belle la vie depuis deux ans, Bilal s’envole pour la Tunisie où l’attire le soulèvement populaire. Il entame une œuvre poétique et puissante, en dessinant grandeur nature les martyrs de la révolution qu’il expose dans les rues de Tunis, avant de faire de même dans un camp de réfugiés à la frontière libyenne. Libération et le Monde consacrent de nombreuses pages à son travail.
En 2013, Bilal est à Detroit, aux Etats-Unis, pour poursuivre son travail engagé, lorsqu’il est assassiné, à l’âge de 23 ans, par un groupe de jeunes qui voulaient le dépouiller. Il faut huit mois pour identifier son corps. Une place du XXe arrondissement, inaugurée en 2014, porte son nom. Marwan poste la photo de la plaque sur son compte Instagram en février, accompagné de cette légende : «Il est facile de sortir le gamin de la rue, il est plus dur de sortir la rue du gamin.»
«Ça papote dans tous les sens mais on ne sait rien»
Retour à Mâcon. Les rumeurs bruissent partout dans les rues. On se dit que, forcément, quelque chose cloche. Le procureur Eric Jallet a imposé un silence total autour de l’affaire. Personne n’a le droit de communiquer. Silence de sa part et d’Anne-Lise Furstoss, qui lui a succédé lundi 4 septembre. Silence de ceux qui savent où en est l’enquête. Mais savent quoi ?
Les supputations s’envolent, elles trouvent leur source autant dans la presse people que dans l’imaginaire collectif : «Pourquoi est-il est recherché comme témoin et pas comme suspect ?» «Et si ce n’était pas lui qui conduisait cette voiture qui n’a même pas l’air de lui appartenir ?» «De toute façon, il ne s’est jamais remis de la mort de son frère.» «Il a sans doute décidé de fuir le temps d’éliminer les substances toxiques de son corps.» Sans compter que Berreni avait été placé en garde à vue en février 2022 pour une affaire de tapage nocturne à Saint-Paul-de-Vence (Alpes-Maritimes). Il n’en faut pas plus au bruit de la ville pour l’affirmer : il a paniqué.
L’hypothèse de la fuite – fuite dans le Sud, fuite à l’étranger – est en vogue. Mais fuir comment ? A pied, par les vignes ? Avec un complice venu le chercher ? Un ou une amie ? Sa famille ? «Ça papote dans tous les sens pour raconter je ne sais pas quoi. Mais on ne sait rien. Si on savait, cela rendrait nos nuits plus douces, et à ses parents aussi. On parlera quand on aura quelque chose à dire», répond une proche de la famille. Un réalisateur qui a fait tourner Marwan Berreni : «Tous ceux qui le connaissent sont terrifiés. On a tout de suite pensé à l’affaire Palmade. On s’est dit : “Il a cru qu’il l’avait tuée, il a pété un plomb et s’est barré.” Peut-être qu’il est devenu berger dans le Larzac.»
Réunion de crise
Peut-être. Mais dans la réalité, le comédien était attendu mi-octobre sur le plateau de Plus belle la vie. TF1 et sa société de production Newen ont racheté les droits de ce programme, qui coûtait 27 millions d’euros par an à France Télévisions. C’est peu de dire que les protagonistes de cette relance ont des sueurs froides en cette rentrée. Dans la bande-annonce publiée sur le site de la chaîne pour annoncer en fanfare le retour de la série à partir de janvier, Marwan Berreni est le second personnage qui apparaît à l’écran. Et pour cause. TF1 avait choisi de démarrer l’affaire par une intrigue autour du couple formé par Abdel et Barbara, devenus jeunes parents. Le 29 août au matin, une réunion de crise se tient au siège, dans la tour TF1, autour du patron de Newen, Vincent Meslet, de la directrice générale adjointe chargée des feuilletons et séries longues, Stéphanie Brémond, et des scénaristes.
A l’ordre du jour, cette question : comment lancer la série sans lui ? La décision est prise d’écrire une nouvelle histoire d’ouverture, impliquant d’autres protagonistes, et de laisser Abdel de côté, le temps de voir venir. «Ils se sont remis au travail, même s’ils n’en ont aucune envie», rapporte un artisan de la reprise du programme. Remplacer le comédien par un autre pour ce rôle n’est pas envisagé. Les acteurs qui doivent reprendre le tournage sont trop affectés. Plus belle la vie est une série quotidienne, le casting se vit comme une famille. Il y a ceux avec qui il devait reprendre la série, Léa François, Stéphane Hénon, Cécilia Hornus… Et puis ceux dont le comédien est devenu très proche au fil des années, David Baïot, Dounia Coesens, laquelle apparaît partout sur le fil Instagram de Marwan Berreni et vice-versa. Parmi eux, personne ne souhaite s’exprimer publiquement. Ceux qui répondent nous écrivent : «Je ne peux pas, je ne veux pas m’entretenir sur ce sujet.» Ou bien : «Je ne suis ni en position ni en état de vous parler de mon ami. La situation est suffisamment triste pour que j’y apporte quelque commentaire.» Il y a aussi cette «pensée pour ses parents pour qui la situation est très douloureuse». Une autre proche de la sphère Plus belle la vie commente : «On est tous des humains. Je m’exprimerai quand il sera dans mes bras.»
«On a besoin de silence»
Sandra non plus n’a pas le droit de parler de l’enquête. Son avocate, Me Karen Charret, aimerait pourtant qu’un communiqué soit publié sur l’affaire, mais attend l’accord du parquet. La victime a envie de s’exprimer. Elle a lu dans la presse à scandale qu’elle était toxico, sur les réseaux sociaux qu’elle «faisait ça pour l’argent». Son corps la fait souffrir. Elle rêve d’avoir Marwan Berreni en face d’elle. «A la fin, il va s’en sortir mieux que moi», soupire-t-elle.
Les parents de l’acteur se sont isolés dès le début de l’affaire. Coupés du monde, loin du tumulte et des appels incessants des médias, vécus comme un enfer supplémentaire. «On a besoin de silence», dit simplement son père, Mourad. Le directeur de théâtre et comédien s’est mué ces dernières années en chanteur, auteur, compositeur. Nom de scène : Moody. Sur l’un de ses airs, il fredonne ces paroles : «Etrange, étrange, comme c’est étrange, ces temps qui changent et nous dérangent. Ces temps qui chassent les dieux, les anges. Juste une envie que tout s’arrange. Etrange, étrange, comme c’est étrange […], ce jour sans fin qui nous dérange, qui brouille les pistes, et se rallonge.»