Quel bilan tirer du premier tour des élections législatives françaises?
Que faut-il retenir du premier tour des élections législatives en France qui s'est déroulé ce dimanche? La Libre fait le point avec Benjamin Biard, chercheur à l’Institut de sciences politiques Louvain-Europe (UCLouvain).
Publié le 13-06-2022 à 12h09 - Mis à jour le 13-06-2022 à 22h38
La coalition autour d'Emmanuel Macron (Ensemble!) et l'alliance de gauche Nupes sont arrivées à quasi égalité dimanche lors du premier tour des élections législatives françaises, avec 21.442 voix d'avance seulement pour la coalition présidentielle. L'alliance macroniste a remporté 25,75% des voix, contre 25,66% pour la Nupes, rassemblée autour de Jean-Luc Mélenchon
Suivent derrière : le Rassemblement national de Marine Le Pen avec 19,1%, Les Républicains et alliés avec 13,9%, et Reconquête ! d'Eric Zemmour avec 4,1%.
Comment interpréter ces résultats? Quels sont les grands gagnants et les perdants? La Libre fait le point avec Benjamin Biard, chercheur à l’Institut de sciences politiques Louvain-Europe (UCL).
Annoncée en tête dimanche soir, la coalition des gauches Nupes emmenée par Jean-Luc Mélenchon est finalement devancée de justesse par la coalition autour de Macron. Peut-on néanmoins parler de grande victoire pour Mélenchon?
Pour moi, la Nupes, cette alliance des gauches, est en effet la grande gagnante de ce scrutin, même si on n'est encore qu'au premier tour et que rien n'est encore joué. Mais cette alliance a quand même réussi à placer plus de 500 candidats pour le second tour. En 2017, ils étaient aux alentours de 150 pour la gauche. Donc on voit une progression particulièrement importante. Jean-Luc Mélenchon a réussi à redonner espoir dans la gauche, notamment après un échec cuisant pour le Parti socialiste. Il est parvenu à repositionner la gauche dans son ensemble au centre de l'attention. On verra si ça parviendra à se matérialiser lors du second tour.
Mélenchon risque quand même de manquer son objectif de devenir Premier ministre. Est-ce un échec ?
Il ne faut pas être catégorique trop rapidement, même si ce sera en effet difficile. Néanmoins, "Mélenchon Premier ministre", c'est avant tout un slogan qui a réussi à mobiliser. A force de répéter ce slogan, les électeurs finissent par le croire. Et finalement à se mobiliser ou remobiliser après la déception de la troisième place au premier tour de la présidentielle. Ce message a été efficace et a surtout conduit à considérer que le vote Nupes était un vote utile, un vote pour hisser la gauche si pas au pouvoir, au moins vers un score élevé pour rééquilibrer la politique gouvernementale d'Emmanuel Macron. Donc je pense qu'en ce sens, le message de Jean-Luc Mélechon a eu son impact.
Les résultats de ce premier tour sont-ils un désaveu pour Emmanuel Macron?
Non, je ne pense pas, je trouve même que les listes Ensemble! de la macronie font une plutôt bonne performance. Même si cette majorité absolue à l'Assemblée nationale est loin d'être gagnée pour Macron, il faut rester prudent à ce stade, on voit qu'on s'en rapproche peut-être. Preuve qu'Emmanuel Macron est parvenu à rassembler malgré tout derrière lui. Le président peut compter sur des personnalités, dont celles reprises dans son gouvernement, qui réussissent à se hisser au deuxième tour. Citons Elisabeth Borne, la Première ministre, qui n'avait jamais été candidate par le passé et qui parvient au deuxième tour avec un score honorable. Cela semble bien parti également pour le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, pour le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau, pour la ministre de la Santé Brigitte Bourguignon... Tout cela peut donc finalement renforcer encore un peu plus la légitimité d'Emmanuel Macron et certainement de son gouvernement.
Le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen fait un bon résultat avec un peu plus de 19%, mais risque de ne pas décrocher beaucoup d'élus au second tour. Un peu paradoxal...
