Dubaï, l'eldorado des influenceurs et touristes en temps de pandémie
La cité-Etat est devenue une destination touristique incontournable, notamment grâce aux influenceurs qui y trouvent anonymat et sécurité. Pour contrer les effets de la pandémie, les autorités veulent proposer aux voyageurs, moyennant un long séjour dans l’émirat, un vaccin contre le Covid.
- Publié le 21-03-2021 à 14h56
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A l’horizon, on ne distingue rien d’autre que l’étendue désertique. Propulsé à 100 km/h, notre buggy avale les dunes, déflore le sable fin et sa robe couleur pamplemousse. Le véhicule deux places tout terrain roule sur les traces de stars de téléréalité comme Nabilla et Thomas Vergara, de footeux comme Benzema, d’artistes comme Soolking… et des vacanciers venus en masse entre décembre et janvier. Qu’ont-ils tous avec Dubaï ? En cette fin février, sous le soleil ardent de la première ville des Emirats, on retrouve une sensation de liberté et de toute puissance qui s’est fait la malle depuis un an en Europe.
Au volant de notre remake de Fast and Furious, Said Menassri. Ce Français a quitté Istres (Bouches-du-Rhône) il y a deux ans pour les Emirats arabes unis. " Je suis issu d’une lignée d’habitants du Sahara, plus précisément dans le Sud algérien. C’est comme un retour aux sources pour moi. Chaque matin, je me lève pour régaler les gens qui ont perdu le sourire." Le trentenaire est le bras droit de Mourad Hattab Bey, patron de Monster Experience, une entreprise qui propose des excursions sportives dans le désert avec une flotte d’engins motorisés dernier cri (Buggy Can-Am X3 2020 ou Yamaha Raptor 700cc). A cela s’ajoutent des activités comme le karting, le paintball ou la balade en chameau.
Leur camp au milieu du désert est devenu un passage obligatoire pour les Français à Dubaï. Entre décembre et janvier, au sommet de la fréquentation touristique française, ils ont reçu 1 000 clients par jour. Dix fois plus qu’en février. A les écouter, leur petite entreprise a des vertus cathartiques. "Pour certains, on a l’impression que, s’il ne venait pas se défouler ici, ça aurait pu péter en France", dit Said Menassri. Il avertit : " Vous risquez de nous voir dans les Marseillais à Dubaï [une émission de téléréalité, diffusée sur W9 depuis le 22 février, ndlr]. On a reçu les candidats pour un tournage. Régalade assurée !"
Anonymat et sécurité
En l’espace de deux ans, la cité-Etat est devenue la mecque des personnalités de la téléréalité francophone, venues flairer le luxe et l’étaler sur les réseaux à leur audience européenne. Dubaï leur offre de solides avantages. Aucun impôt sur le revenu ou sur les sociétés (en dessous de 4 millions d’euros de chiffre d’affaires par an). Crédit immobilier sans intérêt. Un cadre idyllique pour faire les meilleurs placements de produits sur les réseaux sociaux grâce à un accès à tous les types de paysages (plage, désert, montagnes, milieu urbain, pistes de ski) dans un rayon d’une heure et demie. De quoi séduire les marques qui escomptent des influenceurs des contenus toujours plus créatifs.
Autre point non négligeable : dans la monarchie pétrolière, l’armée de personnages de la téléréalité est assurée de trouver anonymat et sécurité. Au prix de dispositifs de surveillance généralisée. Commettre des infractions (être en état d’ivresse sur la voie publique, frauder les transports, voler etc.) n’est pas une option, sous peine d’amende, de sommation de quitter le territoire ou de prison. Si la circulation est dense sur les grands axes routiers, dans les rues et les promenades aseptisées, les passants déambulent nonchalamment, avec la certitude que rien ne peut leur arriver.

Aux abords des grands centres commerciaux, ils sont subjugués par le gigantisme et le sens de la démesure de Dubaï. La ville compte au moins 150 édifices ultramodernes de plus de 150 mètres de haut. Même au coucher du soleil, jets d’eau, jeux de lumières offrent une vie nocturne animée mais pas chaotique. Un cadre jugé par certains idéal au point d’y mener une vie de famille, ou d’y songer, à l’instar des couples stars comme Jazz et Laurent, Caroline Receveur et Hugo Philip...
