Franz-Olivier Giesbert: "Je suis surpris par le score d'Emmanuel Macron"
Qui est le réel vainqueur? Qui a tout perdu? Comment vont se dérouler les deux semaines à venir pour Macron et Le Pen? L'éditorialiste Franz-Olivier Giesbert tire les principaux enseignements du premier tour de la présidentielle française.
- Publié le 11-04-2022 à 14h04
- Mis à jour le 22-04-2022 à 22h50
Le 24 avril prochain, les Français devront à nouveau départager Emmanuel Macron et Marine Le Pen, sortis vainqueurs, comme en 2017, du premier tour de l'élection présidentielle française. Mais sont-ils les seuls gagnants de ce premier round? Et à contrario, qui en sont les perdants? Franz-Olivier Giesbert, célèbre éditorialiste français, qui a récemment publié les ouvrages "Histoire intime de la Vᵉ République : le sursaut" (Gallimard) et "En attendant de Gaulle" (Albin Michel), tire de premières conclusions des résultats de ce premier tour. Et donne quelques projections pour les deux semaines à venir. Interview.
Quels sont les principaux enseignements à tirer de ce premier tour?
Je dirais qu'on peut d'abord y voir trois succès: une nette victoire pour Emmanuel Macron, qui n'est pas soulignée tant que ça par la presse. Un autre succès pour Marine Le Pen, qui s'impose comme l'opposante numéro 1, et un dernier pour Jean-Luc Mélenchon, même si lui ne sera pas présent au deuxième tour.
Ensuite, quand on regarde un peu les résultats, on voit que ce premier tour est le triomphe des ultra-contestataires. La France aujourd'hui a une majorité extrémiste, que ce soient les extrémismes de gauche ou de droite. Le Pen et Zemmour rassemblent 30%, et si vous rajoutez les 22% de Mélenchon - et les voix éparses de quelques candidats plus ou moins radicaux -, vous arrivez aux alentours de 55%. Et 55% d'ultra-contestataires en France, c'est un phénomène important.
Troisièmement, on peut noter la quasi disparition des grands partis traditionnels, qui ont structuré la vie politique pendant une grande partie de la Ve République, c'est-à-dire le Parti socialiste d'un côté, et le Parti gaulliste de l'autre, les Républicains.
Comment interprétez le score assez important de Jean-Luc Mélenchon (21,95%) à cette présidentielle, qui ne lui ouvre toutefois pas les portes du second tour ?
C'est une grande victoire, mais il y a là aussi une forme d'imposture, dont le candidat de la France insoumise n'est pas à l'origine. Les médias, en France notamment, le présentent comme le candidat de la gauche. Mais il n'a pas un programme de gauche: il est le candidat de l'ultra-gauche. On ne peut pas dire qu'il incarne une forme d'alternance. On n'a pas de gauche ici, on a juste une ultra-gauche qui n'a pas de réserve. Mélenchon a 22% des suffrages, et si vous rajoutez un petit coup par-ci, un petit coup par-là, vous avez une gauche qui fait 25%. C'est une faillite. Cette gauche ne peut pas arriver au pouvoir, avec 25% vous n'avez aucune chance. Et puis à son âge, Mélenchon est maintenant un peu condamné à laisser la place, par la force des choses. On ne le voit pas être élu à la présidence à 75 ans... Cette troisième place au premier tour représente donc à la fois un beau succès personnel pour Mélenchon et un échec politique aussi, car son fond d'action s'est réduit.
Marine Le Pen n'a-t-elle jamais été aussi proche de l'Élysée?
Oui. Cependant, quand on regarde les chiffres, on ne l'imagine pas encore présidente de la République. Par contre, contrairement à 2017, elle a des réserves de voix: chez Zemmour, mais aussi chez Jean-Luc Mélenchon. Les sondages disent que parmi les 22% d'électeurs qui ont voté pour la France insoumise, un tiers serait prêt à voter pour Marine Le Pen. Et je pense que ce nombre peut être plus important. Bien sûr, cela dépendra du débat et de la campagne qui s'ouvre. Mais il y a des points communs entre les extrémismes de gauche et de droite, il y a beaucoup de passerelles entre les deux. Sur le plan social par exemple, la candidate RN parle beaucoup de pouvoir d'achat. Elle a un programme qui parle à une certaine gauche, aux classes populaires. Et puis Marine Le Pen a un discours beaucoup plus consensuel maintenant. Elle a un peu adouci ses propos. Elle est moins clivante qu'auparavant.
