Un favori absent, une outsider métamorphosée… et les autres: retour sur les moments forts de cette campagne présidentielle
A deux jours des élections présidentielles françaises, on fait le point sur ce qu'il faut retenir de la campagne.
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- Publié le 08-04-2022 à 19h10
- Mis à jour le 08-04-2022 à 23h21
Cette "campagne Tefal", où "tout glisse", selon le bon mot du sondeur Brice Teinturier, serait dénuée de propositions fortes. Elle serait pliée d'avance puisque Emmanuel Macron va à nouveau l'emporter. Elle manquerait en outre de trahisons, de coups de théâtre et d'affaires politico-financières croustillantes. N'en jetez plus ! C'est oublier un peu vite que cette campagne présidentielle a été marquée par l'irruption tonitruante d'un polémiste ultra-conservateur, par la banalisation insidieuse des extrêmes (désormais crédités de 40 % des voix), par la disparition dans les limbes de la candidate socialiste et, dans une moindre mesure, de la candidate républicaine, et par l'étonnante cote de popularité d'un président-candidat pourtant haï par une partie de ses administrés…
Éric Zemmour monte, monte, monte
Souvenons-nous : à l'automne 2021, chaque camp désigne son champion, bon gré, mal gré. L'eurodéputé Yannick Jadot remporte ric-rac la primaire des écologistes fin septembre ; la maire de Paris, Anne Hidalgo, est désignée candidate à la présidentielle par les militants socialistes mi-octobre faute de réel challenger ; et, contre toute attente, Valérie Pécresse obtient de justesse le suffrage des militants républicains réunis en congrès début décembre, face à un Xavier Bertrand dépité qui s'y voyait déjà. Mais, à l'approche de l'hiver, c'est un homme jamais élu, sans parti, ni troupes, qui cristallise l'essentiel de l'attention médiatique : Éric Zemmour, surnommé le "Z" par ses fans, un mélange détonnant de jeunes bourgeois catholiques et de Français issus de la classe moyenne de province. L'ancien chroniqueur du Figaro et de CNews dénonce "le péril migratoire", veut "que la France reste la France". Il se targue de "dire tout haut ce que des millions de Français pensent tout bas", et cela plaît. À force de le voir monter, monter, monter - il gagne dix points dans les sondages en moins d'un mois et demi, un record -, sa possible candidature affole l'extrême droite, la droite et jusqu'au chef de l'État. Mais à la rentrée de janvier, sur fond d'un Covid qui s'éternise, sa voix porte soudain moins.
La "galère" des parrainages
À gauche émerge en ce début d'année 2022 une drôle d'initiative. La "Primaire populaire" est censée départager des candidats incapables de s'allier, en leur attribuant des mentions allant de très bien à insuffisant. Près de 400 000 personnes participent au vote en ligne. Christiane Taubira l'emporte sur quelques inconnus et sur les gros candidats de la gauche qui avaient pourtant refusé d'y participer. Finalement, l'ex-ministre ne parvient pas à réunir les 500 parrainages d'élus nécessaires pour valider sa candidature et se retire de la course à l'Élysée dans une relative indifférence. Malgré leurs cris d'orfraie, tous les autres gros candidats qui "galéraient", pour reprendre les mots de Marine Le Pen, à engranger les signatures requises y parviennent finalement avant la date butoir.
En février toujours, un homme, inconnu au bataillon, réalise une percée inattendue. Le communiste Fabien Roussel, doté d’une belle gueule et d’une certaine gouaille, fait revenir un temps dans le débat les questions sociales comme la hausse du Smic, le retour aux nationalisations ou le triplement de l’impôt sur la fortune.
Macron ne descend pas dans l’arène
Depuis l'Élysée, Emmanuel Macron observe les soubresauts de la campagne. Il ne s'est toujours pas déclaré, au grand dam de ses rivaux contraints de boxer dans le vide. Anne Hidalgo tacle "un président de la République sortant qui refuse le débat, qui enjambe l'élection". Le 4 mars, une semaine après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, il envoie finalement une lettre de trois pages, publiée dans la presse quotidienne régionale. La déclaration est minimaliste, et pourtant le président sortant prend le large dans les sondages. L'offensive russe le place en surplomb, "effet drapeau" oblige. Il entame alors une campagne de père de famille : service minimal, un seul meeting, peu d'idées innovantes et pas de débat avec ses concurrents avant le premier tour. Pourquoi se mouillerait-il, lui qui est crédité de 24 à 29 % des voix depuis un an ? "Je vais chercher la confiance de nos compatriotes parce que j'ai acquis une expérience des crises, une expérience internationale, j'ai appris aussi de mes propres erreurs", confie-t-il au Figaro, misant visiblement davantage sur son bilan que sur ses propositions.
Pécresse aux mains liées
À un mois du scrutin, les masques tombent. À gauche, Jean-Luc Mélenchon sort du lot et s'installe à la troisième place dans les sondages. Le candidat de l'Union populaire réalise une belle fin de campagne, galvanise des dizaines de milliers de personnes à Paris, Marseille, Toulouse. S'il parvient à gagner le vote utile à gauche et à incarner le rempart à l'extrême droite, alors, il en est sûr, il peut se glisser dans un trou de souris le 10 avril et atteindre le second tour… À droite, Valérie Pécresse voit la campagne lui filer entre les doigts. Elle se voyait en chiraquienne libre et moderne, elle se retrouve "ciottisée", les mains liées par son équipe de France, incapable de mener la campagne qu'elle imaginait. Sa cote s'érode lentement depuis son meeting raté au Zénith de Paris. Elle a beau sillonner la France - 52 déplacements à son actif, bien plus que ses rivaux -, "elle n'imprime pas", comme dirait Nicolas Sarkozy, qui la dézingue en privé. Éric Zemmour, lui, paye sa complaisance à l'égard de Vladimir Poutine et son refus initial d'accueillir des réfugiés ukrainiens. Tous deux stagnent autour des 10 %.
De son côté, Marine Le Pen mène une campagne à bas bruit et sans dérapages, au plus près du terrain et des Français. Merci Éric Zemmour, qui l’a davantage dédiabolisée en six mois qu’elle n’avait réussi à le faire en dix ans. Elle et Emmanuel Macron ont tout fait pour verrouiller le match, pour s’imposer en seuls adversaires possibles. Ils y sont parvenus.
Ces derniers jours, Emmanuel Macron voit tout de même fondre l’avance qu’il avait sur sa poursuivante (la faute à une absence de dynamique notoire plus qu’au "McKinsey Gate"), alors que Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon grappillent encore des intentions de vote. La campagne s’achève. Un quart des électeurs ne savent toujours pas pour qui ils vont voter, un tiers, d’ailleurs, n’ira sans doute pas à l’isoloir… Plus que jamais, les jeux sont ouverts. Pas intéressante, cette élection ?