Comment l'Europe cherche à faire avancer le plan de paix pour l'Ukraine, dans un contexte géopolitique mouvant
Les ministres des Affaires étrangères et de la Défense se réunissent à Tolède pour discuter notamment des efforts diplomatiques de l’UE en soutien à Kiev.
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- Publié le 29-08-2023 à 22h34
- Mis à jour le 29-08-2023 à 21h03
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Les ministres de la Défense et des Affaires étrangères des États membres sont attendus ce mercredi et jeudi à Tolède, en Espagne, après un été marqué par des remous géopolitiques. Coup d’État au Niger, efforts de l’Arabie saoudite pour se poser en médiateur sur la guerre en Ukraine, élargissement du club des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) à six nouveaux pays d’Afrique, d’Amérique du Sud et du Moyen-Orient… “Il y a eu pas mal de mouvements tectoniques” sur la scène internationale, dont l’Union européenne “doit tenir compte dans ses efforts de sensibilisation du monde” au sort de l’Ukraine, résume un diplomate. Des efforts qu’il faudra d’ailleurs intensifier et bien coordonner, en vue de l’Assemblée générale de l’Onu, où la question ukrainienne sera prégnante.
À Tolède, les Vingt-sept entendent donc non seulement faire le point sur l’environnement géopolitique, mais aussi voir comment mieux y naviguer pour continuer à soutenir Kiev et, ainsi, défendre les intérêts de l’Union européenne elle-même. Le côté informel de cette réunion – dont aucune décision n’est attendue et qui se déroule à plus de 1000 km de Bruxelles, dans le pays qui assure la présidence du Conseil de l’UE – est propice pour cet exercice de réflexion, note une source européenne. “C’est une sorte de retraite politique, adaptée au brainstorming.” Autre avantage : le format (dit “Gymnich”) qui permettra jeudi un débat entre ministres de la Défense et chefs de la diplomatie sur la politique étrangère européenne.

Prendre le pouls géopolitique
Les États membres devraient donc analyser les résultats de la réunion organisée par l’Arabie saoudite à Jeddah, les 5 et 6 août, pour discuter de la paix en Ukraine. À cette occasion, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a pu défendre sa feuille de route pour la paix auprès d’une quarantaine de délégations de pays émergents et occidentaux, tous plus ou moins affectés par les graves répercussions de ce conflit. Dévoilé en novembre 2022, ce plan ukrainien en dix points exige la cessation des hostilités, le retrait des troupes russes, le respect de l’intégrité territoriale de l’Ukraine ou encore la création d’un tribunal pour juger les crimes de guerre russes. Mais il comporte aussi des exigences liées à la sécurité nucléaire, alimentaire ou énergétique, autant d’enjeux qui dépassent largement les frontières de l’Ukraine. Et qui font qu’en soi, “tous les pays du monde, à part la Russie, veulent la paix”, souligne Ricardo Borges de Castro, directeur associé au centre de réflexion European Policy Centre.
Fait notable : Moscou ne figurait pas sur la liste des invités à Jeddah. Pour le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, cette réunion aura donc été une “nouvelle étape franchie par l’Ukraine pour amener la communauté internationale à faire pression sur la Russie afin qu’elle mette fin à la guerre”. En effet, alors qu’elle pousse toutes les régions du monde à s’intéresser à ce conflit, “l’UE a intérêt à accueillir positivement tout effort pour favoriser la paix en Ukraine”, confirme Ricardo Borges de Castro.
Parler d’une seule voix à New York
Mais encore faut-il s’assurer que tout le monde – ou du moins la grande majorité de la communauté internationale – a une même vision de la paix et des moyens d’y parvenir. C’est-à-dire dans le respect des conditions de Kiev et pas à n’importe quel prix – surtout pas celui fixé par la Russie, qui impliquerait une capitulation ukrainienne ou du moins de grosses pertes de territoire.
L’idée que l’Ukraine devrait céder les régions envahies par Moscou (par exemple la Crimée annexée en 2014) au nom de la paix est particulièrement combattue par Kiev. D’autant que même en Occident certains se laissent parfois tenter par cette soi-disant “solution” – pas plus tard que mi-août, un haut fonctionnaire de l’Otan avait déclenché la polémique en avançant cette piste pour permettre à l’Ukraine de rejoindre enfin l’Alliance. “On l’a toujours dit et on le répète, il n’y a que les Ukrainiens qui peuvent décider sur cette question”, insiste à ce titre un diplomate européen.
