Présidentielle 2022 : pourquoi cette élection intéresse-t-elle tant les jeunes Belges ?
Nos poreuses frontières médiatiques et culturelles avec la France nous amènent à vivre, tous les 5 ans, au rythme de la présidentielle. Une campagne qui passionne même certains jeunes pourtant d’habitude indifférents à nos campagnes électorales belges. Comment expliquer ce paradoxe ?
- Publié le 23-04-2022 à 07h25
- Mis à jour le 24-04-2022 à 14h53
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Au lendemain du premier tour de la présidentielle française, l'abstentionnisme record (40%) chez les moins de 35 ans alimentait de nouveau les colonnes de nombreux éditorialistes. Même si, chez nous, le vote obligatoire occulte ( en partie ) cette tendance, de nombreux sondages attestent d'une désaffection similaire. Selon une enquête à l'initiative du Parlement wallon en 2018, à peine 30% des 18-30 ans voueraient de l'"intérêt à la politique".
Toutefois, il semblerait que certains événements, comme la campagne présidentielle en France, parviennent à concerner ces jeunes prétendument "désintéressés" par la chose publique...
" Depuis quelques mois, je traite régulièrement de la campagne présidentielle ", explique Arnaud Kervyn qui, à raison de 2 "stories" par semaine, résume l'actualité politique belge et internationale via le compte Instagram @16.secondes.politiques . " Je constate un réel engouement des jeunes autour de ces sujets. Je reçois énormément de réactions ou de questions par message privé. Cela a été encore plus le cas lorsque j'ai présenté le programme des candidats ".
Alexis Monier, coprésident de Civix, asbl étudiante qui entend renouer les jeunes avec la politique, dresse un constat similaire : "On nous pose beaucoup de questions sur l'actualité politique française", explique-t-il. Au point que, lorsque les bénévoles de l'association se rendent sur le terrain, ceux-ci relèvent une meilleure connaissance du paysage politique français que belge. " Lorsqu'on demande à des élèves s'ils connaissent des personnalités politiques, ce sont toujours, ou presque, des têtes d'affiches françaises qui sont citées spontanément ", donne-t-il en guise d'exemple.
Et pour cause : cette "personnalisation" de la politique, inévitablement à l'œuvre lors des présidentielles françaises, s'avère plutôt attractive aux yeux de nos jeunes concitoyens. En réalité, trois facteurs peuvent expliquer cet intérêt des jeunes Belges pour la politique française.
1. Lisibilité institutionnelle
" Le système présidentiel a une bien plus grande lisibilité institutionnelle pour les jeunes. Voter pour des personnalités est plus simple à comprendre que voter pour un système de coalition ", souligne ainsi Loïc Perrin, membre du forum des jeunes, l'organe de représentation des 16-30 ans en Fédération Wallonie-Bruxelles. "Cela rend l'élection plus 'sexy', et c'est plus facile d'accrocher les jeunes que lors d'une élection où l'on vote pour des partis ou des listes ", complète Laura Uyttendaele, chercheuse à l'institut de sciences politiques Louvain-Europe de l'UCLouvain.
Ces jeunes qui, à défaut de suivre nos campagnes électorales belges, suivent attentivement celles de nos voisins semblent confirmer le sens de cette analyse. " Le système électoral belge ne motive pas à suivre les élections. Tandis qu'en France, à l'inverse de chez nous, tu as la certitude que celui ou celle qui remporte le scrutin sera au pouvoir ", commente ainsi Lucas, étudiant en communication. "Nos campagnes sont forcément moins intéressantes, car nous n'avons finalement pas tant de poids que cela dans la formation de notre gouvernement ", renchérit Mathis, étudiant en sciences politiques. Si bien qu'Antoine, étudiant en journalisme, relève le paradoxe suivant : "Autour de moi, je vois plus de personnes qui connaissent mieux le programme des candidats à l'Élysée que l'agenda du parti pour lequel ils ont voté aux dernières élections ".
Pour autant, selon Alexis Monier, il ne faut pas interpréter cela comme un attrait particulier des jeunes pour le système présidentiel : " Cela rend simplement le débat plus clair pour eux. Ce qui peut d'ailleurs s'avérer positif pour notre démocratie, car c'est l'occasion de stimuler une certaine curiosité pour la politique. Par exemple, chez Civix, on profite de cet intérêt pour les élections à l'étranger, au Royaume-Uni, en Allemagne ou aux États-Unis, pour initier notre public aux différents modèles démocratiques et susciter le débat. "
2. Le contenu du débat
Au-delà de ceux qui incarnent le débat, son contenu semble aussi être un facteur de séduction. " Il faut admettre que nos élections n'abordent pas autant de sujets de fond qu'en France ", regrette ainsi Antoine. " L'élection française peut avoir un gros impact à l'international, les enjeux ne sont pas équivalents, et cela rend la campagne française d'autant plus intéressante ", pointe de son côté Mathis.
Selon Laura Uyttendaele, c'est précisément car les débats évitent les questions partisanes et institutionnelles que cela fait mouche auprès d'un public moins politisé, comme les jeunes. " Dans une campagne présidentielle, le débat s'articule essentiellement autour de grands sujets de société ", explique la politologue. " Or ce sont justement ces types d'enjeux-là, comme l'environnement, le genre ou l'immigration, qui intéressent les plus jeunes. Ce dont ils se rendent cependant moins compte, c'est que la politique concerne aussi les questions 'ennuyeuses' du quotidien. Cela constituera même l'essentiel du job du candidat, une fois élu ".

3. La politique-spectacle
Enfin, si ces campagnes incarnées par un(e) seul(e) candidat(e) parlent à notre jeunesse, c'est également en raison de la forme plus spectaculaire du débat politique. "Quand j'ai du temps à tuer, j'aime bien regarder les moments forts des débats sur YouTube ", admet Lucas qui, comme Antoine, parle de ces shows en reprenant un vocabulaire sportif. " Cette culture télévisuelle différente en France, avec un côté 'ring de boxe', contribue à cette résonance jusqu'à nous ", commente ainsi ce dernier.
Que l'on soit jeune ou moins jeune, notre large accès aux médias français demeure une composante majeure. " Si je suis quotidiennement la campagne depuis 2 mois, c'est aussi dû au fait que je suis davantage de médias français que belges ", reconnait ainsi Mathis. D'autant qu'à ce niveau, cette édition semble revêtir un caractère particulier... " Cette campagne électorale a pris une grande place dans les médias qui touchent les jeunes. Je pense à TPMP (NDLR : retransmis en Belgique) ou au QG de Guillaume Pley (NDLR : diffusé sur YouTube) , qui sont des productions audiovisuelles qui touchent le jeune public belge", analyse ainsi Loïc Perrin. " Malheureusement, cette 'politique spectacle' se fait souvent au détriment des idées. Donc ce n'est pas non plus forcément au bénéfice d'une démocratisation du débat politique en tant que telle ".