Dans le top 10 des villes plus sûres selon le classement Numbeo 2021 (la plus grande base de données participative sur les villes et les pays du monde), trois sont émiraties (Abou Dhabi en numéro 1, Sharjah et Dubaï respectivement 6e et 7e). Maeva Ghennam, révélée par les Marseillais en Australie en 2018, fait partie de la dernière salve d’influenceurs débarqués fin 2020. Elle est revenue dans une story Snapchat sur les raisons de son départ de la France : "Je ne me sens pas en sécurité en France parce qu’on est venu m’agresser devant chez moi [à Marseille], dans mon jardin."
Essoufflement des placements de produits
Amel Talks, youtubeuse et consultante en marketing, vit à Dubaï depuis quatre ans. Elle nous reçoit au Nook coworking, un espace de travail dédié au sport et au bien-être situé dans une grande tour qui comprend salles de réunion, baby-foot, fitness. Le building est aussi vertigineux que le quartier qui l’abrite. Accessible aux piétons grâce à ses promenades, Jumeirah Lake Towers (JLT) et ses gratte-ciel sans fin sont connus pour leurs « clusters » (groupements d’immeubles) allant des lettres A à Z, répartis autour de lacs artificiels. Amel est une spectatrice privilégiée de cette tendance migratoire issue des programmes de divertissement français. Depuis plus de deux ans, sa chaîne YouTube raconte sans fard le Dubaï des expatriés. " La plupart de mes partenariats sont en France parce que mon audience est principalement francophone", indique-t-elle. Devant le faible nombre de résidents français (25 000 personnes sur 3 millions d’habitants à Dubaï), les annonceurs ne se bousculent pas non plus pour cibler les expatriés sur place.
Au départ, la trentenaire a vu d’un bon œil l’exode des trublions de feuilletons télévisés. " Je me suis dit que ça allait mettre la lumière sur Dubaï, et que d’un point de vue business ce serait une aubaine pour moi." Mais passée l’euphorie de la nouveauté, une forme lassitude mêlée à de l’indécence commence selon elle à se faire ressentir, à force de les " voir vivre leur “meilleure vie” à Dubaï dans leurs voitures de luxe, avec leurs villas à plusieurs millions".
D’ailleurs, la principale activité de tout ce beau monde, le placement de produits, commence à s’essouffler, et leur réputation aussi. A placer des produits tous azimuts, sans se soucier de la qualité, certains ont été pris en grippe par leurs followers. " Moralité, les gens qui ont acheté ces marchandises sur leurs conseils sont déçus, parfois pas livrés, il y a eu beaucoup d’arnaques», déplore Amel, avant de poursuivre : " Dans le cadre de mon activité dans le marketing digital, je travaille avec des influenceurs très rentables dans les placements. Mais les marques ne veulent plus s’associer avec eux. Je ne leur donne pas un an avant que le modèle basé sur le placement s’effondre."
Amel, comme d’autres acteurs de son domaine, distingue tout de même des profils qui ont su tirer leur épingle du jeu, comme Nabilla Vergara ou Caroline Receveur qui sont jugées fiables et développent des partenariats sur le temps long avec des marques. Les observateurs avisés sont en revanche plus pessimistes pour l’avenir des placeurs compulsifs, français et internationaux.
Le tourisme vaccinal comme ultime remède ?
Lors des fêtes de fin d’année, Dubaï a accueilli près d’un million de visiteurs. " Le taux d’occupation a alors dépassé les 100%. Il a fallu se transformer en agence de voyages et transférer des touristes vers d’autres hôtels", se remémore Tarek Chihi, duty manager de l’hôtel Address Dubaï Marina, à cinq minutes des plages du golfe persique. Le cinq-étoiles offre une vue à couper le souffle sur le port de plaisance, une piscine à débordement au quatrième étage avec bar et un restaurant en plein air. Avant d’ouvrir ses portes en fin d’année, l’établissement sortait d’un confinement très restrictif accompagné de trois mois de fermeture. Or, la saison a été stoppée net. Au grand dam de Chihi : " Notre taux d’occupation est de 62%", ce qui est inférieur aux 70% maximum imposés par les autorités locales après à une flambée des cas de Covid en janvier (jusqu’à 4 000 contaminations par jour contre 950 lors de la première vague).
