Election présidentielle française 2022 : Au second tour, dur choix entre l’"antisocial" et la "raciste"
Le duel Macron - Le Pen n’enthousiasme guère les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, majoritaire à Grenoble et La Villeneuve.
Publié le 12-04-2022 à 20h50 - Mis à jour le 22-04-2022 à 12h20
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Au Barathym, café associatif de La Villeneuve, l'un des quartiers populaires du sud de Grenoble, les habitués affichent une mine dépitée. "Le Pen + Zemmour, ça fait quand même plus de 30 %…" soupire David, assis devant son ordinateur. "Vous savez s'il va y avoir des manifestations ?" demande la dame à la table d'à côté. Dans ce quartier réputé "chaud", où cohabitent une quarantaine de nationalités différentes, beaucoup ont la gueule de bois. Jean-Luc Mélenchon a terminé largement en tête dans les six bureaux de vote de La Villeneuve, avec 56 % des suffrages, et le duel Macron - Le Pen ne les fait pas rêver. Le premier y a recueilli 19 %, la seconde 7,5 %. "Ce sont toujours les mêmes enfoirés qui passent", râle Yves, qui travaille comme gardien dans ce secteur de barres d'immeubles délabrées avec vue sur les monts enneigés et un joli parc fleuri.
En ce lendemain de veille, beaucoup ressassent, déplorant encore l'incapacité de la gauche à s'unir. Chloé Pantel, l'une des adjointes au maire de Grenoble, l'écologiste Éric Piolle, donne sa ville en exemple : "La gauche gagne quand elle est rassemblée." Ici, les Verts, les Insoumis, les socialistes, les communistes et d'autres avaient rejoint la plateforme "Grenoble en commun" pour s'imposer aux dernières élections municipales. "Quand on vit dans une ville où l'union de la gauche a été possible, il est difficile d'accepter que cela n'ait pas pu se faire au niveau national." Si l'on n'est pas "complètement abasourdi", aujourd'hui, "il faut se bouger". Déjà "qu'on a été dépossédés de cette campagne", phagocytée par les sujets de l'immigration et de la sécurité…

Lassitude et abstention
"Il y a une forme de lassitude de voir que ce sont toujours les mêmes thèmes, fonds de commerce des candidats d'extrême droite, qui reviennent", regrette Benjamin Bultel, journaliste installé à La Villeneuve depuis huit ans. Cela, plus la perspective de voir le scénario de 2017 se reproduire, a découragé les électeurs de se rendre aux urnes au premier tour : pas moins de 40 % d'entre eux se sont abstenus ici. Sur le mur d'un des immeubles du quartier, le tag est clair : "À bas la mascarade électorale. Boycott 2022". Sur celui de l'ancienne piscine, aujourd'hui fermée : "Seule la révolution prolétarienne émancipera les femmes, pas les élections".
Il y a aussi que, traditionnellement, "les classes populaires s'abstiennent plus que les classes aisées", poursuit le journaliste du Crieur. "Quand on n'a vécu que dans la merde, le plus important, c'est de remplir le panier", tempête Yves. "Pour qu'ils votent, il faut aller les chercher, ces délaissés." Il n'empêche, un homme du quartier aurait bien aimé se rendre dans l'isoloir, lui. Mais, né français en Algérie, puis installé dans l'Hexagone, il a perdu la nationalité au moment de l'indépendance.
Benjamin, qui avait pensé s'abstenir, a pour sa part décidé de "donner (sa) voix à (son) voisin", un étranger qui n'a pas non plus le droit de vote ici. "Je lui ai demandé qui il aurait choisi" et c'est un bulletin "Mélenchon" que le Français a glissé dans l'urne. Au second tour, "entre les deux maux que sont la politique raciste de Le Pen et la politique antisociale de Macron, le choix des habitants des quartiers populaires devrait s'orienter vers le président actuel", pronostique-t-il. Chloé Pantel, élue du mouvement Génération.s, qui avait été fondé par l'ex-socialiste Benoît Hamon, votera sans hésiter pour Emmanuel Macron. Certes, sa crainte aujourd'hui, pour les collectivités, c'est de voir les moyens, "qui n'ont fait que chuter" ces dernières années, diminuer encore. "Notre inquiétude est que les rénovations de bâtiments et les services publics en subissent les conséquences." La politique de la Ville est, de fait, restée le cadet des soucis du chef de l'État sortant. Mais, "en face, c'est pire", insiste Mme Pantel. Une victoire de Marine Le Pen, elle refuse d'y croire.
Pour beaucoup, la bataille du 24 avril n'a pour autant vraiment rien de motivant. "Le capitaliste qui jette de la poudre dorée aux yeux", Yves ne l'apprécie clairement pas. Et Marie, on ne l'y reprendra plus : après avoir voté Jacques Chirac en 2002 face à Jean-Marie Le Pen et Emmanuel Macron en 2017 face à Marine, l'électrice de "Méluche" - comme elle surnomme l'Insoumis - refuse, cette fois, de voter utile. Elle optera pour le bulletin blanc, au risque de voir passer la candidate d'extrême droite qu'elle exècre. Mais peut-être sera-ce, imagine-t-elle,"l'électrochoc" dont la France a besoin ?