"La crise la plus grave depuis la Seconde guerre mondiale": la colère d'Erdogan jugule l'adhésion de la Suède et de la Finlande à l’Otan
Erdogan rejette l'adhésion de la Suède, incitant la Finlande à jouer cavalier seul.
Publié le 27-01-2023 à 22h22
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En déposant en mai dernier leurs candidatures à l’Otan, la Suède et la Finlande, les derniers pays non alignés d’Europe du Nord, inquiets par l’invasion russe en Ukraine le 24 février 2022, espéraient rejoindre rapidement le parapluie protecteur de l’Alliance atlantique.
Un objectif freiné par la Turquie, le seul des 28 membres de l’Otan à refuser jusqu’à présent l’adhésion de ces deux États. Suède en tête, ils sont dans la ligne de mire d’Ankara pour leur accueil des membres du Parti des travailleurs kurdes (PPK) qui figure sur la liste des terroristes de l’UE et des États-Unis.
Pourtant les gouvernements suédois et finlandais se sont engagés en juin dernier dans un mémorandum, lors du sommet de l’OTAN à Madrid, à soutenir la Turquie contre “les menaces à sa sécurité”, confirmant le PKK comme une “organisation terroriste”. Et à “agir rapidement” pour répondre aux demandes d’extradition de militants du PKK soupçonnés de terrorisme.
En dépit de ces assurances, le président turc a donné un coup d’arrêt mardi à l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’Otan, en reportant sine die une rencontre entre les trois pays initialement prévue début février et destinée à lever les dernières objections d’Ankara.
À l’origine de cette décision, la colère du président turc indigné de voir son effigie pendue par les pieds à un réverbère sur un pont de Stockholm le 13 janvier. Le simulacre d’exécution posté sur Twitter par le Comité du Rojava (territoires kurdes dans le nord de la Syrie), proche du PKK, a été condamné vigoureusement par le Premier ministre suédois Ulf Kristersson.
Mais sans convaincre M. Erdogan, qui a réclamé deux jours plus tard “l’expulsion ou l’extradition de quelque 130 terroristes de Suède et de Finlande avant que le Parlement ne donne le feu vert à l’adhésion de ces deux pays”.
Le coup de semonce du dirigeant turc a de nouveau résonné le 21 janvier lorsqu’un extrémiste dano-suédois, Rasmus Paludan, a brûlé, sous protection policière, un exemplaire du Coran devant l’ambassade turque à Stockholm. Un acte qui a provoqué des manifestations de colère dans plusieurs villes du monde musulman comme en Turquie, en Irak, au Pakistan et en Afghanistan où le drapeau suédois a été brûlé et des appels au boycott des produits de Suède lancés.
Sabotage
Condamnant cet autodafé qualifié de “sabotage contre l’entrée de la Suède à l’Otan”, le dirigeant suédois a néanmoins souligné qu’il “ne pouvait l’interdire” au nom de “la liberté d’expression qui est un élément fondamental de notre démocratie”. “Brûler des livres qui sont sacrés pour beaucoup est un acte profondément irrespectueux”, a-t-il précisé, tenant à “exprimer (sa) sympathie à tous les musulmans qui ont été offensés”. Pas de quoi calmer l’indignation d’Erdogan. “Ceux qui autorisent ce genre de blasphème devant notre ambassade ne devraient plus s’attendre à notre soutien pour leur adhésion à l’Otan”, martèle-t-il.
Face à la montée des tensions entre Stockholm et Ankara, le ministre finlandais des Affaires étrangère a avancé l’option de voir son pays rejoindre l’Otan sans la Suède. “La Finlande pourrait peut-être envisager que son processus d’adhésion à l’OTAN se poursuive sans la Suède”, a laissé entendre mardi le ministre des Affaires étrangères Pekka Haavisto à la télévision Yle, à la grande stupéfaction de Stockholm. Avant de tempérer quelques heures plus tard sa déclaration, en assurant “que l’option numéro un en termes de sécurité de la Finlande et de la Suède consiste toujours que nous y entrions ensemble dans l’Otan.”
À Stockholm, le Premier ministre tente de se dépêtrer de “la crise la plus grave du royaume depuis la Seconde guerre mondiale”, affirmant sa volonté de “renouer le contact” avec la Turquie pour permettre l’adhésion “vitale” du pays à l’Otan. “Je veux renouer le dialogue avec Ankara”, a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse, critiquant les “provocateurs qui tentent de déstabiliser la candidature suédoise”. Un appel pressant qui reflète l’inquiétude réelle du gouvernement suédois face à l’intransigeance d’Ankara à son égard.
La Suède est dans l’œil du cyclone, ayant toujours fait l’objet de critiques de la Turquie, accusée, beaucoup plus que la Finlande, d’être un refuge de terroristes du PKK. Et pourtant le gouvernement suédois, soutenu par l’extrême droite, a donné des gages à Ankara, expulsant en décembre un réfugié kurde, Mahmut Tat accusé d’avoir entretenu des liens avec le PKK. Et s’apprêtait à extrader le journaliste d’opposition turque, Bülent Keneş, soupçonné d’avoir fait partie du mouvement Gülen dirigé par l’imam turc Fethullah Gülen accusé par Ankara d’être derrière la tentative de coup d’État de 2016 contre Erdogan.
Mais la Cour suprême suédoise a rejeté fin décembre cette extradition au motif que les accusations portées contre lui “relevaient de crimes politiques” et le fait d’être membre du mouvement de Gülen “n’était pas répréhensible en Suède”.
Répondant aux critiques d’Ankara suite à ce rejet, le chef du gouvernement suédois a rappelé qu’il “se devait de respecter le droit suédois et international en matière d’extradition et de ne pas interférer dans une décision de justice indépendante”, sans convaincre pour autant Ankara.
En poursuivant ses efforts pour lever le blocage turc, M. Kristersson doit néanmoins tenir compte de l’opinion publique. Selon un sondage Ipsos publié récemment dans DN, 79 % des Suédois pensent que la Suède “ne doit pas céder” à la Turquie et “doit défendre ses principes en tant qu’État de droit, même si cela retard son adhésion à l’Otan”.
Helsinki épargné
La Finlande voisine n’a pas subi le même feu nourri de critiques d’Ankara. Dès mai dernier, son chef de la diplomatie avait assuré que son pays était “prêt à garantir” à la Turquie que les réseaux de l’organisation terroriste du PKK seraient surveillés de très près. “Nous pouvons offrir de telles garanties à la Turquie car le PKK est répertorié comme groupe terroriste en Europe”, a-t-il déclaré à la chaîne Yle.
Un message qui semble avoir convaincu Ankara puisque la cheffe du gouvernement finlandais Sanna Marin a assuré 4 mois plus tard à l’issue d’une rencontre avec M. Erdogan à Prague, en marge d’un sommet informel de l’UE le 7 octobre dernier, que “l’adhésion de la Finlande à l’Otan se déroulait comme prévu”. “J’ai parlé à Erdogan de la ratification de l’Otan. Il m’a dit qu’il n’y avait pas de problèmes avec la Finlande”, a-t-elle souligné.
”Nous avons toujours été cohérents […] et nous tenons maintenant les promesses faites au sommet Madrid en mai. Alors bien sûr, nous espérons que la Turquie ratifiera notre adhésion à l’Otan dès que possible” a-t-elle ajouté. “Mais avec la Suède”, a insisté mercredi son ministre des Affaires étrangères M. Haavisto, en, visite à Tallinn. “Il n’y a pas de plan B” affirme-t-il. “La Finlande ne fera pas cavalier seul…