Nouvelle coalition en Israël : "Il y a une soif de ces partenaires-là de réussir dans leur action"
Une coalition hétéroclite met fin à douze ans de règne sans partage de Benjamin Netanyahou. Huit partis se sont unis autour du tandem Bennett-Lapid. Une telle configuration est totalement inédite en Israël.
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- Publié le 02-06-2021 à 22h56
- Mis à jour le 03-06-2021 à 21h22
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Denis Charbit est professeur de science politique à l’Open University d’Israël, à Tel Aviv. Il est l’auteur de l’ouvrage Israël et ses paradoxes (Cavalier bleu, 2018).
Quel regard portez-vous sur la nouvelle coalition, dite d’union nationale, surtout contre Netanyahou ?
Cette expression est utilisée parce qu’elle suscite toujours une sorte de sympathie auprès de l’opinion publique. Mais c’est plus compliqué que cela car le Likoud, le parti arrivé en tête aux dernières élections et de loin, n’est pas représenté, ni même les partis orthodoxes. Et si l’on entend au sens de l’union des partis juifs, il y a aussi un parti arabe. Et ça, c’est une révolution dans l’histoire politique d’Israël. C’est surtout un regroupement de toutes les forces hostiles à Netanyahou. C’est compréhensible : on a le sentiment que Netanyahou s’est vraiment maintenu au pouvoir, au moins ces cinq dernières années, en faisant une coalition à droite toute, homogène sur le plan idéologique. Auparavant, toutes ses coalitions incluaient les Travaillistes, ou Kadima de Tzipi Livni. C’est depuis 2015, précisément parce que cette victoire était inattendue, qu’il a eu l’intuition qu’il fallait pour régner diviser autant que faire se peut et employer une rhétorique très rude envers ses adversaires. À cet égard, cette coalition parce qu’elle regroupe des formations du centre, de la droite, de la gauche et même un parti arabe aura cette prétention à réussir cette alternance que Netanyahou a sciemment et délibérément balayée lorsqu’il a fait ce gouvernement avec Bleu Blanc de Benny Gantz, en ne respectant pas sa parole. D’une certaine manière, ce gouvernement est une reproduction du précédent, avec plus de partis, à ceci près qu’en dépit des dissensions idéologiques réelles et profondes, on a le sentiment que les acteurs de ces sept partis politiques vont y aller animés de bonnes intentions.
Cette multitude de petits partis qui s’unissent toutes tendances confondues, c’est du jamais vu ?
Oui. Il y a déjà eu des gouvernements d’union nationale, mais en général c’était entre le grand parti de gauche et le grand parti de droite, qui laminaient les petites formations. À deux reprises, entre 1984 et 1990, ces grands partis se sont rendu compte qu’ils n’arrivaient pas à former une coalition stable et ont décidé de s’allier. À l’époque l’écart était profond entre les Travaillistes, de Shimon Peres, et le Likoud, de Yitzhak Shamir, qui ont pris le poste de Premier ministre à tour de rôle. Mais il y avait une culture politique du respect de la parole donnée. Là, on paie le prix de la manipulation dont très souvent Netanyahou s’est fait l’orfèvre. Et même s’il n’est pas là, la méfiance existe de part et d’autre parce que c’est ce climat qu’il a instauré dans la vie politique israélienne, à côté de tous les acquis qu’on ne peut pas lui dénier. C’est aussi la première fois qu’on a une telle addition de petits partis, ainsi qu’un Premier ministre dont le parti a si peu de sièges à la Knesset : sept pour Bennett, dix-sept pour Lapid.

Cela veut-il dire que l’on pourrait avoir un meilleur équilibre entre les sensibilités présentes ? Bref, comment passer des bonnes intentions à la réalisation des ambitions ?
Deux choses vont jouer. La première est que tous les ministres, hormis deux ou trois, sont dans la cinquantaine et c’est la première fois qu’ils vont être ministres. Ils n’en rêvaient pas il y a encore neuf mois, en particulier au Parti travailliste et à Meretz, qui n’a pas été au gouvernement depuis 1999. Ils arrivent avec beaucoup d’ambitions mais la clé du succès pourrait résider en cela que chacun des ministres se concentrera sur son portefeuille, sur l’action qu’il doit mener. Aucune réforme nouvelle n’a été menée depuis trois ans. C’est énorme dans la vie politique d’un État démocratique. Pour ainsi dire, on n’a fait que payer les salaires des fonctionnaires. Je pense qu’il y a une soif de ces partenaires-là de réussir dans leur action ministérielle, comprenant bien que s’ils réussissent, ils parviendront peut-être à mettre de côté leur différend idéologique qui est énorme.
La diversité de cette coalition ne fait-elle aussi pas sa faiblesse ? Un parti de droite radicale, pro-colons et pro-annexion, y côtoie une formation arabe, sensible à la question palestinienne.
Sur ce dossier, deux choses vont faire que ça marche. D’une part les accords d’Abraham, qui ont mis au placard la question de l’annexion, et d’autre part et surtout, Joe Biden à la Maison-Blanche. Bennett, même en gardant son idéologie du Grand Israël, ne pourra pas faire grand-chose. Il pourra bien sûr assurer la continuité de la colonisation en accordant des budgets mais ce n’est pas cela qui va changer la donne diplomatique. Puisqu’il n’y a plus de deal du siècle, pas de projet d’annexion, et qu’il y a toujours le dossier iranien, je ne m’attends pas à de grands changements sur la question palestinienne. Ce ne sera pas la source de la tension. D’autant plus que de l’autre côté, c’est toujours Mahmoud Abbas. Si on n’a pas cessé de dire qu’un changement en Israël ne sera possible que quand Netanyahou sera dehors, un changement ne sera possible également que quand Mahmoud Abbas sera parti, puisqu’il n’a plus la légitimité populaire pour prendre quelque décision douloureuse que ce soit. Il y aura peut-être un peu plus d’humanitaire et les Américains vont demander qu’il y ait un peu moins de check-points… Ce n’est pas cela qui ferait tomber le gouvernement.