Déterminé à rallier le soutien de la communauté internationale, le président Volodymyr Zelensky pourrait faire son apparition à l’Assemblée générale de l’Onu, qui se déroulera à New York du 19 au 26 septembre. Les Européens, eux, veulent arriver à ce rendez-vous clé avec un message uni et clair de soutien à l’Ukraine. Mais aussi avec le plus d’alliés possible, d’où le besoin de redoubler d’efforts diplomatiques. “Nous devons rappeler au plus grand nombre d’États qui est le coupable [de l’invasion de l’Ukraine]”, insiste une source européenne. “On sait que la guerre va encore durer, mais nous devons avancer sur la question du plan de paix. On doit faire en sorte que celui ukrainien soit le plus largement accepté au niveau international. Et que ce soit sur celui-là que les initiatives diplomatiques d’autres acteurs s’alignent”, poursuit un diplomate européen. Car pendant ce temps, la “Russie se cherche toujours plus d’alliés partout et en particulier dans les pays du Sud global” (concept désignant les pays émergents), alerte une autre source.
Quid des Brics ?
Faut-il donc interpréter l’élargissement des Brics comme un succès de cette stratégie russe ? Pas forcément. Si Pékin soutient du bout des lèvres Moscou, l’Inde, l’Afrique du Sud et le Brésil jouent les équilibristes. Ce constat vaut aussi pour les futurs nouveaux membres (Argentine, Égypte, Éthiopie, Iran, Émirats arabes unis et Arabie saoudite) de ce club, qui en s’élargissant, devient aussi plus hétérogène. Ce n’est après tout qu’au printemps que Téhéran et Riyad, longtemps puissances ennemies, ont entamé un rapprochement de raison.” On a encore du mal à voir la ligne stratégique des Brics, mais cela nous amène nous poser certaines questions”, avoue une source européenne.
Ce que ces pays ont en commun, c’est bien la volonté de faire contrepoids à la domination de l’Occident sur le système international. Une ambition que partagent visiblement une quarantaine d’autres États, qui ont aussi exprimé leur souhait à rejoindre les Brics. “Il y a une remise en cause progressive de notre ordre international dans lequel l’Occident avait et a une place prépondérante”, a ainsi mis en garde lundi le président français Emmanuel Macron, s’inquiétant d'” un risque d’affaiblissement de notre Europe”.
À ce titre, le coup d’État du 26 juillet au Niger, l’autre sujet majeur qui sera discuté au Gymnich, est “une nouvelle diminution de l’influence européenne dans cette région”, note M. Borges de Castro. Les messages antifrançais des putschistes, qui flirtent aussi avec Moscou, ont une résonance toute particulière depuis un pays qui était vu comme un allié au Sahel. “Cela rappelle à nouveau qu’il y a d’autres acteurs [géopolitiques] en jeu. Que nous devons prendre plus au sérieux cette compétition”, ajoute M. Borges de Castro. La Russie a su instrumentaliser cette frustration à l’égard de l’Occident pour étendre son influence, notamment en Afrique. Et elle devrait poursuivre ces efforts, avec ou sans son outil de prédilection Wagner. Pour rappel, le chef de cette milice paramilitaire, Evgueni Prigojine, est mort la semaine dernière dans des circonstances suspectes, après une rébellion ratée contre le président russe Vladimir Poutine. Pendant ce temps, la Chine cherche aussi à tout prix à peser sur l’ordre international.
De manière générale, c’est bien de ce “contexte international qui se durcit et se complique”, selon les mots de M. Macron, que l’UE doit tenir compte pour voir comment mieux se faire entendre au sujet de l’Ukraine. “On se dirige vers un monde pluripolaire”, constate M. Borges de Castro. Faire de la politique étrangère dans ce monde-là, c’est beaucoup plus difficile, car il y a plus de pièces qui bougent et plus d’intérêts à accommoder.” Aussi, plus de défis à affronter. “La guerre en Ukraine n’est pas perçue partout comme un sujet majeur, parce que certains pays ont tant d’autres problèmes (sécurité, changement climatique, etc.) à gérer, que nous n’avons pas toujours pris au sérieux avant”, poursuit M. Borges de Castro. “Or il est bien vrai que le conflit en Ukraine a des conséquences mondiales, qui s’aggraveront si l’ordre de sécurité européen est davantage déstabilisé. C’est là, le message le plus difficile à faire passer.”
Des mots, mais aussi des moyens
Le fait est que l’Union est toujours en train de trouver ses marques, comme acteur géopolitique. Mais selon M. Borges de Castro, c’est surtout en répondant davantage aux besoins énormes des pays émergents qu’elle parviendra à renforcer ses liens diplomatiques. “On parle souvent d’une bataille des récits sur la scène internationale. Mais c’est aussi une bataille d’actions. La rhétorique ne suffira pas. Il nous faut des moyens, des ressources. L’argent a un impact direct sur notre capacité à mener une politique étrangère et à exercer une influence dans le monde.”