Roquettes, émeutes, lynchages: le Proche-Orient replonge dans le cycle de la violence meurtrière
Nouvelle escalade dans le conflit entre Israéliens et Palestiniens. Les “Palestiniens de l’intérieur”, ces Arabes israéliens, laissent éclater leur malaise.
Publié le 13-05-2021 à 19h19 - Mis à jour le 14-05-2021 à 20h19
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Depuis les violences du week-end dernier autour de l’esplanade des Mosquées à Jérusalem, dans lesquelles plus de 500 Palestiniens ont été blessés, les sirènes d’alerte aux roquettes venant de Gaza en représailles continuent à retentir avec régularité dans le sud et le centre d’Israël. Le Hamas a, pendant quelques instants, gagné la guerre psychologique en forçant les Israéliens de la région de Tel-Aviv à courir vers leurs abris, et même en infligeant des pertes humaines - il y a eu six morts - et matérielles.
Mais, alors que le nombre de victimes continue d’augmenter dans le territoire assiégé, appauvri et surpeuplé, pour approcher la centaine de morts, les images de l’offensive de 2014, pendant laquelle 722 Palestiniens et 66 Israéliens avaient perdu la vie, reviennent à l’esprit. L’asymétrie militaire est telle que les groupes palestiniens ne peuvent qu’espérer échanger le calme pour certains avantages matériels ou politiques. Pour l’instant, Israël n’a pas répondu aux approches du Hamas d’aller vers un cessez-le-feu - au contraire, l’état-major israélien semble considérer le déploiement de troupes d’infanterie.
Les tensions communautaires s’enflamment
Dans les autres territoires palestiniens, la tension monte aussi, avec plusieurs attaques et incidents en Cisjordanie. À Jérusalem, les violences continuent, avec des provocations de plus en plus fréquentes de militants d’extrême droite juive contre les manifestants palestiniens.
Pourtant, c’est un phénomène en particulier qui inquiète les autorités et les médias israéliens. Tous les soirs, les Palestiniens citoyens d’Israël sortent pour montrer leur solidarité avec Jérusalem et Gaza, et les tensions communautaires s’enflamment. La colère des Palestiniens citoyens d’Israël a pu se faire sentir dans une majorité des plus grandes villes "arabes" - mais aussi dans les villes mixtes, que beaucoup d’Israéliens voient comme un fragile modèle de coexistence.
Les manifestations, à Jaffa, au sud de Tel-Aviv ; à Haïfa et Acre sur la côte de Galilée ; et à Lod et Ramle dans le centre d’Israël, ont pris la police de court. "Toucher à Al Aqsa, c’est toucher à toute l’identité palestinienne", dit Ghassan Monayer, 50 ans, qui est né et a grandi à Lod. "Moi, je suis chrétien, mais Al Aqsa, c’est aussi chez moi." C’est pendant une telle manifestation qu’un jeune homme palestinien est mort lundi soir, tué par un civil israélien qui invoque l’autodéfense. "Les jeunes ici en ont marre d’être des citoyens de seconde zone", ajoute Monayer. Suite à ses funérailles, la ville est devenue un champ de bataille, faisant réapparaître les fractures ; les groupes militants d’extrême droite juive appellent maintenant leurs membres à sortir, armés, pour "protéger" les résidences juives. Les accidents se multiplient des deux côtés. Les bandes bloquent les carrefours dans certains points chauds, demandent aux conducteurs de baisser les fenêtres - mieux vaut ne pas être juif ou arabe au mauvais endroit. C’est ainsi qu’un homme, présumé arabe, a été lynché à Bat Yam, toute proche, et qu’un Juif a été poignardé à Lod.
L’état d’urgence a été décrété à Lod, et des brigades de police de frontières ont été redéployées de Cisjordanie en Israël même. Netanyahou dit même vouloir rétablir la détention administrative, un emprisonnement sans jugement utilisé dans les territoires.
La crise Covid avait pourtant été l’aube d’une nouvelle intégration. La société israélienne s’était tout d’un coup rendu compte de la place cruciale qu’occupaient ses membres palestiniens, surtout dans le système de santé. Les ouvertures de Benyamin Netanyahou, puis de ses adversaires, aux parlementaires arabes pendant la dernière période électorale avaient aussi fait espérer les partisans de la coexistence.
Gros enjeux politiques
"Les jeunes ont reçu une meilleure éducation, sont plus prêts à s’intégrer, veulent jouer le jeu", dit Thabet Abu Rass, un Palestinien citoyen d’Israël et directeur de l’association de coexistence Abraham Initiatives. Mais l’effacement des frontières entre Israël et la Cisjordanie ces dernières années - en partie dû à l’expansion des colonies - a aussi renforcé le sentiment collectif palestinien, dit Abu Rass. "Maintenant, nous voyons nos frères souffrir, et on ne peut pas ne pas faire quelque chose."
Pour Abu Rass, "la division ne profite qu’à Netanyahou". Et tant que la guerre durera, les chances de la formation d’une coalition contre le Premier ministre s’amenuisent en gâchant les négociations entre l’opposition et les partis arabes. Le mandat accordé au centriste Yaïr Lapid pour former un gouvernement expire dans moins de trois semaines.