La victoire de Macron est-elle teintée de défaite, au vu du résultat serré avec Le Pen?
Non, je ne pense pas. Il s'impose clairement. C'est vrai que Marine Le Pen est proche, mais je faisais partie de ceux qui pensaient qu'elle serait plus proche que cela, et même qu'elle serait devant Macron. Ce dernier a réussi grâce au phénomène du vote utile: on voit clairement que les Français ont voté au premier tour comme ils l'auraient fait au second. On dit toujours qu'au premier tour, on choisit et qu'au deuxième, on élimine. Ici, les citoyens ont effectué un premier tour en éliminant. Il y a beaucoup d'électeurs écologistes qui ont voté directement Mélenchon, et des électeurs LR qui ont donné leur voix directement à Macron, car il y avait le danger Le Pen.
Les deux candidats se retrouvent face-à-face comme en 2017. En quoi leur duel est différent cette fois?
Marine Le Pen est beaucoup plus forte et elle a des réserves de voix. En 2017, elle n'avait aucune chance, là il y a un trou de souris, par lequel elle pourrait passer. Je n'y crois pas mais c'est une hypothèse que l'on ne peut pas exclure. Elle a une petite chance.
À quoi peut-on d'ailleurs s'attendre pour les deux semaines à venir et pour le débat du 20 avril?
Quoi qu'il en soit, Emmanuel Macron a intérêt à mouiller sa chemise maintenant. Il n'a pas du tout fait campagne jusqu'ici, c'est pourquoi je suis surpris par son score. Il ne peut pas se permettre de continuer à faire une campagne en touriste, les Français l'attendent maintenant. Parce que là, il semble pécher par arrogance. À côté de ça, je pense qu'on peut s'attendre à un débat télévisé assez classique, car les deux candidats ont beaucoup à perdre, ou à gagner. On n'aura pas le phénomène de la non-préparation de Marine Le Pen, qui était arrivée la bouche en cœur face à son adversaire en 2017. Quand on regarde les chiffres, Macron devrait l'emporter facilement, mais on ne peut pas exclure que Marine Le Pen gagne le débat, et cela changerait la donne. Macron est largement favori, mais s'il ne se débrouille pas bien, tout peut se renverser. Je n'y crois pas, mais c'est une hypothèse à envisager. En 2017, elle a perdu à plate couture, mais aujourd'hui, je ne la vois pas perdre de la même façon.
Une autre échéance importante attend la classe politique française après le second tour: les législatives du mois de juin. Que peut-on présager pour ce scrutin ?
Il est possible que les Français jouent un mauvais tour à Macron. Souvenez-vous de 1988, quand François Mitterrand avait gagné la présidentielle mais qu'à sa grande surprise, les socialistes avaient perdu la majorité aux législatives. Cette fois-ci, il y a un petit risque, que Macron va essayer de conjurer, de ne pas avoir de majorité. Le problème de Macron aux législatives est que La République en Marche n'est pas un vrai parti: il n'y a pas vraiment de leaders, il n'y a pas de débat, et LREM ne paraît pas appelé à un grand avenir. Si LREM ne gagne pas les législatives, ça m'étonnerait que ce non-parti reste longtemps dans le paysage politique.
Quel avenir attend les partis traditionnels, selon vous?
Je ne fais pas partie de ceux qui pensent que c'est fini pour eux. Le PS et Les Républicains sont entrés dans une phase où ils vont se battre pour leur survie et peut-être l'assurer. Ces deux partis ont été très abîmés par Macron, et par le phénomène du vote utile. Mais l'idée d'avoir un pouvoir comme celui du président actuel, de centre-gauche - centre-droit, qui n'aurait d'autres alternatives que l'extrême gauche, ça ne durera pas. A un moment donné, les gens vont vouloir d'autres possibilités. Et ce sera le retour de la France du Parti socialiste ou des Républicains. Dans les deux cas, je pense que ces partis-là ne sont pas perdus. Vous savez, les espèces en voie de disparition ne sont pas toujours condamnées à disparaître. Il y a un risque énorme pour LR et le PS, mais on a déjà vu des partis en bien plus mauvaises formes ressusciter. Et il ne faut pas oublier qu'ils ont un énorme réseau. On peut dire que ce sont des partis qui redeviennent locaux, car ils ont été laminés au niveau national. Mais du local au national, il n'y a qu'un pas.