"Quand un type comme Zemmour fait d’un coup 15 %, c’est le signe que la France va mal. Ajoutez Le Pen, et les psychopathes de l’extrême gauche…"
“Il faut reconnaître que la France est en déclin”, estime F.-O. Giesbert. Pourtant, la France est réformable, le général de Gaulle l’a prouvé. Mais il faut restaurer l’autorité…
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Publié le 30-11-2021 à 13h30 - Mis à jour le 03-12-2021 à 21h40
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Invité à la tribune des Grandes Conférences catholiques, Franz-Olivier Giesbert, éditorialiste au Point, analyse pour La Libre cette curieuse campagne électorale française qui s'annonce. Il vient de publier le premier tome d'une Histoire intime de la Ve République (Éd. Grasset) consacrée au général de Gaulle. À l'entendre, ses successeurs n'arrivent pas sa cheville.
Vous avez connu tous les Présidents de la Ve République à l’exception de son fondateur, le général de Gaulle. Qu’avez-vous découvert d’essentiel qu’on ne savait pas déjà sur lui ?
On ne peut pas réduire de Gaulle à une seule chose. Comme me l’a répété Pierre Messmer, qui avait été ministre des Armées du général de Gaulle pendant près de dix ans et sera ensuite Premier ministre de Georges Pompidou, on ne peut pas comprendre de Gaulle si on ne sait pas que c’était un original qui tenait des discours farfelus pour faire réagir ou tester une idée. Il avait souvent des propos provocants. Il ne faut surtout pas le prendre au premier degré.
Vous écrivez que sur la décolonisation de Gaulle avait beaucoup d’avance sur les autres. Pourquoi ?
On a cru qu’il arrivait au pouvoir pour garder l’Algérie française et toutes les colonies. Non. Dès qu’il est arrivé au pouvoir, sa volonté a été de décoloniser l’Afrique, cela s’est passé très vite et très bien. À part quelques problèmes comme en Guinée. Il a gardé de très bons contacts avec les chefs d’État africains, qui avaient tous leur rond de serviette à l’Élysée. L’Algérie, il savait que cela serait plus long. Il disait : le drame de l’Algérie, c’est qu’il y a un million d’Européens en Algérie, c’est trop pour s’en aller, ce n’est pas assez pour rester… Dès les années trente, on trouve dans ses écrits des éléments de phrases qui ressemblent au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Il estime que les civilisations peuvent cohabiter, mais il croit à la nation. Pas au nationalisme : pour lui le nationalisme est la haine du patriotisme.
Était-il européen ?
Oui, mais il est pour l’Europe des nations. L’espèce d’Europe jacobine actuelle, avec des technocrates qui décident tout, ne lui aurait pas plu. Il aurait plaidé pour une Europe dans laquelle chaque État garde une marge de manœuvre, comme dans toute fédération.
Il a pu changer le pays en quelques semaines alors que la France paraît incapable de se réformer…
Quand de Gaulle arrive au pouvoir, il a 67 ans, il a le corps d’un homme de 80 ans, à cause des trois paquets de cigarettes qu’il a fumés pendant longtemps, des blessures à la guerre 14-18, des privations, du manque de sport, de la façon de se nourrir ; "tante Yvonne" lui prépare des plats avec beaucoup de crème… Il est fatigué, usé et pourtant il n’a que 67 ans. Il a toujours des crises de dépression. Et cela continue, il a encore de grosses déprimes en 1959 alors qu’il vient de s’installer dans son bureau à l’Élysée, il a envie de partir. Il a l’obsession du maréchal Pétain, qui a fini chef d’État gaga… En même temps, celui lui donne cette force : ça passe ou ça casse. Sa grande phrase est : les chiens aboient, la caravane passe. On décide, on y va. L’art de gouverner selon de Gaulle, c’est quand on veut, on peut et on le fait vite. Il délègue beaucoup aussi. Il a une capacité à faire confiance, une écoute, il peut changer d’avis.
Comment a-t-il pu réformer la France alors que ses successeurs peinent chaque fois à y arriver ?
La France est réformable, le général de Gaulle l’a prouvé. Il dit souvent aux peureux, à ceux qui n’osent pas le suivre, qu’ils n’ont pas de c…. Lui considère qu’il en a. Quand il décide quelque chose, il faut que ce soit fait. Il n’arrête pas de fouetter ses ministres. Il est exigeant. Il n’a pas peur de prendre les meilleurs, des gens qui lui tiennent tête. Ce qui n’est pas tout à fait le cas de l’actuel président français, qui a peur des têtes qui dépassent. La France n’est ingouvernable que pour ceux qui ne savent pas la gouverner. Il y a aussi un problème avec les Français qui sont nerveux, émeutiers, ils aiment les psychodrames. La classe politique semble souvent terrorisée par le peuple, c’est très malsain.
Tout le monde politique ou presque se réclame du général de Gaulle. Qui est son héritier ou son héritière ?
Il n’appartient à personne, c’est un personnage historique, comme Jeanne d’Arc. Et il appartient à tout le monde, c’est un modèle. Il est clair que les Républicains sont dans la filiation, dans l’héritage. Mais il fallait voir comment de Gaulle parlait des gaullistes : il ne les aimait pas. L’esprit gaulliste peut aussi se retrouver à gauche. Même Mitterrand, d’une certaine façon, avait mis les bottes du général de Gaulle, sur la politique étrangère par exemple.
