"C’est un changement radical par rapport à son comportement habituel" : Prigojine a fait sortir Poutine de son “bunker”
Poussé dans ses retranchements par le défunt responsable de la milice Wagner, Vladimir Poutine multiplie les bains de foule.
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- Publié le 08-09-2023 à 06h30
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Le 28 juin dernier, alors que le monde entier avait les yeux rivés sur la mutinerie avortée de la milice Wagner, Vladimir Poutine est apparu à Derbent, au Daghestan, dans un déplacement improvisé. Après plusieurs jours de gestion de crise en interne, le président avait décidé de simuler un retour à la normale en allant parler tourisme avec le gouverneur de cette petite république du Caucase. Objectif : rassurer élite et population, qui l’ont vu affaibli le temps d’un week-end.
Ce jour-là, alors qu’il se dirigeait vers l’aéroport, son cortège s’est arrêté et le président s’est jeté dans la foule. Les gardes du corps ont vite réagi, et Pavel Zarubin, journaliste de la première chaîne russe qui suit ses déplacements au quotidien a sauté de sa voiture, n’en croyant pas ses yeux. Les chaînes d’État ont montré une foule en délire. Il n’y avait que des femmes d’âge mûr, son électorat, qui se jetaient sur le président pour le toucher. Puis une petite fille est apparue, son selfie avec le président a fait le tour du pays. Plus loin, une autre jeune fille a été vue en pleurs parce qu’elle ne parvenait pas à toucher le président. Vladimir Poutine a exploité la séquence jusqu’à la faire venir avec ses parents au Kremlin quelques jours plus tard.
Le “grand-père” sort “de son bunker”
Les observateurs de ce qui reste de vie politique russe sont restés pantois. Le dernier bain de foule du chef du Kremlin datait de février 2020 à Saint-Pétersbourg. Les Russes n’avaient alors pas le même enthousiasme. Le président avait dû faire face à de nombreuses critiques sur le coût de la vie. Puis le Covid est arrivé, Vladimir Poutine s’est enfermé dans deux résidences officielles, à Novo-Ogarievo, en périphérie de Moscou, et à Sotchi, où il avait fait installer une réplique de son bureau. Les rendez-vous du président sont devenus virtuels, le chef d’État est allé jusqu’à inaugurer des stations de métro moscovites à distance, avec un écran placé sur des roulettes sur le lieu de l’événement. Lorsque le Covid a disparu des radars, rien n’a changé. Surnommé, le “grand-père dans son bunker “par les Russes qui ne le soutiennent pas, le président est soupçonné de souffrir d’une paranoïa caractéristique des dictateurs. Ce surnom est d’ailleurs une référence à la mort d’Adolf Hitler en avril 1945, dans son bunker. Preuve que Vladimir Poutine craint la foule, il a instauré une quarantaine stricte durant le Covid, toujours d’actualité pour les personnes destinées à le rencontrer. Elles ont lieu dans des hôtels moscovites ou des sanatoriums en campagne.
Ce bain de foule a donc surpris les observateurs qui ont étudié de près la théorie d’un double de Poutine qui ferait les déplacements sensibles à sa place. Mais la technique, bien que déjà usée par d’autres gouvernants autoritaires, ne repose pour le moment que sur des rumeurs.
Retour aux sources
”C’est un changement radical par rapport à son comportement habituel. Cela pourrait être lié au récit élaboré par son entourage, mettant l’accent sur le soutien qu’il reçoit des élites et l’immense amour dont il jouit de la part du peuple. Par conséquent, étant donné l’affection perçue, pourquoi y aurait-il besoin de répression ?” en conclut Tatiana Stanovaya politologue russe. La spécialiste estime que cette attitude rend inutile – pour le moment – l’organisation d’une purge post-Prigojine au grand jour.
Le 23 août dernier, alors qu’Evgueni Prigojine décédait dans l’explosion de son avion, Vladimir Poutine faisait organiser un déplacement de dernière minute à Koursk. Il y a célébré avec quelques jours d’avance, une victoire de tanks datant de 1943 dont l’histoire a été réécrite pour mieux la glorifier. À l’issue de son discours, le président s’est une nouvelle fois jeté dans la foule. Ces Russes n’étaient pas des passants mais des proches de politiciens locaux invités en dernière minute à venir saluer le président. Le traumatisme créé par la menace d’un putsch, auquel le président russe ne se verrait certainement pas survivre, semble plus profond. Le chef du Kremlin semble autant avoir besoin de montrer qu’il est aimé, que de se rassurer. Dernier exemple en date, le 2 septembre dernier. Vladimir Poutine s’est rendu dans le village de Tourguinovo entre Moscou et Saint-Pétersbourg. Il y a là aussi pris un bain de foule surprise après avoir inauguré une école ultramoderne. Ce déplacement improvisé revêtait un caractère émotionnel fort, qu’aucun média russe n’a relevé. Le village adjacent, Pominovo, héberge une partie de ses proches. Ses parents y ont vécu les premières années de leur couple. En somme, Vladimir Poutine est revenu aux sources de son histoire. Un besoin né du choc créé par la mutinerie d’Evgueni Prigojine.