Poutine a sorti "sa meilleure carte" face à la contre-offensive ukrainienne : "Le CV de Mordvitchev le montre"
Le 6 septembre dernier, Vladimir Poutine promouvait trois nouveaux généraux de guerre. Parmi eux, Andreï Mordvitchev, qui a tenu récemment des propos menaçants envers l'Europe de l'Est. Portrait de ce général de guerre qui considère l'invasion de l'Ukraine comme un "tremplin expansionniste" pour la Russie.
- Publié le 12-09-2023 à 11h50
- Mis à jour le 13-09-2023 à 09h11
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C’est un homme que les Ukrainiens avaient déclaré mort qui vient d’être promu par Vladimir Poutine. Andreï Mordvitchev, 47 ans, est récemment passé du rang de Lieutenant-Général à celui de Colonel-Général. Ce Commandant du groupement militaire Tsentr ("Centre"), né au Kazakhstan, a notamment participé à la bataille pour la capture de la ville portuaire de Marioupol, au printemps 2022. Le 19 mars de la même année, l'armée ukrainienne avait annoncé, à tort, l'avoir tué dans une frappe aérienne dans la région de Chernobyvka, à Kherson. Neuf jours plus tard, il était réapparu dans une vidéo non datée postée sur les réseaux sociaux, aux côtés du dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov.

"La guerre ne va pas s'arrêter ici"
Plus récemment, Andreï Mordvitchev est apparu dans une interview diffusée fin juillet dernier par la chaîne de télévision d'Etat russe Rossiya 1, tenant des propos menaçants envers l'Europe. Dans la vidéo, partagée en masse sur le réseau social X (ancien Twitter), il affirme que l'armée russe prévoit d'étendre la guerre en Ukraine vers l'Europe de l'Est. L'officier de l'armée considère également l'invasion de l'Ukraine comme un "tremplin" pour envahir le reste de l'Europe. "Je pense qu'il reste encore beaucoup de temps à passer. Cela n'a pas de sens de parler d'une période spécifique. Si l'on parle de l'Europe de l'Est, qu'on devra attaquer, ça prendra évidemment plus de temps", a-t-il déclaré avant d'ajouter: "la guerre ne va pas s'arrêter ici."
Kris Quanten, professeur d'histoire militaire à l'Ecole Royale Militaire (ERM), ne prend pas ces menaces au sérieux. "Je n'y crois pas du tout, quand on voit déjà les problèmes que les Russes ont pour le moment. Mais ces propos prouvent bien que Mordvitchev fait partie de ces nationalistes ultra-radicaux qui utilisent ce type de langage-là. Ça me fait penser au langage qu'on entendrait sûrement avec Medvedev (Vice-président du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, NdlR) au niveau politique, par exemple, et ça se reflète aussi au niveau militaire. Je crois que sa nomination est aussi un signal pour calmer un peu cette aile radicale qui accuse très souvent le ministre de la Défense Sergueï Choïgou, ainsi que le Chef d'État-major général des forces armées russes Valeri Guerassimov de ne pas être assez radicaux."
La décision de promouvoir Andreï Mordvitchev en tant que Colonel-Général n'est donc pas anodine. Dans un rapport datant du 7 septembre dernier, l'Institut pour l'étude de la guerre (ISW) indiquait que ce choix faisait figure de récompense. "Poutine a certainement accordé ces promotions maintenant pour récompenser la loyauté et l'obéissance au haut commandement russe, plutôt que pour reconnaître une performance sur le champ de bataille ou des responsabilités particulières. Poutine a déjà publiquement félicité Mordvichev, indiquant qu'il pourrait détenir plus de faveurs du Président russe que d’autres commandants de district militaire."
Selon Kris Quanten, la nomination d'Andreï Mordvitchev repose principalement sur trois de ses qualités. En premier lieu, le professeur d'histoire militaire souligne son expérience. "Ce n'est pas par hasard qu'il a été nommé pour le dispositif Centre. Il s'agit de quelqu'un qui a beaucoup d'expérience dans le 'combined arms warfare'", soit le combat interarmes, une stratégie militaire qui consiste à combiner les différents moyens militaires d'une armée pour obtenir des effets mutuellement complémentaires. "C'est l'homme qui est le mieux placé pour repousser la contre-offensive ukrainienne basée sur l'armement de l'Occident et la doctrine 'combined arms warfare'. C'est leur meilleure carte à jouer." Pour autant, Kris Quanten assure que la promotion d'Andreï Mordvitchev en tant que Colonel-Général n'aura pas d'impact concret sur le front. "Les Russes ont tout le mal du monde à arrêter la progression adverse alors que les Ukrainiens ont choisi une autre tactique. Au départ, on les a poussés à suivre cette stratégie du 'combined arms warfare'. La fameuse critique américaine, c'est de dire qu'ils auraient dû consacrer beaucoup plus de moyens sur un front, au Sud-Est, à Zaporija et Robotyne. Les Ukrainiens ont refusé car cela allait leur coûter trop cher en vies humaines." A la place, les troupes de Zelensky ont décidé de maintenir la pression sur différents axes et de progresser petits pas par petits pas au lieu de déclencher une grande offensive. "Ils ne suivent donc pas vraiment la stratégie du 'combined arms warfare', mais les Russes ont évidemment bien vu toutes les préparations du côté ukrainien avec de l'armement de l'Occident", explique Kris Quanten. "Ils ont alors voulu mettre en place quelqu'un qui a une grande expertise dans ce domaine, et quand on regarde son CV, il sait de quoi il parle, il sait comment il faut anticiper et réagir, parce qu'il faut évidemment éviter le chaos."
La deuxième qualité de Mordvitchev est sa fiabilité pour le régime. "Il est très fidèle dans sa carrière et je crois que la fidélité paie, bien entendu, dans l'armée russe. Il a été impliqué dans l'offensive dès le départ, il a même été annoncé mort mais ce n'était pas vrai. Pourtant, son offensive initiale n'a pas été un grand succès, et c'est donc quand-même étonnant qu'il ait été récupéré."
Enfin, la troisième qualité déterminante du nouveau Colonel-Général russe est sa forte personnalité. "Il a des idées très claires, très radicales. Evidemment ça plait aux plus radicaux du régime, et c'est ça le but : contrer un peu ces critiques internes. Il laisse l'impression qu'il va apaiser les voix les plus radicales en Russie."
Le choix d'Andreï Mordvitchev en tant que nouveau Colonel-Général semble donc être, pour Kris Quanten, un choix logique du côté russe. "Maintenant, il va falloir voir s'il va être capable d'assumer cette fonction."