Contraint par le Qatargate, le Parlement européen renforce ses règles d’intégrité et de transparence
Les députés européens devraient adopter, ce mercredi, une réforme importante du règlement intérieur de l’institution afin de réduire les risques de conflits d’intérêts et la répétition de scandales de corruption. À gauche, certains regrettent que le texte n’aille pas assez loin, tandis qu’à droite, d’autres le jugent trop intrusif.
- Publié le 12-09-2023 à 22h34
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Il aura fallu attendre le déclenchement retentissant du Qatargate pour que le Parlement européen, obligé de réagir, s’emploie à renforcer les règles que sont censés respecter les députés en matière d’intégrité et de transparence. Neuf mois après les premières révélations sur des faits présumés de corruption et d’influence étrangère, les eurodéputés réunis en séance plénière devraient amender le règlement intérieur de l’institution, ce mercredi, afin de réduire le risque que semblable scandale se reproduise. “La transparence, c’est l’oxygène de la démocratie”, a défendu lundi soir la sociale-démocrate allemande Gabriele Bischoff, lors du très consensuel débat sur son rapport sur les réformes à entreprendre, qui sera soumis au vote de la plénière.
La feuille de route avait été tracée par un plan en 14 points présenté dès janvier par la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola. La Maltaise avait insisté pour que le plan, dont les chefs des groupes politiques avaient approuvé les principes le mois suivant, accouche de propositions concrètes, adoptées d’ici à la fin de la législature. Nous y sommes (presque), même s’il est apparu, au fil des travaux “que les niveaux d’ambition différaient beaucoup”, a concédé Mme Bischoff.
Une surveillance accrue des activités annexes des élus
Le plan de réforme prévoit que les députés européens ne puissent plus rencontrer, dans le cadre de leur travail parlementaire, que des représentants d’intérêts enregistrés au registre de transparence du Parlement. Les portes du Parlement ne seront donc plus grandes ouvertes aux anciens députés, ce dont avait largement bénéficié l’Italien Pier-Antonio Panzeri, architecte du réseau de corruption. Ces derniers devront respecter un délai de six mois après leur mandat avant de pouvoir faire du lobbying auprès de leurs anciens collègues et devront s’accréditer à chaque visite.
Les députés (et leurs assistants) devront mentionner les rendez-vous avec des représentants des États tiers – sauf en cas de nécessaire confidentialité. Les rapporteurs – les élus en charge de l’élaboration d’un texte législatif – devront, eux, signaler qui ils ont rencontré dans ce cadre. Les groupes “d’amitié” avec des pays tiers, qui n’ont pas d’existence légale, ne pourront plus utiliser les installations et les ressources du Parlement quand ils “doublonnent” avec une délégation parlementaire officielle.
La réforme vise également à ce que l’institution soit mieux informée des activités annexes des élus. Les activités rémunérées devront être déclarées au-delà d’un seuil de 5000 euros par an, avec obligation d’indiquer l’entité et le domaine de l’activité rémunérée. L’interdiction de pratiquer le lobbying rémunéré est confirmée – la Gauche et les Verts ont déposé un amendement commun pour étendre cette interdiction aux activités de Conseil. Les rapporteurs et rapporteur fictifs (les élus des groupes autres que celui du rapporteur, qui travaillent à l’élaboration d’un texte législatif) et les membres des délégations parlementaires devront attester, par écrit, qu’ils ne sont pas en situation de conflits d’intérêts – par exemple, la participation au conseil d’administration d’une entreprise. Et agissent en conséquence, si c’est le cas. Il est aussi question de mettre en place une déclaration de patrimoine obligatoire auprès des autorités compétentes en début et en fin de mandat.
“Le problème, ce ne sont pas les règles, mais le respect des règles”, a rappelé lors du débat de lundi soir la Néerlandaise Dorien Rookamer (Conservateurs et réformistes européens). C’est apparu de façon évidente, lorsque la presse a commencé à tirer le fil de la pelote du Qatargate. Le rapport renforce le comité consultatif, qui sera composé de cinq députés, auxquels s’ajouteront trois experts indépendants. Il pourra être, comme le Bureau (la présidente et les vice-présidents) saisi d’une infraction. Le texte muscle l’arsenal de sanctions pour les élus contrevenants, allant du blâme jusqu’à une perte d’immunité pouvant couvrir une période maximale de 60 jours – deux fois plus qu’actuellement.
Une réforme, même imparfaite, à tout prix
“C’est la réforme la plus importante qui ait jamais été entreprise”, souligne-t-on dans l’entourage de la présidente Metsola qui a mis tout son poids politique dans la bataille pour que le chantier progresse, en dépit des réticences. Mais dans les groupes de gauche et chez les libéraux, on aurait espéré resserrer le cadre davantage. “On est loin du texte de la résolution que nous avions voté en décembre”, regrette l’eurodéputé belge Marc Botenga (PTB-La Gauche).
“Le Parti populaire européen (PPE, conservateurs) ne veut pas davantage de transparence vis-à-vis du patrimoine”, pointe sa compatriote verte Saskia Bricmont. Mardi matin, le chef du groupe PPE, Manfred Weber, a indiqué que si les siens appuyaient le plan de Roberta Metsola – une des leurs – ils devaient encore arrêter sa position sur le rapport “en raison des amendements qui vont plus loin que les 14 points”.
Il est cependant improbable que le PPE prenne le risque de faire tomber un rapport renforçant l’intégrité et la transparence au Parlement européen. À bonne source, on assure que la majorité des élus PPE, groupe le plus important de l’hémicycle, ne fera pas défaut, même si la délégation allemande – première force du groupe – s’émeut de ce qu’elle considère comme une restriction “de la liberté du mandat”.
“On sent bien que la consigne est “pas de vague”, parce qu’on a absolument besoin d’un texte à présenter avant les élections européennes”, constate le Français Raphaël Glucksmann (groupe des socialistes et démocrates). “Si nous échouons cette fois-ci, nous enverrons que ce Parlement européen n’a pas de problème à abriter des députés qui profitent de leur mandat au détriment de la démocratie”, prévient la verte française Gwendoline Delbos-Corfield.