Succession de Vladimir Poutine: que se passerait-il si le président russe venait à disparaître?
La guerre contre l’Ukraine a ravivé les spéculations sur la santé de Vladimir Poutine. Immanquablement se pose la question de sa succession, et plusieurs noms circulent.
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- Publié le 13-07-2022 à 06h37
- Mis à jour le 18-07-2022 à 09h33
Un cancer (du pancréas, de la thyroïde, du sang) ? La maladie de Parkinson ? Des problèmes de dos handicapants ? Les rumeurs sur l’état de santé de Vladimir Poutine, 70 ans, ont beau courir depuis longtemps, elles ont gagné en intensité ces derniers mois. Si le président russe et son médecin sont probablement les seuls à connaître la vérité, les spéculations, dans le contexte de la guerre déclenchée par un Vladimir Poutine trop facilement qualifié de "fou", forcent à s’interroger sur sa succession. S’il partait ou disparaissait, que se passerait-il ?
Qui remplacerait Vladimir Poutine, au pied levé, en cas de disparition ?
Le Premier ministre, c'est-à-dire, à ce jour, Mikhaïl Michoustine. La Constitution russe indique que, "dans tous les cas où le président de la Fédération de Russie n'est pas en état d'exercer ses obligations, le président du gouvernement de la Fédération de Russie les exerce temporairement". En cas de démission, de destitution ou "d'incapacité permanente pour raison de santé d'exercer les attributions qui lui incombent", lit-on encore dans la loi fondamentale, l'élection présidentielle "doit avoir lieu au plus tard trois mois à compter de la cessation anticipée de son mandat". Le chef de l'État par intérim resterait donc peu de temps dans le fauteuil présidentiel, trois mois au cours desquels il ne pourrait de surcroît ni dissoudre la Douma d'État, ni décider d'un référendum, ni proposer d'amender et de réviser la Constitution.
Mais il partirait avec une longueur d'avance dans la course au Kremlin. "Le statut de Président par intérim apparaît comme un point de départ idéal pour un successeur potentiel, c'est pourquoi de nombreux observateurs pensent qu'un transfert de pouvoir commencerait par la nomination d'un nouveau Premier ministre", indique la politiste Tatiana Stanovaya, fondatrice du cabinet d'analyse R.Politik, dans une opinion publiée par The Moscow Times . Le prochain changement de chef de gouvernement sera donc à analyser dans cette perspective.
Quels sont les successeurs potentiels ?
"Dans la situation actuelle, la question de la préparation est essentielle : le départ de Poutine sera-t-il soudain et inattendu, ou aura-t-il le temps de désigner un successeur ?" contextualise l'experte russe. Mikhaïl Michoustine, 56 ans, est en place. Dans le cas où il deviendrait soudainement Président par intérim, "sans préparation adéquate, il se trouverait dans une situation très difficile", dépendant de l'administration présidentielle. Même s'il fait partie des privilégiés qui pratiquent le hockey sur glace avec Vladimir Poutine, les chances qu'il lui succède semblent minces. Nommé en 2020 à la Maison blanche, le siège du gouvernement russe, le patron du fisc était méconnu - si pas inconnu - du grand public. "Malgré tous ses mérites", il "n'est pas assez proche de Poutine et n'a pas pu devenir plus qu'un technocrate politique", pense Tatiana Stanovaya. Nombre d'observateurs estiment, dès lors, qu'il sera remplacé.

Selon Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du Centre Russie/Nouveaux États indépendants de l'Institut français des relations internationales, le successeur du Président "sera certainement désigné parmi les personnes qui sont déjà dans les cercles du pouvoir, mais probablement pas les plus exposées, comme c'était le cas pour Vladimir Poutine lui-même" à l'époque où il avait été choisi par Boris Eltsine et son entourage - la Famille - pour assurer leurs arrières. "Cela peut arriver tardivement, au dernier moment", ajoute l'experte. "Tout cela dans l'optique de laisser l'incertitude, l'imprévisibilité, la surprise jouer à plein."
"Bien qu'une course de favoris soit déjà lancée", constate le politologue Andreï Kolesnikov, chercheur à la Fondation Carnegie pour la paix internationale, "cela ne signifie pas qu'ils sont considérés sérieusement comme les héritiers". Vladimir "Poutine aura du mal à choisir un successeur totalement loyal". Parmi les noms les plus régulièrement cités, on trouve ceux de Sergueï Sobianine, maire de Moscou depuis 2010, Sergueï Kirienko, directeur adjoint de l'administration présidentielle en charge des affaires intérieures depuis 2016, Viatcheslav Volodine, président de la Douma depuis 2016, Dmitry Patrouchev, ministre de l'Agriculture depuis 2018, ou encore, bien sûr, son père, Nikolaï Patrouchev, secrétaire du Conseil de sécurité depuis 2008 et ancien officier du KGB comme Vladimir Poutine.
Mais, en vérité, "on n'en sait strictement rien !" rappelle Tatiana Kastouéva-Jean. Comme le relève l'experte de l'Ifri, "tout cela peut être aussi de la manipulation d'information, téléguidée depuis le Kremlin". Faire circuler des noms permet "d'induire en erreur les Occidentaux, qui croiront qu'il [Vladimir Poutine] n'en a plus pour longtemps".
