La Russie a recours à des "oiseaux de feu" iraniens en Ukraine: "Cela ressemble quand même un peu à une troisième guerre mondiale"
Six appareils suicides fournis par Téhéran à l’armée russe ont visé mercredi une base militaire au sud de Kyiv. Des engins qui prennent de plus en plus le relais des missiles balistiques russes.
- Publié le 06-10-2022 à 14h07
- Mis à jour le 06-10-2022 à 18h50
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Andriy ne se souvient pas avoir entendu l'habituelle trivoha, la sirène anti-aérienne de mauvais augure qui rythme les jours et nuits des habitants de Bila Tserkva depuis plus de sept mois. «Vers 2 heures du matin, il y a eu une première déflagration et un bâtiment s'est enflammé», témoigne ce riverain du quartier général de la 72e brigade mécanisée séparée des Forces armées ukrainiennes, situé dans le centre de Bila Tserkva (208 000 habitants, à 90 kilomètres au sud de Kyiv). «Ensuite, il y a eu deux autres frappes, et d'autres bâtiments ont été touchés, le ciel est devenu tout rouge, poursuit-il. Nos gars leur mettent une sacrée pâtée là-bas dans l'Est, la preuve, maintenant les Russes sont obligés de nous taper dessus avec des drones iraniens…»
Oiseaux de feu
Le 5 octobre, Bila Tserkva, une ville militaire de première importance en Ukraine centrale, avait été frappée par des missiles balistiques. Mais mercredi, malgré la discrétion des militaires sur place, un brin tendus, la rumeur s’est vite propagée que des oiseaux de feu moyen-orientaux s’étaient cette fois abattus sur la ville. Alors que les soldats de la 72e, une des brigades les plus réputées des Forces armées ukrainiennes, affrontent l’armée russe dans la région de Horlivka (Donbass), les troupes de Poutine ont choisi la ville d’origine de la brigade pour infliger à l’Ukraine sa frappe de drones la plus destructrice sur un objet stratégique depuis le début de la guerre. Une première frappe de drones kamikazes iraniens avait ciblé le port d’Odessa le 26 septembre.
«Oui, ce sont bien des drones iraniens, regardez», confie un soldat de la brigade, en poste devant le bâtiment, montrant furtivement sur son téléphone la photo d'un débris de drone sur lequel est inscrit «Geran-2», le nom russe du Shahed-136, un drone suicide dont plusieurs centaines d'exemplaires auraient été fournis par Téhéran à l'armée russe.
Oleksiy Kuleba, le gouverneur de la région de Kyiv, confirme l'utilisation de drones Shahed-136 sur Bila Tserkva. Selon les autorités, 12 drones kamikazes ont été engagés, six ont été détruits par la défense anti-aérienne, et six se sont abattus sur leurs cibles, des baraquements de la brigade. Mercredi après-midi, de la fumée s'en échappe encore, alors que des soldats évacuent par camionnettes des équipements légers qui ont échappé aux incendies.
Manque de missiles
Depuis plusieurs semaines, l'armée russe a de plus en plus recours dans le ciel ukrainien aux drones iraniens, au détriment des frappes de missiles de croisière, et les drones, bien que parfois interceptés, donnent du fil à retordre à la défense anti-aérienne ukrainienne. «La Fédération de Russie est passée à l'usage massif de drones kamikazes iraniens et d'attaques de drones afin d'économiser ses missiles de haute précision», déclare mercredi à Kyiv le porte-parole de l'armée de l'air des forces armées ukrainiennes, Yuriy Ihnat. Le fait que la Russie utilise des drones de type Shahed-136, Shahed-129 et Mohajer-6 indique directement que la Fédération de Russie manque de missiles balistiques de type Kalibr, des engins très chers, qui coûtent 6 millions de dollars à l'unité.
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Récemment, les forces navales ukrainiennes indiquaient que la marine russe disposait encore en Mer noire de cinq navires porteurs de missiles de croisière Kalibr, soit une capacité totale de 32 projectiles, mais du côté de Moscou, l’heure est visiblement à l’économie. Mercredi, Vitaly Kim, le gouverneur de la région de Mykolaïv a également indiqué qu’au moins un drone suicide iranien a été abattu au-dessus de la ville.
Débris et mensonges
L'écho des ces explosions a visiblement atteint Téhéran, puisque le ministère iranien des Affaires étrangères a «rejeté» les accusations d'usage de drones iraniens par la Russie contre l'Ukraine. « La République islamique d'Iran considère comme non fondée les informations sur des livraisons de drone à la Russie et leur usage contre l'Ukraine», indique Nasser Kanaani, le chef de la diplomatie de Téhéran.
Pourtant, les débris trouvés au sud et au centre de l’Ukraine ne mentent pas. Alors que l’armée ukrainienne continue de progresser à l’est, dans les environs de Svatove (région de Louhansk), et que selon plusieurs sources, elle pourrait avoir repris ces dernières quarante-huit heures la bourgade stratégique de Snihurivka, dans l’oblast de Mykolaïv, les forces armées russes sont contraintes de frapper l’Ukraine à l’arrière, en comptant sur les doigts de la main leurs missiles opérationnels. Mercredi soir, les gouverneurs ukrainiens annonçaient que les officiers russes avaient quitté Snihurivka, laissant des poches de soldats. Des combats s’y déroulaient.
«L'Iran, c'est loin quand même, rigole ironiquement Andriy, si même vous, les Français, vous nous livrez de nouveaux canons [la livraison à l'Ukraine de nouveaux canons Caesar a été confirmée par les autorités françaises, ndlr], cela ressemble quand même un peu à une troisième guerre mondiale.»