Présidentielle 2022: qui a gagné le débat de l'entre-deux-tours et quel sera l'impact sur l'issue du scrutin ?
Selon Marc Lits, "il y a bien un gagnant, même s'il n'y a pas eu de victoire par K.O."
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Publié le 21-04-2022 à 02h46 - Mis à jour le 21-04-2022 à 21h48
Pendant plus de 2h30, Emmanuel Macron et Marine Le Pen se sont affrontés dans le cadre du débat de l'entre-deux-tours, ce mercredi 20 avril. Les discussions mouvementées ont donné lieu à plusieurs accrochages entre les deux candidats. Les termes utilisés ont parfois été forts. Ainsi, il a été question notamment de "mensonges" ou encore de "trahisons". Emmanuel Macron a même mis en garde face à la "guerre civile" qu'engendreraient certains points du programme de sa rivale. Mais qui a réellement dominé le débat ? Quels ont été les temps forts de ce rendez-vous crucial ? Doit-on s'attendre à un impact important sur le scrutin de ce dimanche 24 avril ? Marc Lits, professeur émérite de l'UCLouvain et spécialiste en communication et politique, décortique pour La Libre le débat de ce mercredi soir.
Lequel des deux candidats a remporté le débat ?
J'aurais tendance à dire qu'Emmanuel Macron a gagné, dans la mesure où il a été plus incisif, voire agressif. Il ne laissait rien passer. A chaque fois que Marine Le Pen disait quelque chose, il la reprenait et la coupait. La candidate du Rassemblement national ne se comportait pas de la même manière. Qui plus est, il était très précis. On sentait sa maîtrise des chiffres et des dossiers, là où Marine Le Pen était peut-être parfois un peu moins à l'aise. Elle restait plus dans les généralités.
Ce n'est toutefois pas une victoire par K.O., comme cela avait été le cas il y a cinq ans. À l'époque, Marine Le Pen s'était effondrée. Cette fois-ci, elle a pu tout de même résister, même si elle était plus souvent sur la défensive, alors que lui était plus souvent dans l'attaque.
Quelles sont les grandes différences que vous avez épinglées par rapport au débat de 2017 ?
D'abord, on peut tout de même se réjouir d'avoir pu assister à un débat où ont été abordées des questions de programme et de fond. On a échappé au match de boxe et à la foire d'empoigne, même si c'est ce qui intéresse souvent les gens finalement. On a pu voir la différence dans les programmes des deux candidats. C'est ça l'enjeu du débat pour les gens qui doivent se prononcer dimanche.
Ensuite, Marine Le Pen est venue à plusieurs reprises avec des éléments chiffrés, qu'elle maîtrisait relativement bien. Elle a essayé de faire le bilan de Macron, ce qui est évidemment plus facile pour elle, dans la mesure où il achève son quinquennat. Elle a donc pu le contrer en mettant en avant ce qu'il n'a pas pu réaliser ou ce qu'il avait mal fait. Ça a permis une forme d'équilibre entre les deux candidats, ce qui n'était pas le cas la dernière fois.
Marine Le Pen a donc été plus convaincante qu'en 2017 ?
Oui, elle ne s'est pas effondrée. C'est déjà une victoire, si on peut dire. Elle maîtrisait ses dossiers et elle venait avec des propositions, que Macron contestait ensuite. Mais même quand elle se faisait tacler par le président français, elle revenait à la charge régulièrement. De ce point de vue-là, elle a tenu la distance. Elle a montré qu'elle s'intéressait à toutes les thématiques qui doivent être gérées par un président. Avec cette capacité qu'elle a peut-être eu un peu plus que Macron de rester dans son registre, à savoir la défense des plus pauvres, des plus démunis. C'était quand même le leitmotiv qui traversait toutes ses propositions.
Pendant toute la campagne, elle a essayé de lisser son image. Mais était-ce encore le cas durant ce débat ?
Le moment le plus chaud était incontestablement la discussion sur la laïcité et l'immigration. C'est là qu'elle est revenue à ses fondamentaux: combattre l'islamisme, interdire le voile dans l'espace public... Ce sont les positions qui la ramènent à l'extrême droite. C'est là que Macron a été le plus agressif, car c'est là qu'il a compris qu'il pouvait se démarquer fortement.
Quels ont été les points forts et les points faibles d'Emmanuel Macron face à son adversaire ?
Parmi les points forts d'Emmanuel Macron, il faut noter sa capacité à maîtriser techniquement tous les dossiers et à très vite pointer les incohérences et les faiblesses dans les positions de son adversaire. Qui plus est, il est très à l'aise, il a une aisance de parole, il ne se laisse jamais démonter. Il est toujours plutôt dans une forme d'attaque. Il a été assez rude à plusieurs reprises même s'il est toujours resté poli dans la forme - il a même remercié sa rivale pour l'échange qu'ils ont eu. Mais il lui a quand même dit qu'elle mentait à certains moments, il a eu des phrases assez dures à son égard.
Son point faible, c'est son côté un peu donneur de leçons. Il donne l'impression d'en savoir plus que tout le monde. Cela ne va pas changer son image un peu professorale. Il peut difficilement s'empêcher d'adopter ce ton à mon avis. Même s'il essayait de ne pas être trop agressif et de garder un ton qui montrait du respect envers son adversaire, ce n'était pas vraiment l'image qu'il donnait. Il faut voir dans quelle mesure l'attitude de Macron ne va pas être mal perçue par certains. Il faut toujours faire la part des choses entre ses supporters qui vont penser que c'est un point fort et ses adversaires qui voient ça comme de l'arrogance. C'est une arme à double tranchant.
Quels ont été les temps forts de ce débat?
Tout d'abord, je citerais les questions sur le voile, la laïcité et la sécurité. C'est à ce moment-là qu'il y a eu une vraie opposition et qu'on a pu clairement voir les valeurs républicaines d'un côté et le repli sur soi de l'autre.
L'autre temps fort, c'est incontestablement le moment où le conflit en Ukraine a été abordé. Emmanuel Macron a attaqué frontalement Marine Le Pen en l'accusant de ne pas avoir de liberté de parole par rapport à "son banquier Vladimir Poutine" et en ironisant sur sa dépendance à la Russie. C'était une attaque assez forte, parce qu'elle était assez personnelle aussi.
Enfin, les discussions sur l'environnement ont également été intéressantes. Encore une fois, Macron a été assez radical quand ils ont abordé le nucléaire. Il a lancé à Marine Le Pen que son programme n'avait ni queue ni tête. C'est un des rares moments où la candidate RN a elle aussi essayé de trouver une punchline en accusant Macron d'être "climato-hypocrite".
Au terme de ce débat, un gagnant se profile-t-il plus sûrement pour cette élection présidentielle française ?
En tous les cas, on n'a pas l'impression que ça va faire énormément bouger les lignes car aucun des deux n'a perdu ce débat. Dans la mesure où l'écart est actuellement de 6 à 8 points entre eux deux, ce n'est pas le rendez-vous de ce mercredi soir qui va faire changer la dynamique des sondages. Sauf en cas de gros événement, j'ai le sentiment qu'on se dirige vers un scénario: la réélection de Macron. Il a défendu sa position, il n'a pas été beaucoup mis en difficulté et Marine Le Pen n'a pas réussi à le faire chuter. Il faudra voir cependant ce que disent les commentateurs, ce jeudi. Les analyses jouent beaucoup dans l'appréciation que se font les gens.
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