Quoi qu'il en soit, "la société russe, atomisée, lobotomisée, gobera ce qu'on lui imposera. Une partie de la société, dégoûtée, comprend bien, évidemment, ce qu'il se passe, mais elle n'a pas les moyens de faire quoi que ce soit, les risques sont vraiment beaucoup trop grands. À mon avis, le changement de pouvoir ne se fera pas par la rue, malheureusement, tellement la société et les forces d'opposition ont été affaiblies, voire détruites."
Comment Vladimir Poutine prépare-t-il sa succession ?
"Je ne sais pas et personne ne sait comment Poutine prépare sa succession", tranche Tatiana Stanovaya. "Trois mots caractérisent le processus : tabou, imprévisibilité et incertitude une fois que la transition aura eu lieu", résume Tatiana Kastouéva-Jean. "Tabou, parce que Poutine n'a jamais voulu qu'on spécule sur sa succession. Il a coupé court à toutes les rumeurs avec la réforme constitutionnelle de 2020." Cette modification, en lui permettant de se représenter aux élections de 2024 et de régner jusqu'en 2036 (pour autant que sa santé le lui permette), a étouffé les ambitions immédiates et les velléités de lui chercher un dauphin. "Il ne voulait pas que les loyautés s'érodent, qu'elles soient clivées entre plusieurs personnes." Il ne voulait pas apparaître en fin de règne.
Sa succession sera également marquée par "l'imprévisibilité et la manipulation", poursuit l'experte. Vladimir Poutine, "seul maître" du jeu, dont il peut changer les règles à son gré, décidera s'il reste ou non au Kremlin, combien de temps et qui sera son successeur le cas échéant. "Il ne laisse personne d'autre avoir la main sur ces questions. Tout est fait pour rendre l'anticipation peu prévisible, tout est fait pour manipuler, autant les opinions publiques que les élites, et pour laisser planer le doute. Tout le processus est organisé pour surprendre, pour ne pas laisser le temps de s'organiser."
La question du "quand" prend toute son importance dans le processus de transition. "Si un successeur est connu à l'avance, les élites auront moins de marge de manœuvre", avance Tatiana Stanovaya. "Plus il y aura de temps, plus le transfert de pouvoir sera gérable. Si le soutien à Poutine reste relativement stable, Poutine et son successeur auront un capital politique considérable à leur disposition." Mais s'il "quitte le poste de Président soudainement et sans avoir eu le temps de préparer un successeur, tout deviendra beaucoup plus imprévisible". Les grandes entreprises, les structures de force, la direction du parti Russie unie, les associés et amis influents de Vladimir Poutine tenteront de tirer leur épingle du jeu, de nommer un homme à eux, au prix d'une "lutte intense pour les leviers d'influence officiels".
Tout bénéfice pour les conservateurs ou les réformateurs ? Dans le contexte actuel, avec une opposition réduite au silence et une population russe majoritairement favorable à la guerre, le risque est élevé de voir les durs s'imposer. Mais si l'opération militaire spéciale s'enlise, les difficultés économiques s'accroissent dramatiquement et la désaffection se généralise, "les chances que la Russie se retrouve avec un Président réformateur - bien que faible - sont beaucoup plus élevées", affirme la politiste russe. Les libéraux encore en place au sein du système actuel ne sont plus guère nombreux cependant. Opposé à la guerre, Anatoli Tchoubaïs, qui était le conseiller spécial du président Poutine sur le dossier climatique, a fui la Russie en mars dernier. Restent le président de la Cour des comptes, Alexeï Koudrine, le patron de la Sberbank, German Gref, la présidente de la Banque centrale, Elvira Nabioullina. L'ancien président Dmitry Medvedev, pour sa part, s'est subitement transformé en faucon.
La transition promet en tout cas de déboucher sur une période d'incertitude, ajoute Tatiana Kastouéva. "Dans le régime très personnaliste qui s'est créé, où les institutions sont très faibles, où il n'y a pas de garde-fous, on ne sait pas trop comment va évoluer le système sans Poutine…"
Le "poutinisme" survivra-t-il à Poutine ?
"L'opposition a tendance à croire que si Poutine part, son régime s'en ira avec lui et il y aura une chance de voir une 'nouvelle perestroïka'", remarque la politiste Tatiana Stanovaya. Mais "les conservateurs pensent que ce moment serait l'occasion de serrer la vis". Pour autant, le successeur de Vladimir Poutine "n'aura pas autant de pouvoir que lui, qui est déjà resté vingt-deux ans au pouvoir", estime Tatiana Kastouéva-Jean. "Ce n'est pas parce qu'il va nommer le successeur que tout le pouvoir et l'autorité lui seront transmis en même temps. Le système va-t-il tenir ou pas ?" Selon la politologue de l'Ifri, "sur le fond, cela risque de rester la même chose". Mais, "sur la forme et le style, les relations pourraient aller dans le sens d'une normalisation, sans toutefois que la Russie rentre complètement dans le rang du système international tel qu'il était là avant."
Andreï Kolesnikov, pour sa part, imagine un changement de régime comparable à celui qui mit fin à trente-six ans de dictature en Espagne. "Le franquisme a survécu au caudillo Franco, mais il était néanmoins condamné. Quelque chose de similaire se produira dans la Russie post-Poutine", pronostique le politologue dans un tweet. "L'histoire russe montre que la libéralisation a inévitablement suivi le départ des tyrans", précise-t-il, dans un entretien au site Y tali . "Les périodes de Khrouchtchev et de Gorbatchev en sont la preuve."