Pour limiter la casse sanitaire, bars et discothèques sont désormais fermés. Les restaurants sont priés de clore leurs portes à une heure du matin et de ne pas dépasser le taux d’occupation imposé – sept convives par tables, espacées de trois mètres entre elles, contre deux mètres auparavant. Les taxis et les VTC ne peuvent pas transporter plus de deux passagers, qui doivent s’installer à l’arrière. Fêtes privées, mariages et autres réunions familiales sont limités à dix personnes. Les centres commerciaux, les plages et autres attractions restent ouverts, de même que les musées et autres établissements culturels (opéra, cinémas etc.) Outre les restrictions gouvernementales, la chute de la fréquentation touristique s’explique par les limitations de déplacement décidées en Europe et ailleurs. La France a par exemple interdit (sauf motif impérieux) toute entrée et sortie du territoire en dehors de l’Union européenne depuis le 31 janvier.

Bulle glamour et ensoleillée
Certains contournent la nasse. Sur la base nautique où s’agglutinent touristes venus profiter du soleil pour s’offrir une randonnée en jet ski ou flyboard, un groupe de Messins nous avoue avoir traversé les frontières françaises pour prendre l’avion à Francfort pour "venir kiffer ici". Un couple de Lyonnais est, lui, passé par Genève, quand d’autres ont "bidonné" des documents pour justifier le "motif impérieux". "Pas péter les plombs en France, c’est impérieux", raille un des Lorrains. Les équipes de potes qui avaient l’habitude de se retrouver en Thaïlande optent tous pour Dubaï dont l’économie est extrêmement dépendante du tourisme. En 2020, 5,51 millions de personnes se sont rendues à Dubaï, soit 11 millions de moins qu’en 2019. La cité-Etat tente de compenser cette perte en jouant la carte de la bulle glamour et ensoleillée accessible à toutes les bourses. Les 711 hôtels se livrent à une guerre des prix pour attirer le touriste.
Autre projet dans le pipeline de l’Emirat, le développement du tourisme médical. Plusieurs acteurs du secteur confirment que, face aux retards de campagnes de vaccination en Europe et partout dans le monde, le pays se prépare à allier l’utile à l’agréable. Un package vacances-vaccins, moyennant une présence d’au moins deux semaines sur le territoire, serait sérieusement envisagé, avec possibilité de vacciner les touristes dès leur arrivée à l’aéroport. Pour ce faire, les EAU injectent à tour de bras pour atteindre l’immunité collective au plus vite. La monarchie prévoit d’avoir administré, d’ici fin mars, 5 millions de doses de vaccin à sa population de moins de 10 millions d’habitants.

Contradictions et défis
Le soleil se couche sur la promenade du lac du Burj Khalifa, le gratte-ciel le plus élevé au monde : 828 mètres – ses fontaines dansantes projettent de l’eau jusqu’à 275 mètres de haut. Un couple de touristes français, assis en terrasse d’un restaurant de grillades à volonté, se surprend à envisager une installation à Dubaï. Tout en ayant conscience de ses contradictions et des défis qui l’attendent.
Le désastre écologique, pour commencer : ce territoire au climat désertique, pauvre en eau, a émis en 2017 en moyenne 20,9 tonnes de CO2 (contre 14,6 pour un Américain et 4,6 pour un Français). L’énergie du royaume est produite à 97% en 2019 par des centrales fonctionnant au gaz naturel contre 3% pour des centrales solaires. L’Emirat, qui bénéficie de 3 500 heures de soleil par an, prévoit d’augmenter d’ici 2050 à 75 % la part de l’énergie renouvelable dans sa production électrique totale.
Autre contradiction : la cité-Etat est devenue un territoire refuge pour les LGBT persécutés du Moyen-Orient alors que les lois fédérales interdisent toute manifestation d’homosexualité et de «travestissement». Les mœurs sociétales évoluant plus vite que les lois, la prostitution y est bannie, mais des cartes de visite de personnes offrant leurs faveurs contre rétribution sexuelle circulent discrétos. Par ailleurs, à rebours de la carte postale de l’accueil à bras ouvert, critiquer le régime peut vous coûter votre emploi ou être passible d’emprisonnement. Dubaï est coincée entre les feux de la tradition et son ambition démesurée : devenir la première place touristique mondiale.
