"Jetés comme de la viande sur la ligne de contact”, les mobilisés russes partagent colère et lassitude sur les réseaux
De nouvelles vidéos sont apparues en ligne ces dernières semaines, dans lesquelles des hommes envoyés dans le Donbass dénoncent leurs conditions.
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Publié le 23-03-2023 à 06h44 - Mis à jour le 23-03-2023 à 07h17
Ces histoires sont vieilles comme le monde russe et ses nombreuses guerres, mais souvent invisibles. Depuis la mobilisation partielle organisée en septembre dernier, des centaines de mères ont tenté d’aller rechercher leur fils en allant tout simplement frapper à la porte de leur bataillon, parfois, plusieurs jours de suite. Les arguments juridiques ayant peu d’influence sur les responsables militaires, rares sont les femmes à avoir pu ramener mari ou fils à la maison…
Dans une vidéo publiée lundi, Galina, une mère de famille originaire de l’Altaï en Sibérie, à proximité de la frontière mongole, s’est filmée devant la base militaire qui héberge son enfant, dans la région de Belgorod, à la frontière ukrainienne. À l’accueil, un responsable lui a confirmé qu’ils attendaient l’ordre d’envoyer les hommes en Ukraine. “C’est illégal, ils n’ont même pas à être à proximité de la frontière, où il y a un risque”, s’est agacée la femme, en appelant désespérément à l’aide des autorités militaires. Elle n’avait pas obtenu gain de cause lundi.
La plainte de cette mère peut paraître naïve, vu de l’extérieur. L’armée ukrainienne et les services américains ont constaté, depuis longtemps, que les mobilisés étaient régulièrement envoyés mal armés et peu entraînés en première ligne. Entre 318 000 (selon Vladimir Poutine) et 500 000 personnes (selon des ONG russes) auraient été mobilisées entre septembre et décembre 2022. Elles sont utilisées comme de la chair à canon pour attaquer les tranchées ennemies.
Elles sont utilisées comme de la chair à canon pour attaquer les tranchées ennemies.
Mais ce constat n’est pas aussi clair pour la population russe qui ne parvient pas à concevoir la chose. La croyance en un État protecteur et une armée glorieuse est tenace. À cela s’ajoutent le manque d’informations sur la réalité du terrain et une autre croyance, celle que l’État respecte la loi. Vladimir Poutine avait promis de n’envoyer personne en première ligne, c’est pourtant le cas dès le début de la mobilisation. Mais les Russes n’osent y croire, alimentant une naïveté nationale.
Des plaintes en ligne
Pour autant, la guerre traîne, la bataille de Bakhmout paraît sans fin, de quoi faire perdre du sens à l’opération militaire, vu de Russie. Cette fatigue de l’opinion publique est certainement à l’origine de cette résurgence des complaintes diffusées en ligne.
La majorité de ces vidéos tendent à pousser le Kremlin, rarement critiqué, à faire pression sur les autorités locales pour améliorer le quotidien des hommes. Le président russe, qui défend une image d’homme intègre, est vu comme le sauveur ultime, celui qui fera respecter la loi. Il ne fait pas l’objet de critiques, parce que la population sait où se trouvent les limites : il ne faut jamais attaquer le président.
Dans une vidéo diffusée le 11 mars dernier par la chaîne Telegram – application très utilisée par les familles – “Attention, nouvelles !”, des soldats cagoulés ont appelé à l’aide Vladimir Poutine et son ministre de la Défense, Sergueï Choïgou. Ces hommes originaires de Serpoukhov, dans la région de Moscou, avaient été mobilisés en septembre. Le 27 décembre, ils ont été envoyés à Donetsk après avoir été formés à l’usage de l’artillerie. Le 1er mars dernier, ils ont finalement appris qu’ils seraient envoyés au front dans un détachement d’assaut. Deux heures plus tard, ils étaient sous les bombes.
Dans leur vidéo, ces hommes affirment avoir été envoyés “sur la ligne de contact, jetés comme de la viande pour prendre d’assaut les zones fortifiées”. Précision d’importance : si ces soldats demandent à être retirés du front, ils réclament avant tout “une compréhension de la situation” de la part du président et affirment vouloir continuer à défendre leur patrie.
Faire remonter les plaintes aux gradés fait partie de la tradition militaire russe. Ces derniers mois, la démarche a pu pousser certains commissariats militaires à régler quelques problèmes mineurs, pour couper court à la colère avant qu’elle ne soit remarquée par Moscou.
Mais dans d’autres situations, ces vidéos ont pris un tournant dramatique. Un groupe de mobilisés originaires d’Irkoutsk, en Sibérie, aurait été envoyé directement sur le front après avoir refusé d’aller se battre en première ligne dans la région de Donetsk. Les mères et femmes de ces militaires ont commencé à s’inquiéter le week-end dernier quand elles ont perdu contact avec eux. Ces conscrits formés à l’usage de l’artillerie depuis plusieurs mois auraient été envoyés avec de simples mitrailleuses en première ligne, certains seraient déjà morts.