Il faut noter deux choses. Tout d'abord, les résultats obtenus par l'extrême droite aux législatives sont historiquement toujours moins importants qu'à la présidentielle. Cela s'explique par le fait que l'élection présidentielle est très personnalisée, tandis que pour les législatives, il y a autant d'élections que de circonscriptions avec à chaque fois une candidature spécifique et distincte. La deuxième chose à souligner, c'est que ce score du RN doit être nuancé car il s'inscrit dans un contexte de concurrence au sein de l'extrême droite avec les listes Reconquête! d'Eric Zemmour.
Néanmoins, Marine Le Pen est en mesure de remporter son objectif. Le RN est en effet parvenu à présenter des candidats dans de nombreuses circonscriptions, et si le parti parvient à faire élire 15 candidats au deuxième tour, Marine Le Pen aura son groupe politique à l'Assemblée [l'extrême droite n'y a plus été représentée en tant que groupe politique depuis... 1988, NDLR]. Ce scénario est en tout cas en bonne voie de se concrétiser, avec des conséquences pour le parti très favorables: davantage de financement, davantage de visibilité à travers plus de temps de parole au sein de l'Assemblée nationale ou encore l'exercice de certaines fonctions par exemple au sein de commissions parlementaires ou au sein du bureau de l'Assemblée nationale.
Etes-vous surpris du score d'Eric Zemmour?
En ce qui concerne le score personnel d'Eric Zemmour, c'est assez surprenant oui. On aurait pu penser que sachant qu'il était candidat dans une circonscription qui lui était particulièrement favorable - circonscription dans laquelle il avait obtenu le meilleur score durant l'élection présidentielle - il allait aisément se hisser au deuxième tour. Mais c'est raté. Pire encore: aucun candidat Reconquête! ne parvient au second tour. C'est le cas de Guillaume Peltier qui avait quand même de l'expérience au niveau électoral. On peut citer aussi Stanislas Rigault qui est un nouveau venu en politique mais qui a eu une grande visibilité dernièrement et dont Marion Maréchal était la suppléante. Pour Reconquête!, on peut donc parler d'un échec total. Je pense que cette élection porte un coup assez dur, voire peut-être fatal à cette formation d'extrême droite.
Zemmour aurait-il dû démissionner ce dimanche soir après son élimination et les résultats de Reconquête! ?
C'est une question d'appréciation politique, en interne notamment. Va-t-il se maintenir en tant que personnage politique visant à rassembler les droites, comme il les appelle, mais que j'ai plutôt tendance à qualifier d'extrêmes droites? Ce sera beaucoup plus compliqué quand on considère que le RN malgré tout n'a pas été fortement impacté par les candidatures de Reconquête! à travers le territoire. N'oublions pas que si Zemmour est battu dans sa circonscription, c'est parce que la personne devant lui est un candidat du RN. Je pense donc que Zemmour pourrait effectivement être tenté de s'effacer dans le temps, en tout cas dans le court et moyen terme.
Le taux d'abstention a atteint pour ce premier tour 52,5 %. Est-ce peut-être le signal le plus inquiétant?
En 2017, on avait déjà dépassé pour la première fois les 50% d'abstention. Cette tendance se maintient et se renforce même un peu plus. On a donc là quelque chose de particulièrement important à garder à l'oeil. C'est un constat qui doit amener les différents candidats et différents élus à entamer une réflexion démocratique. Macron l'a déjà anticipé d'une certaine manière avec son projet de Conseil national de refondation, le fameux CNR avec lequel il veut redonner un nouveau souffle démocratique à la France. Ces chiffres d'abstention traduisent une fatigue démocratique qui n'est pas nouvelle et qu'on retrouve aussi en Belgique et aux Pays-Bas. Mais elle tend effectivement à s'amplifier à travers le temps. Cette fatigue se traduit non seulement par une abstention mais également par un vote pour des formations dites protestataires ou extrêmes et on le voit ici dans le cas du RN.