Législatives françaises: près de 70 candidats socialistes jouent les dissidents
Ils ont refusé de "pactiser" avec les Insoumis de Mélenchon aux législatives des 12 et 19 juin.
Publié le 03-06-2022 à 12h05
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Je ne pouvais pas me rallier à un programme bricolé en une matinée, où on nous demandait les pires renoncements !" Floran Vadillo, 36 ans, est candidat dans la première circonscription de la Dordogne sous l'étiquette "Forces vives de la Dordogne". Pourtant, cet élu municipal de Périgueux était, il y a quelques jours encore, secrétaire national du Parti socialiste. Comme lui, 62 autres socialistes ont décidé de jouer les trouble-fête, en refusant l'accord passé par leur parti avec Jean-Luc Mélenchon et en se maintenant face aux candidats de la Nouvelle Union populaire écologiste et sociale (Nupes) aux élections législatives des 12 et 19 juin. En guise de punition, ils seront automatiquement exclus du parti. Ambiance…
"Un vrai désaccord politique et idéologique"
Pourquoi une telle rébellion ? "Certains dissidents détestent Jean-Luc Mélenchon et sont motivés pas un vrai désaccord politique et idéologique avec cet accord, sur l'Europe, les questions internationales, les institutions, le programme économique et social, analyse Marc Lazar, directeur du Centre d'histoire de Sciences po et spécialiste de la gauche. Ils refusent de renier ce qui a été fait par les socialistes pendant des décennies." Floran Vadillo le confirme : impossible pour lui de renoncer à ses valeurs et d'accepter l'OPA de Jean-Luc Mélenchon sur la gauche. "La liste de nos désaccords avec les Insoumis est tellement longue !, assure le candidat frondeur. Sur la retraite à 60 ans, sur la hausse du Smic à 1 500 euros, cette gauche, qui n'a jamais exercé de responsabilités, ment aux citoyens. Ces réformes ne sont pas soutenables économiquement. Ils veulent même s'affranchir de l'Union européenne quand ça les arrange, ce n'est pas acceptable."
Jean-Christophe Cambadélis, ex-premier secrétaire du Parti Socialiste, fustige lui aussi cette alliance des gauches, tant sur le fond que sur la forme, dans son blog baptisé Nouvelle Société : "Cet 'accord' n'est pas acceptable en l'état, d'abord sur la méthode : il ne s'agit pas d'une proposition de coalition mais d'une reddition. Ensuite, pour des raisons programmatiques. Comment le parti de Mitterrand, de Jospin et de Hollande pourrait-il accepter de sortir des traités européens ? Et surtout dans ce moment où l'Europe est confrontée à la guerre menée par la Russie."
Une "gauche réformiste, laïque et républicaine
Selon Marc Lazar, pour qui les deux logiques peuvent s'entremêler, "certains dissidents socialistes attendaient aussi l'occasion de se présenter sur leur territoire depuis longtemps. Ils sillonnent leur circonscription dans ce but depuis parfois des années, et sont furieux de voir débarquer un candidat insoumis sans réel ancrage local". À noter qu'il n'y a pas qu'à gauche que des voix dissonantes s'élèvent : au sein de la majorité présidentielle, une vingtaine de députés sortants, jugés moins loyaux ou moins implantés, n'ont pas été investis et font, eux aussi, de la résistance.
À gauche, les réfractaires sont soutenus par quelques caciques du PS comme la présidente de la région Occitanie, Carole Delga, qui a pris la tête de la fronde, ou par Bernard Cazeneuve, ex-Premier ministre, vent debout contre "l'accord de renoncement et de soumission" à Jean-Luc Mélenchon contracté par la direction du PS. Il était le 23 mai à Cahors pour soutenir Rémi Branco, le candidat de la Gauche républicaine dans le Lot, le 14 mai à Périgueux au banquet républicain organisé en soutien des candidats socialistes, dans l'espoir de ressusciter une "gauche réformiste, laïque et républicaine", selon sa formule.
Quelles sont les chances de succès de ces candidats rebelles ? "Elles sont difficiles à évaluer, estime le politologue. Si les électeurs privilégient la logique nationale habilement portée par Jean-Luc Mélenchon avec son slogan 'Élisez-moi Premier ministre', les candidats Nupes l'emporteront et les dissidents seront accusés d'avoir voulu semer la division ; en revanche, si la logique locale prévaut, alors les dissidents bien implantés localement ont leurs chances."
Dans tous les cas, Floran Vadillo en est sûr : "Élus ou non, mes camarades socialistes ayant rejoint la Nupes parce qu'ils avaient le sentiment qu'ils n'avaient pas d'autres choix possibles s'en affranchiront dès le 20 juin, et la pilonneront. Et on se retrouvera rapidement, j'en suis sûr, autour d'une gauche réformiste." Charge aux électeurs d'en décider !