De Gaulle a donné un sursaut à la France. Est-ce possible aujourd’hui, demain ?
De Gaulle a donné confiance à la France. Je ne suis pas décliniste, mais il faut reconnaître que la France est en déclin, comme l’Occident. On s’en rendra compte très vite, avant cinq ans, quand la Chine dépassera les États-Unis, l’Inde ne sera pas loin derrière. L’avenir du monde se joue dans l’autre hémisphère. Notre tour reviendra un jour. Les déclins ne sont jamais définitifs. Les civilisations sont mortelles mais peuvent renaître sous d’autres formes. Le problème n’est pas tant dans le déclin que dans la décadence. En France, on a le sentiment de vivre dans la décadence, c’est-à-dire le délitement, l’absence totale d’autorité, de respect, les incivilités, la saleté des grandes villes, les lois qui ne sont pas appliquées. On est dans une mauvaise période, mais cela se redresse. Il suffit de le vouloir, de Gaulle l’a montré.
Qu’est-ce qui caractérise l’actuelle campagne ?
Tout le monde est très sceptique sur ce qui va changer. En 2016, il y avait un élan, les gens étaient persuadés qu’il y aurait des réformes : Alain Juppé portait cet espoir, puis Fillon, puis Macron. Cette envie est absente, mais on verra en janvier. Pour l’instant, c’est la résignation avec un bloc de droite dure qui fait la moitié de l’électorat, sinon davantage. Ce n’est pas la droite qui se droitise, c’est le pays.
Pourquoi ?
Zemmour a imposé son positionnement très raide et a acquis rapidement 10 puis 15 % d’intentions de vote. Là, il redescend un peu. Il y a une inquiétude dans le pays et il la porte. Il y a évidemment l’immigration. Mais il y a aussi le sentiment de perte totale d’autorité à tous les étages de la société, de je-m’en-foutisme. Je ne suis pas un pessimiste, mais j’enrage.
Qui va gagner la primaire des Républicains ?
Honnêtement, je ne sais pas trop. Xavier Bertrand est le favori des sondages, mais cela ne veut rien dire. Michel Barnier, c’est clair, a une stature. Valérie Pécresse a bien progressé dans les débats : elle pourrait prendre l’ascendant car elle a donné le sentiment d’avoir une forme d’autorité. Les gens cherchent quelqu’un qui décide, qui tranche.
Et pour l’élection présidentielle alors ? La gauche peut-elle encore se hisser au deuxième tour ?
Ah, cela paraît difficile ! Les chiffres sont dérisoires. Mélenchon sera devant, mais je ne pense pas qu’il puisse gagner une élection présidentielle, il est tellement à l’extrême gauche. Le PS ? Il y a eu une bande de croque-morts, de liquidateurs judiciaires, qui ont pris le pouvoir : Hamon, Montebourg, etc. Les frondeurs ont tué le Parti socialiste. Ils seront dans les poubelles de l’Histoire. Ils doivent partir d’urgence et laisser la place à des gens intéressants, comme Stéphane Le Foll, le maire du Mans, par exemple.
En France, l’environnement est quasi absent du débat…
Si la France allait mieux, on en parlerait plus. Quand un type comme Zemmour fait d’un coup 15 %, c’est le signe que la France va mal. Ajoutez Le Pen, et les psychopathes de l’extrême gauche. Cela fait un paquet de gens qui ont envie de tout casser dans le pays. C’est très inquiétant.
Quel bilan dressez-vous du quinquennat d’Emmanuel Macron ?
Je suis finalement très sévère. L’homme a beaucoup de talent, est très intelligent, il va vite… Mais il lui manque deux ou trois convictions fortes. La seule qu’il ait vraiment, c’est l’Europe.
C’est déjà très bien…
Oui, mais pour rassurer les Français, la conviction qu’il doit avoir, c’est la République, la loi. Des choses simples, basiques que Mitterrand et Chirac avaient. Il n’a pas cela. Mais cela peut venir. Quand les politiques répètent des choses, ils finissent par y croire.
La pandémie ne lui a peut-être pas permis de faire tout ce qu’il voulait…
Il a mal gouverné. Quand on a un peu de bouteille, les réformes, il faut les faire tout de suite. Cela ne sert à rien d’étaler, sinon on ne les fait pas. Sont arrivés assez vite les "gilets jaunes", qu’il a très mal gérés. Il fallait écouter, discuter, régler le problème, faire une grande conférence. S’il fait un deuxième mandat, il faudra qu’il se réveille. Son premier mandat correspond à une période de stage. Il est en train de faire cet effort, il mute un peu en ce moment. Il doit se dépêcher. Parce que son quinquennat a été très décevant… Je ne suis pas un adversaire de Macron, je pense juste qu’il n’a pas été bon. Qu’il a même été mauvais. Mais, à son âge, il peut encore changer.
Vous pensez donc qu’il sera réélu ?
C’est loin d’être fait. S’il y a un bon candidat des Républicains, Bertrand ou Pécresse, il peut passer un mauvais quart d’heure. Cela peut devenir très compliqué pour lui.
