En Ukraine, l’étoile au firmament du général Zaloujny, celui qui a évité une catastrophique défaite
Le commandant en chef des forces armées ukrainiennes est devenu l’une des figures les plus populaires de la scène publique ukrainienne. Il a d’abord été l’un des architectes de la modernisation de l’armée. Portrait.
Publié le 04-02-2023 à 15h02 - Mis à jour le 05-02-2023 à 07h58
:focal(2228.5x1391.5:2238.5x1381.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/MSHQVA7WGRD6FIHQH5GGSRICBM.jpg)
Dans la cacophonie d’un pouvoir ukrainien empêtré dans son premier scandale de corruption depuis le début de l’invasion russe – une affaire de contrat d’approvisionnement en nourriture pour l’armée ukrainienne à des prix gonflés –, le général Valéri Zaloujny a donné l’impression, sur sa page Facebook, de vouloir sonner la fin de la récréation, avec un appel direct : “le ministère de la Défense et les forces armées font preuve d’une tolérance zéro envers la corruption, toutes les allégations doivent être vérifiées attentivement et être suivies d’une analyse légale et d’une réponse appropriée.” Manière de remettre les choses à plat après plusieurs jours de confusion, ayant vu les autorités ukrainiennes commencer par nier toute malversation, avant de reconnaître de vagues “erreurs”.
Il faut dire que la voix du commandant en chef des forces armées ukrainiennes porte, et que sa stature de gros gaillard aux cheveux coupés ras n’a aujourd’hui que peu d’égal sur la scène publique ukrainienne. Illustration nette : un sondage réalisé par le sérieux centre Razoumkov, en décembre, place le militaire à la deuxième place d’un classement des “politiciens de l’année” – le président ukrainien Volodymyr Zelensky ayant sans surprise pris la première place.
Valéri Zaloujny n’est pas un politicien, ce qui n’a pas empêché les Ukrainiens interrogés par l’institut de le mentionner spontanément. Il faut dire que les internautes usent et abusent de son image sur les réseaux sociaux à coup de memes, de montages photos et de citations. Avec toujours le même fil rouge, celui de faire l’éloge d’un général compétent et d’un stratège déterminé. Si l’homme n’intervient pas directement sur les réseaux, au contraire d’un Zelensky omniprésent, il ne manque pas d’un certain doigté dans son rapport aux médias. En témoignent ces clichés d’un commandant souriant, arborant le V de la victoire en marchant auprès de journalistes.
Celui qui a évité une catastrophique défaite
Le général, placé en juillet 2021 à la tête des forces armées ukrainiennes, doit bien sûr sa popularité aux exploits de l’armée en 2022, d’abord aux portes de Kiev en mars, puis dans la région de Kharkiv en septembre et de Kherson en novembre. “Il est devenu un symbole, comme Joukov en son temps”, juge Volodymyr Fessenko, politologue basé à Kiev. L’homme n’est certes, par rapport au maréchal soviétique, pas encore le général de la victoire. Mais il est déjà vu comme celui qui a évité à l’Ukraine une catastrophique défaite.
Il n’y avait rien de négatif sur lui, mais rien de particulièrement positif non plus.
Rien ne prédisait ce destin, lorsque Valéri Zaloujny a atteint le poste suprême de commandant en chef des forces armées. La nomination n’a d’ailleurs pas suscité, à l’époque, de réaction particulière. “On connaissait son nom, mais pas beaucoup plus”, se rappelle Oleksiy Melnyk, spécialiste en sécurité au centre Razoumkov et ancien officier de l’armée de l’air ukrainienne. “Il n’y avait rien de négatif sur lui, mais rien de particulièrement positif non plus. Même pour les experts, il était simplement l’un des généraux ukrainiens.”
Son arrivée marque tout de même le passage d’un palier symbolique. Né en 1973 dans la région de Jytomir, dans le centre de l’Ukraine, le général Zaloujny est le premier commandant en chef des forces armées ukrainiennes à ne pas être passé par les académies militaires soviétiques. C’est en effet au début des années 90, lorsque l’Ukraine est déjà un État indépendant, que Valéri Zaloujny est entré à l’académie militaire d’Odessa, avant de grimper un par un les échelons de la hiérarchie militaire. “Ce que cela signifie aussi, c’est qu’il a, depuis les années 90, été exposé à la coopération avec l’Otan, sans compter qu’il avait déjà, depuis 2014, une véritable expérience de la guerre”, explique Oleksiy Melnyk.
En 2014, lorsque l’armée ukrainienne, alors encore en déliquescence, affrontait des groupes séparatistes sous tutelle de Moscou (et renforcés par des éléments de l’armée régulière russe), Valéri Zaloujny a été en effet nommé commandant en chef adjoint du secteur “S”, dans la région de Donetsk.
Une armée modernisée
Vu comme sérieux, respecté de ses hommes, avide de doctrine – il reconnaît sans détour, dans une interview au média britannique The Economist, avoir lu l’ensemble des travaux de son homologue russe Valéri Guerassimov et même admirer l’homme –, Valéri Zaloujny a continué, à son arrivée à la tête de l’armée ukrainienne, les travaux de modernisation entamés après la révolution de Maïdan en 2014 et le début du conflit dans l’Est de l’Ukraine. Dans une interview publiée en 2020, il insiste par exemple sur l’importance de créer une classe de “sergents” qui “ne soient pas simplement des boucs émissaires, comme dans l’armée russe”.
Deux ans plus tard, l’absence d’un véritable corps de sous-officiers respectés et habilités à prendre des décisions sera présentée comme l’une des nombreuses failles expliquant les revers des troupes russes en Ukraine.
Et après, un pied en politique ?
Devenu un véritable héros de l’Ukraine et l’un des hommes les plus célébrés du pays, Valéri Zaloujny pourrait-il envisager une carrière politique ? Son énorme popularité susciterait en tout cas l’agacement de l’entourage du président qui, d’après des rumeurs jamais confirmées, craindrait que l’homme ne vienne faire de l’ombre à Volodymyr Zelensky. N’a-t-il pas figuré sur la prestigieuse Une du magazine Time, quelques semaines avant que le Président soit nommé personnalité de l’année ? Seul indice d’une activité au-delà de la pure sphère militaire, le général avait annoncé en avril 2022 la création d’un fonds de soutien à l’armée portant son nom, manœuvre similaire à celle de nombreux politiciens ukrainiens désireux d’afficher leur soutien à l’armée. Quelques jours plus tard pourtant, le nom de l’organisation a été changé.
Il est évident que Zaloujny représente une alternative potentielle pour ceux qui n’aiment pas Zelensky.
“Il y a parfois des tensions [avec le bureau de la présidence], mais pas de conflit”, pense savoir Volodymyr Fessenko, pour qui “il est évident que Zaloujny représente une alternative potentielle pour ceux qui n’aiment pas Zelensky”, même si rien n’indique que le général ait pour l’heure la moindre envie de se lancer dans une telle aventure. Et face à la perspective d’une guerre longue, l’image rassurante de professionnel de la guerre que projette le général pourrait rester son principal atout.