Sergueï Jirnov, ex-agent du KGB: "Le moment que je crains le plus, c'est la victoire des Ukrainiens"
Ceux qui se sont enrichis en Russie au cours des vingt dernières années “n’ont pas envie d’être à La Haye en ayant tout perdu”, dit-il.
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Publié le 24-03-2023 à 18h14 - Mis à jour le 24-03-2023 à 18h15
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”La meilleure façon de mettre fin à la guerre en Ukraine, c’est d’envoyer Vladimir Poutine devant la Cour pénale internationale (CPI) , comme les Serbes l’ont fait avec Milosevic”. Tel est l’avis de Sergueï Jirnov, ex-espion du KGB, réfugié en France depuis vingt ans et habitué des plateaux de télévision. La CPI a décerné un mandat d’arrêt contre le président russe le 17 mars pour le crime de guerre de “déportation illégale” d’enfants ukrainiens lors de l’invasion russe.
Selon Jirnov, l’impulsion peut venir soit de l’armée russe, soit des services secrets (dont le FSB), avec l’objectif d’en finir avec un homme qui s’est progressivement isolé au Kremlin et a amené la Russie dans une guerre qu’elle ne peut pas gagner.
”Je mise sur les pragmatiques”, a-t-il dit vendredi à quelques journalistes à Bruxelles. “Ceux qui ont passé vingt ans à voler le peuple et à constituer des fortunes en milliards. Ils n’ont pas envie d’être à La Haye en ayant tout perdu”. “Cela commence à bouger”, poursuit-il. “La semaine dernière, sous des prétextes divers, quinze poids lourds ont refusé d’aller à la réunion des entrepreneurs de Russie, le Medef russe”.
La puissance de l’armée russe est, selon lui, de façade
Auteur de plusieurs livres, Jirnov estime que la Russie a déjà perdu la guerre conventionnelle et que sa puissance militaire est de façade. Ses missiles stratosphériques se comptent sur les doigts de la main. Son char Armata T-14, présenté par son constructeur comme le plus puissant du monde, est tombé en panne lors d’un défilé sur la place Rouge. L’armée russe a dû ressortir les chars T-54 “qui ont servi à Staline”. L’ex-espion rejoint les analystes qui affirment que l’armée russe n’était pas prête à faire la guerre quand Vladimir Poutine a ordonné l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022.
Le moment que je crains le plus, c’est la victoire des Ukrainiens. Car c’est à ce moment-là que Poutine sera tenté de pousser sur le bouton.
La faiblesse conventionnelle de l’armée russe a un revers. En cas de défaite, le président russe sera-t-il tenté, par dépit, d’utiliser l’arme nucléaire ? “Il peut”, répond Sergueï Jirnov. “Il y a deux forces, l’une qui va le pousser dans les rangs ultranationalistes, l’autre qui va le retenir. Le moment que je crains le plus, c’est la victoire des Ukrainiens. Car c’est à ce moment-là que Poutine sera tenté de pousser sur le bouton”.
Ce qu’il dit de Vladimir Poutine
Jirnov décrit le président russe comme un dirigeant qui s’est progressivement isolé de monde extérieur, surtout pendant la période du covid, où il a développé une peur physique pour lui-même, la crainte de vieillir et de mourir, “le refus de la réalité c’est-à-dire de laisser le pouvoir aux autres” et un besoin d’éternité. “Il n’est pas un malade mental, mais c’est un sociopathe, qui n’est pas capable d’empathie”.
Son accession au pouvoir n’est pas un accident de l’histoire. “Il était attendu” par le peuple russe car il a “joué la carte de la normalité” et a fait résonner chez l’électeur toute la palette de l’identification : une naissance à Saint-Pétersbourg, ville impériale, une famille ouvrière, des références aux contes pour enfants. Selon l’ex-espion, il est “rusé”, “n’a aucune morale” et est profondément “opportuniste”, surfant sur les thèmes de l’empire tsariste, de l’Union soviétique et de la deuxième guerre mondiale pour attirer les électeurs.
C'est un sociopathe, qui n'est pas capable d'empathie.
Jirnov a rencontré quelques fois Poutine, notamment en 1984 à l’institut Andropov du KGB à Moscou où les deux hommes se préparaient à une carrière dans les services secrets. Si le président russe a peiné à obtenir un poste à l’étranger (Dresde, en RDA, de 1985 à 1990), Jirnov a été propulsé plus rapidement dans la carrière grâce à son diplôme de l’Institut d’État des relations internationales de Moscou (MGUIMO). Jirnov est chargé en 1991 d’infiltrer l’École nationale d’Administration (ENA) où il fut le premier Soviétique à entrer… grâce à une bourse de l’État français. Il démissionne après la liquidation officielle du KGB en novembre 1991 et entreprend une carrière de journaliste et enseignant avant de trouver refuge en France en 2001.
Sa promotion, une tentative de le discréditer
En 2019, l’armée russe a promu Sergueï Jirnov au rang de colonel de réserve, dans une tentative selon lui de le discréditer après être passé dans le camp occidental. Il n’a aucune intention de retourner en Russie, où il n’a plus de famille. “La différence avec Alexeï Navalny”, dit-il, en référence à l’opposant interné en Russie, “c’est que je ne me prends pas pour Jésus. Je sais ce qui m’attend si je rentre en Russie”.
Sergueï Jirnov va intervenir lors d’un colloque à Bastogne, le 21 avril, sur le thème “Sommes-nous encore capables de nous défendre ? La démocratie face à ses ennemis”. www.bastognewarmuseum.be
