Guerre Ukraine : Vladimir Poutine prépare-t-il une grande offensive ? Il a de nombreuses raisons de se hâter
Les forces de Moscou tentent de progresser dans le Donbass avant que les Ukrainiens ne reçoivent de nouveaux chars et que le redoux ne rende le terrain difficile pour la guerre de manœuvres.
- Publié le 14-02-2023 à 13h57
- Mis à jour le 14-02-2023 à 14h08
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Les images satellites ont un goût amer de déjà-vu. A Voronej, à environ 250 kilomètres de l’Ukraine, et à Postoyalye Dvory, à une centaine de kilomètres de la frontière, les troupes russes se massent depuis plus de deux semaines. Il y a un an, certains des soldats envoyés envahir l’Ukraine étaient partis de ces mêmes camps. Selon des officiels ukrainiens, plus de 300 000 militaires russes seraient aujourd’hui en Ukraine, soit deux fois plus que ceux massés autour des frontières à la veille de la guerre.
Depuis plusieurs semaines, Kiev alerte sur une nouvelle offensive de grande ampleur à venir. Le premier anniversaire de la guerre se rapproche et Vladimir Poutine aime les symboles. Selon les services de renseignements ukrainiens, des soldats russes sont massivement déployés dans l’est et le sud-est du pays. Le maître du Kremlin aurait donné l’ordre de s’emparer de l’intégralité des régions de Donetsk et Louhansk d’ici mars.
L’offensive aurait même déjà commencé, estime l’historien militaire Michel Goya. "C’est une nouvelle version de l’offensive du Donbass qu’on pouvait observer au printemps dernier. L’objectif est de 'libérer' complètement la région." Depuis le début de l’année, les combats se sont intensifiés dans cette zone, plutôt à l’avantage des Russes. Les troupes de Moscou appuyées par le groupe paramilitaire Wagner se sont emparées de la petite ville de Soledar en janvier, leur première victoire depuis la prise de Lyssytchansk début juillet, et l’étau autour de Bakhmout se resserre. Les Russes ont également tenté de percer les lignes ukrainiennes dans le secteur de Kreminna, près de Lyssytchansk, et à Vuhledar, au sud du Donbass. Dans cette bourgade, ils semblent avoir subi une sévère déroute, perdant plus d’une trentaine de blindés lors de leur tentative d’attaque.
Une offensive russe trop hâtive ?
"Ce que l’on observe pour le moment n’est pas une véritable offensive, comme on a pu en voir en septembre côté ukrainien par exemple, avec des mouvements massifs dans plusieurs zones et un axe d’effort, nuance Thibault Fouillet, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique. Ici, il ne s’agit pour l’instant que d’une intensification des combats."
The Institute for the Study of War, centre de recherches américain qui suit au jour le jour l’évolution des combats, alerte depuis la fin de l’année 2022 de la préparation d’une offensive russe. La semaine dernière, il estimait que l’attaque pouvait avoir commencé dans la région de Kreminna, malgré l’impréparation de l’armée. "Le commandement militaire russe pourrait se hâter de lancer une opération offensive de grande envergure pour conquérir l’oblast de Donetsk dans un délai irréaliste et probablement sans une puissance de combat suffisante, indique la note du 7 février. Le rapport temps-terrain pourrait entraver les aspirations russes d’une avancée rapide à grande échelle, alors que l’Ukraine entre dans une saison printanière boueuse qui ne convient pas à la guerre de manœuvre.»
La Russie a de nombreuses raisons de se hâter. "Outre les questions météo et la fin prochaine du gel des sols, il y a bien sûr un enjeu symbolique important avec l’anniversaire du début de la guerre, et une série de grands meetings de Poutine annoncés. Les Russes cherchent à reprendre l’initiative alors que la dynamique depuis six mois est ukrainienne, explique Thibault Fouillet. La prise du Donbass est leur objectif majeur depuis avril 2022, c’est même la justification qui avait été avancée au retrait de la région de Kiev. Mais ils n’ont avancé que très lentement depuis, et même reculé autour de Lyman." La plupart des spécialistes doutent que des attaques de grande ampleur aient lieu sur d’autres villes comme Kharkiv et Kiev, comme ce fut le cas en février 2022. «S’ils réussissent à s’emparer de Bakhmout et Siversk, les Russes auront une poche importante. Mais ce sera un effort long. Au rythme de leur progression sur le terrain, ils ne conquerront pas le Donbass avant 2024″, estime Michel Goya.
Autre raison de se précipiter : les chars promis par les Occidentaux devraient être opérationnels en Ukraine d’ici quelques mois, ce qui laisse à la Russie une courte fenêtre pour mener son offensive. "Même si les armements occidentaux n’arrivent pas à temps pour participer à une contre-offensive ukrainienne, ils vont permettre à Kiev de lancer des opérations ce printemps en sachant que des remplacements sont assurés. Les pertes probables ne laisseront pas l’Ukraine vulnérable plus tard dans l’année", explique Michael Kofman, spécialiste de l’armée russe, dans une analyse publiée sur Twitter.
La victoire russe est par ailleurs loin d’être certaine. Même si l’armée ukrainienne souffre du regain d’intensité des combats dans le Donbass, elle a déjà réussi à mener à bien de grandes contre-offensives dans le passé. "Les Ukrainiens se contentent-ils de résister ? Ou préparent-ils eux aussi une opération de plus grande ampleur ? s’interroge Michel Goya. On a été étonnés par leur offensive à Kharkiv. On n’est pas à l’abri d’une nouvelle surprise."