Elon Musk continue à soutenir Kiev malgré lui
Le milliardaire a menacé de cesser le financement de Starlink après de rudes altercations sur Twitter.
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- Publié le 16-10-2022 à 22h24
- Mis à jour le 17-10-2022 à 08h28
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Il est difficile de prédire quelles seront les prochaines élucubrations de l'excentrique Elon Musk. Mais pour l'homme le plus riche du monde, qui projette de coloniser la planète Mars, la séquence enclenchée le 3 octobre est bel et bien lunaire. Le patron de Tesla et SpaceX avait alors tweeté un "plan de paix" pour en finir avec la guerre de la Russie en Ukraine. Une proposition très avantageuse pour le Kremlin, que le capricieux milliardaire a soumis au vote de ses quelque 108 millions de followers.
Avec près de 2,8 millions de votes, le "non" l'a emporté. Mais ce qu'Elon Musk a récolté avant tout, c'est une volée de bois vert de la part des internautes ukrainiens et de leurs soutiens - l'ambassadeur d'Ukraine en Allemagne Andriy Melnyk envoyant même une réponse "très diplomatique" : "allez vous faire…"
La reprise d’éléments de langage du Kremlin
Utilisateur compulsif de la plateforme, Elon Musk est familier des controverses en tout genre et des déclarations messianiques. Mais celle-ci a pris les Ukrainiens de court. Fin février, l’homme d’affaires avait dépêché plusieurs milliers d’antennes portatives de son réseau de satellites de basse altitude, Starlink, afin d’assurer la résistance des télécommunications ukrainiennes. Dans ses messages savamment orchestrés, il s’était porté comme soutien indéfectible du "combat contre la liberté" contre l’impérialisme revanchard de Vladimir Poutine.
Un idéal qui ne semble plus l’animer en ce début octobre. De ses réponses aux altercations et injures sur Twitter, il ressort qu’il se soucierait toujours du bien-être des Ukrainiens mais qu’il ne croit pas en la possibilité de leur "victoire totale" et redoute une escalade nucléaire. Son analyse survient à contre-courant des développements sur le terrain : dans le nord-est et au sud, les Ukrainiens ont repris l’initiative grâce à des reconquêtes conséquentes et mènent des incursions sur des cibles logistiques en plein territoire russe, comme ce dimanche à Belgorod. Des attaques qui n’augmentent pas, pour l’instant, le niveau d’alerte nucléaire.
Surtout, c’est la reprise d’éléments de langage propres au Kremlin concernant notamment "la Crimée toujours russe" ou la "neutralité" de l’Ukraine qui ont choqué. Pour certains, comme le journaliste Lucian Kim, Elon Musk n'exprimerait pas ses propres opinions en défendant ce "plan de paix", mais "transmettrait une proposition concrète - enrobée dans une menace - de Poutine lui-même." Le patron de Tesla dément avoir parlé au dictateur russe de ce sujet. Mais l'affirmation du réputé expert en géopolitique Ian Bremmer selon laquelle "Musk m'aurait dit qu'il a parlé avec Poutine et le Kremlin directement" alimente les spéculations. À tel point que certains se sont interrogés, sans grande subtilité, sur d’éventuelles influences étrangères sur le milliardaire. Russes, mais pas uniquement.
Dans un entretien au Financial Times, en date du 8 octobre, Elon Musk suggère à la Chine "d'imaginer une zone administrative spéciale" pour Taïwan, sous la forme d'un "arrangement plus souple que pour HongKong". Une proposition fort appréciée par Qin Gang, ambassadeur chinois aux Etats-Unis, suivie par une ristourne fiscale en faveur de Tesla en Chine annoncée le 10 octobre. Si l'influence de Pékin sur les déclarations d'Elon Musk est difficile à prouver, son intégrité morale et les risques liés à son aventurisme géopolitique sont sous le feu des critiques. "Elon Musk est prêt à jeter Taïwan sous le bus pour apaiser ses relations commerciales avec la Chine", a tweeté le militant des droits numériques Michael Caster. "Imaginez les concessions qu'il fera à la tête de Twitter pour censurer du contenu ou partager des données personnelles quand Pékin le lui demandera".
La liberté d’expression irrite le futur propriétaire de Twitter
Engagé dans un long processus pour racheter Twitter, afin notamment d'y "protéger la liberté d'expression", Elon Musk semble avoir peu goûté les critiques des internautes concernant son plan de paix pour l'Ukraine. Dès le 6 octobre, l'armée ukrainienne rapportait des déficiences dans le fonctionnement de Starlink, une première depuis le 24 février. Le 14 octobre, Elon Musk annonçait que "SpaceX ne peut pas continuer à continuer à financer indéfiniment" le système, en demandant au Pentagone de mettre la main à la pâte.
Il a fallu de nouveau plusieurs milliers de tweets, et probablement de longues négociations en coulisses, pour l'en dissuader. Mikhaylo Podoliak, conseiller de Volodymyr Zelensky, a tenté de calmer les tensions en remerciant publiquement Elon Musk d'avoir aidé l'Ukraine à "résister dans les moments les plus critiques de la guerre", tout en assurant que son gouvernement "trouvera une solution pour que Starlink continue à fonctionner" sans le financement de SpaceX.
Samedi, Elon Musk met fin au suspense et annonce, toujours sur Twitter, "continuer à financer le gouvernement ukrainien". En Ukraine, son tweet soulage. Mais l'introduction toute puérile : "et puis mer…", de même que l'apparente volatilité du personnage, ne sont pas pour rassurer. Starlink n'est pas le seul support des télécommunications ukrainiennes, fortes d'un vaste réseau national de haut débit et décentralisé. Mais le pays envahi demeure plus que jamais dépendant de l'aide extérieure dans son effort de guerre.