Sécurité en mer Noire: "Si l’Occident reste faible, indécis et lâche, les Russes vont étendre leur autorité"
Entretien avec Gustav Gressel, chercheur au European Council on Foreign Relations (ECFR), spécialiste de la Russie et des questions de défense.
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- Publié le 06-09-2023 à 06h36
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Gustav Gressel, chercheur au European Council on Foreign Relations (ECFR), analyse les enjeux sécuritaires en mer Noire, depuis que la Russie ne veut plus y laisser transiter les céréales ukrainiennes. Moscou a en effet refusé de renouveler l’accord céréalier pour la mer Noire, qui a expiré le 17 juillet dernier.
Depuis, les attaques russes se multiplient contre les infrastructures ukrainiennes servant à produire ou exporter des produits agricoles. Quitte à frapper toujours plus près de la frontière de la Roumanie, pays membre de l'Otan. Moscou a également renforcé sa surveillance des va-et-vient en mer Noire, cherchant à bloquer le passage vers et depuis les ports ukrainiens. Le 12 août, un patrouilleur russe a ouvert le feu en direction du navire Sukru Okan, battant pavillon des Palaos. Moscou assure qu'il se dirigeait vers l'Ukraine. Les données montrent néanmoins qu'il naviguait le long de la Bulgarie, en direction du port roumain de Sulina.
Tous ces incidents illustrent donc la montée des tensions en mer Noire.
En quoi l’initiative céréalière en mer Noire avait-elle permis de sécuriser la région ?
Un corridor maritime avait été établi pour les exportations de céréales (ukrainiennes). Un bureau de liaison avait été créé pour la marine russe et la marine ukrainienne, qui était géré par les Turcs.Les Ukrainiens annonçaient donc le départ d’un cargo chargé de céréales. Les Turcs l’escortaient ou, à la demande des Russes, le fouillaient pour vérifier qu’il n’était chargé que de céréales. Il s’agissait donc d’un arrangement qui prévoyait des itinéraires préétablis, selon lesquels il était interdit d’attaquer ou de monter à bord du bateau.
Cet arrangement a disparu. Et maintenant, les Russes lancent également des drones et des missiles contre les infrastructures qui produisent les céréales ukrainiennes.
Quelle est la situation actuelle ?
Les Russes ont annoncé que tout navire se dirigeant vers les ports ukrainiens sera considéré comme un navire de guerre. Cela relève de la guerre commerciale habituelle comme nous l’avons vu au cours de la Première et de la Deuxième guerre mondiale. Vous déclarez les eaux de l’ennemi comme une zone de guerre et vous pouvez donc attaquer les navires qui s’y trouvent sans avertissement. Cela vaut pour les navires de guerre, les navires commerciaux, même les navires neutres. Les Ukrainiens ont donc aussi déclaré que les ports russes et de la Crimée occupée sont une zone de guerre et qu’ils pourraient attaquer avec des drones aquatiques.
L’Ukraine craint d’être complètement coupée de l’exportation de céréales, elle utilise donc une autre voie pour transporter les céréales vers les ports du Danube, puis via le canal du Danube jusqu’à Constanta en Roumanie. Les bateaux se retrouvent donc dans la zone économique exclusive roumaine et dans les eaux territoriales roumaines, puis se dirigent vers le Bosphore. Cela fonctionne assez bien, mais ces ports du Danube ne sont pas bien reliés à l’arrière-pays et il y a un gros embouteillage à travers la Moldavie, parce que les Russes ont attaqué à deux reprises le pont qui enjambe la rivière Dniestr en Ukraine. Donc en gros, il n’y a plus qu’une route qui traverse la Moldavie.
Les tensions se sont intensifiées près de la Roumanie, un pays membre de l’Otan. Un incident pourrait-il internationaliser le conflit ?
La Roumanie et la Bulgarie craignent que les Russes utilisent ce prétexte pour interférer avec leur trafic maritime et empiéter sur leur propre zone économique exclusive. Elles aimeraient voir une présence maritime internationale plus importante, des patrouilles par d’autres pays de l’Otan, afin de protéger les navires dans leurs zones économiques exclusives. En théorie, la Russie n’a aucun droit d’interférer avec les navires qui partent des ports roumains ou bulgares vers les détroits turcs. Mais la théorie du droit international n’est pas ce qui empêche Poutine faire quelque chose...
À un moment donné, l’Otan et les Américains devront réagir. Les Russes ne peuvent pas se permettre une guerre avec l’Otan, donc ils battront en retraite pour l’éviter. Le problème, c’est qu’en attendant, si l’Occident reste faible, indécis et lâche, s’il ne trace pas de lignes sur le terrain par lui-même, les Russes vont étendre leur autorité, à empiéter davantage (sur les zones en mer Noire).