Les Occidentaux ont peu de raisons de se réjouir outre mesure du sort d’Evgueni Prigojine
"La Russie poursuivra son jeu cynique, avec ou sans Wagner, en Ukraine et en Afrique".
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- Publié le 24-08-2023 à 21h43
- Mis à jour le 24-08-2023 à 20h42
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Les jours d'Evgueni Prigojine, patron du groupe paramilitaire Wagner, étaient sans doute comptés depuis qu'il avait lancé, en juin, une rébellion contre Moscou, humiliant ainsi le puissant président russe Vladimir Poutine en pleine guerre contre l'Ukraine. L'annonce par le Kremlin de la mort de ce putschiste dans un "accident" d'avion n'a donc pas étonné grand monde dans les rangs des Occidentaux, qui ont néanmoins accueilli la nouvelle avec une certaine circonspection. Et surtout, sans se faire d'illusions sur une éventuelle baisse d'activité de Wagner, vassal du Kremlin, en Ukraine ou dans différents pays d'Afrique.
"Pratiquement rien de ce qui sort de Russie ces jours-ci n'est crédible. Nous avons vu les informations, mais c'est très difficile à vérifier pour nous", a ainsi prudemment déclaré Peter Stano, porte-parole du Service européen pour l'action extérieure. À Berlin, la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, a enjoint de ne pas tirer de "conclusions hâtives" sur le sort de M. Prigojine.
Si elle venait à être confirmée par des sources indépendantes, la disparition de ce mercenaire, dont le groupe prête main-forte aux soldats russes en Ukraine et aux régimes illégitimes ou autoritaires en Afrique, ne sera certainement pas regrettée. "On sait qui il était et on sait ce qu'est Wagner", a déclaré M. Stano, exprimant sans le dire tout le bien qu'il pense du personnage.
Svetlana Tikhanovskaïa, dirigeante de l'opposition biélorusse, a pour sa part clairement indiqué que "c'était un meurtrier" et qu'il "ne manquera à personne en Biélorussie". C'est dans ce pays, allié de Moscou, qu'Evgueni Prigojine avait été "invité" à se rendre par Vladimir Poutine, après son coup d'État échoué. Seul le groupe Wagner a salué "un héros de la Russie" et un "véritable patriote de sa patrie", mort à cause de "traîtres", sans nommer ceux-ci.
Signe de la violence de Poutine
Pour autant, les Occidentaux ont peu de raisons de se réjouir outre mesure du sort d’Evgueni Prigojine. Notamment parce que cela démontre le pouvoir et le zèle de Vladimir Poutine, dont l’implication semble faire peu de doutes, alors que d’aucuns spéculaient sur sa faiblesse après la rébellion échouée de Wagner. Ce qui rappelle aussi à quel point le régime russe reste une boîte noire, dont l’imprévisibilité pose l’un des plus grands défis aux alliés de l’Ukraine.
La ministre française des Affaires étrangères Catherine Colonna a ainsi ironisé jeudi sur "le taux de mortalité particulièrement élevé" parmi les proches de M. Poutine - ou plutôt de ceux qui le défient. De son côté, le président américain Joe Biden a rappelé que "peu de choses se passent en Russie sans que Poutine n'y soit pour quelque chose". "Tout le monde comprend qui est impliqué", a aussi noté le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Pour Mme Baerbock, cet incident montre qu'"un système, un pouvoir, une dictature construits sur la violence ne peuvent que recourir à la violence en interne".
La menace Wagner persistera
Pour ce qui est de Wagner, personne n'oserait à ce stade parier sur la disparition de ce groupe de mercenaires, utilisé par la Russie pour étendre son influence sur divers théâtres de conflits. En soi, Evgueni Prigojine était bien "l'homme des basses œuvres de Poutine", a estimé le porte-parole du gouvernement français Olivier Véran. Et donc l'activité de Wagner "n'est pas seulement liée au nom de son dirigeant", le groupe étant "contrôlé et financé par le Kremlin", a regretté M. Stano.
La présence des membres de Wagner en Biélorussie depuis le putsch avorté de juin n'est pas moins menaçante pour les Européens. Le groupe sera toujours ou même davantage "utilisé comme un outil de provocation, de chantage […] pour déstabiliser les pays frontaliers de la Russie et de la Biélorussie", anticipe le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki. "La mort de Prigojine ne doit pas nous rendre plus sereins", a enchéri le président lituanien, Gitanas Nauseda. Cela vaut également pour l'Afrique, où le groupe est présent en Libye, Syrie, Centrafrique ou encore au Mali, guettant désormais aussi le Niger, depuis le coup d'État de juillet.
Pour Mme Baerbock, il y a de fortes chances que "la Russie poursuive son jeu cynique, avec ou sans Wagner, non seulement en Ukraine, mais surtout en Afrique".