En Ukraine, MSF a aménagé des trains pour évacuer les victimes civiles: "Le système de santé dans l’Est n’est pas loin de s’effondrer"
La guerre en Ukraine a fait au moins 9.151 victimes civiles, selon le Haut commissariat de l’Onu aux droits de l’homme. Sur place, MSF utilise le chemin de fer, très développé dans le pays, pour envoyer les blessés et les malades vers l'Ouest. Ils sont plus de 600 à avoir déjà pu être transportés.
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- Publié le 02-06-2022 à 15h37
- Mis à jour le 02-06-2022 à 19h45
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"Pas de pitié pour les civils" : c'est ce que Christopher Stokes, le chef de mission de Médecins sans frontières en Ukraine, observe depuis le début de la guerre déclenchée par la Russie il y a 100 jours. "Les bombardements, si je les compare à d'autres conflits, sont très intenses, indiscriminés, ils n'épargnent absolument pas" les populations qui ne participent pas aux combats, témoigne-t-il depuis son bureau de Kiev.
Depuis le début de l'offensive russe, et jusqu'au 1er juin, le Haut commissariat de l'Onu aux droits de l'homme a enregistré 9.151 victimes civiles dans le pays : 4.169 tuées et 4.982 blessées. Mais "les chiffres réels sont considérablement plus élevés", les informations peinant à remonter là où les hostilités se révèlent particulièrement intenses. "Ces 100 jours de guerre en Ukraine ont entraîné des conséquences dévastatrices sur les enfants à une échelle et à une vitesse jamais vues depuis la Seconde Guerre mondiale", ajoute l'Unicef. Plus de deux enfants en moyenne sont tués quotidiennement dans le pays, et plus de quatre sont blessés. Leurs "conditions de vie dans l'est et le sud de l'Ukraine, où les combats se sont intensifiés, sont de plus en plus désespérées".
Des hôpitaux submergés, des équipes épuisées
"Le système de santé dans l'Est n'est pas loin de s'effondrer", constate Christopher Stokes. "À peine 10 à 15 % du personnel médical sont restés" et les équipes sont "épuisées". À Severodonetsk, pilonnée par l'armée russe, "les médecins opèrent 24h/24". Les hôpitaux dans ces régions, littéralement submergés de victimes avec "d'horribles blessures", doivent trouver les moyens de libérer de l'espace pour les nouveaux patients qui ne cessent d'affluer. C'est dans ce contexte que MSF a imaginé, en collaboration avec la compagnie des chemins de fer et le ministère de la Santé ukrainiens, un système d'évacuations médicalisées des malades et blessés par train vers l'Ouest. "Cela n'existait pas de déplacer des blessés sur de longues distances et cela permet d'en transporter beaucoup en une fois", explique le responsable des urgences, Brice de le Vingne.
Douze wagons ont été spécialement aménagés pour pouvoir véhiculer les blessés, y compris ceux en soins intensifs et sous respirateur, sur des trajets vers Lviv, qui peuvent durer jusqu'à 36 heures. Parmi les passagers, "nous avons également eu un grand nombre de personnes âgées qui n'ont pas pu se rendre assez rapidement dans des sous-sols ou d'autres endroits plus sûrs en cas de bombardement ou de tirs d'obus et qui ont été blessés. Et 80 orphelins et autres enfants blessés sur le quai de Kramatorsk lorsqu'il a été touché par une roquette", explique Christopher Stokes.
Déjà 600 personnes évacuées
Depuis le 31 mars, le jour de la première opération ferroviaire, plus de 600 personnes ont ainsi été évacuées, chiffre-t-il. Mais, au fur et à mesure que les patients affluent à Lviv, "l'Ouest devient saturé. On nous a demandé d'évacuer les blessés vers d'autres villes et oblasts du pays". Dans les régions de Donetsk et de Louhansk, les trains ne peuvent plus accéder aux zones de guerre actives. Là, MSF déploie désormais neuf ambulances depuis Dnipro et Pokrovsk, explique Brice de le Vingne. "L'équipe peut ensuite organiser une évacuation continue vers Lviv à bord du train médical de MSF, si nécessaire."
Marie Burton, qui a été pendant un mois la coordinatrice du train médicalisé et s'apprête à repartir sur le terrain le 18 juin, en a vu passer de ces patients, "avec leurs chiens, leurs chats et tout ce qui va avec". Elle se souvient de cette dame, qui n'avait pas bougé depuis des semaines et présentait au siège des escarres atroces, pestilentielles et infestées de mouches - "une des pires évacuations qu'on ait faites…" De cette personne "de plus de 240 kg, trop grosse" pour pouvoir être chargée à bord. De ce jeune homme aussi, qu'une trachéotomie avait rendu muet et dont la maman avait laissé un mot sur le torse pour être informée de l'endroit où serait hospitalisé son fils. De cette "petite fille magnifique" de 9 ans, également, qui avait pris une pièce de métal dans le cerveau, était devenue hémiplégique et incontinente. Ou de ce papa blessé dans un bombardement, qui n'arrivait pas à dire sa fille que sa maman était morte…
Autant de destins tragiques que Médecins sans frontières a décidé de documenter, explique M. Stokes, "pour que leur histoire ne soit pas oubliée et permettre au public de mieux comprendre ce qu'il se passe en Ukraine".