Comment aider l’Ukraine autrement
Rencontre avec Leyla Kayacik, représentante spéciale de la secrétaire générale sur les migrations et les réfugiés au Conseil de l'Europe. Un poste qu'elle venait d'accepter lorsque la guerre en Ukraine a débuté. Elle explique comment le Conseil de l'Europe vient en aide aux Ukrainiens.
- Publié le 24-05-2022 à 10h48
- Mis à jour le 27-05-2022 à 11h23
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Juriste de formation, Leyla Kayacik a occupé différents postes au sein du Conseil de l'Europe avant d'accepter de devenir la représentante spéciale de la secrétaire générale sur les migrations et les réfugiés. Elle raconte l'avoir fait "avec enthousiasme" et "par goût de l'action de terrain" en décembre 2021, mais ne s'attendait pas à ce que sa prise de fonction, en janvier, prenne des allures de baptême du feu. Moins d'un mois et demi plus tard, la guerre en Ukraine forçait des millions de personnes à fuir leur pays. Il fallait réagir.
"Début mars, j'ai réuni notre réseau de correspondants 'migrations', raconte Leyla Kayacik. Pour être en contact avec les services des ministères de l'Intérieur des 46 États membres, échanger de bonnes pratiques de manière confidentielle, et préciser les normes du Conseil de l'Europe en termes de droits humains, à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.
Car le Conseil de l’Europe ne s’occupe ni d’humanitaire ni de défense. Il ne peut pas plus fournir de colis d’assistance que d’équipements militaires. Son rôle est tout autre et consiste essentiellement à définir des normes destinées à défendre les valeurs qui ont présidé à sa création en 1949 : la défense de la démocratie, des droits de l’homme et de l’état de droit. Pour ensuite mener des actions afin qu’elles soient appliquées dans ses États membres.
Cinq domaines d’action
"La réunion de mars a permis d'identifier cinq domaines d'action prioritaires aux pays frontières de l'Ukraine" , précise Leyla Kayacik. À savoir "la protection des personnes vulnérables, l'accès aux soins de santé y compris au soutien psychologique, l'intégration linguistique, l'accès à l'éducation et celui à l'emploi. Autant de secteurs sur lesquels le Conseil de l'Europe dispose d'ores et déjà de normes juridiques actées au sein de conventions". Fondatrice, la Convention européenne des droits de l'homme est la plus connue, celle d'Istanbul consacrée à la lutte contre les violences faites aux femmes l'est aussi, d'autres, moins médiatisées, impactent néanmoins les pays qui, après les avoir ratifiées, sont tenus de s'y conformer. C'est le cas de la Convention consacrée à la lutte contre la traite des êtres humains et de celle, dite "de Lanzarote", vouée à la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels.
Tous ces textes font partie de la "boîte à outils" de Leyla Kayacik. Autre gage de réactivité du Conseil de l'Europe : la mise à jour d'une recommandation sur la protection des femmes et des filles migrantes, réfugiées et demandeuses d'asile. Adoptée vendredi dernier lors de la session des ministres des Affaires étrangères à Turin, ce texte a été rendu prioritaire par la guerre en Ukraine et s'intègre à la mise en œuvre du "Plan d'action du Conseil de l'Europe sur la protection des personnes vulnérables dans le contexte des migrations et de l'asile" dont est chargée Leyla Kayacik. Une tâche à laquelle elle se consacre en confiant au passage qu'elle aurait préféré qu'on parle de "personnes en situation de vulnérabilité". "Les femmes, par exemple, ne sont pas vulnérables par définition, ce sont les migrations qui les fragilisent…"
Soutien de terrain
Mais qu'en est-il de l'activité de terrain à laquelle aspirait la représentante spéciale lors de sa désignation ? "Elle est fondamentale. Percevoir une réalité depuis Strasbourg et la mesurer sur place n'a rien à voir. Début mai, je me suis rendue en République tchèque et en Slovaquie. Fin mai, j'irai en Pologne. Et en juin, je me rendrai en Moldavie." De ses premiers déplacements, elle a retenu le dénuement de mamans arrivées avec leurs enfants avec une seule valise ou sans valise du tout. "À Bratislava, je me suis dit 'la guerre est là'", raconte-t-elle. Elle a aussi été frappée par la solidarité qui les a entourées. "On sent un élan, Tchèques et Slovaques ressentent l'agression russe contre l'Ukraine 'dans leur corps'."
Dans les rapports qui suivront ces visites, elle proposera des actions pour renforcer l'accueil et affronter les défis à venir en se conformant aux standards du Conseil de l'Europe. "Un travail qui vaut et vaudra pour tous les réfugiés et migrants quelle que soit leur origine", précise Leyla Kayacik avant d'annoncer le lancement d'une action pilote mi-juin à Chisinau, capitale de la Moldavie. "Il s'agira d'une formation spécifique aux techniques de traitement des traumatismes de guerre pour les psychologues et les travailleurs sociaux des pays d'accueil. L'expertise que le Conseil de l'Europe a acquise en travaillant dans d'autres régions affectées par des conflits pourra ainsi être mise à la disposition de ces professionnels confrontés en première ligne aux conséquences de la guerre en Ukraine."