L’instabilité afghane inquiète le Kremlin
Le pouvoir craint que des terroristes profitent du conflit pour se rapprocher de la Russie.
Publié le 09-07-2021 à 19h28 - Mis à jour le 09-07-2021 à 20h24
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Tadjikistan, Ouzbékistan et Turkménistan, ces trois pays de l’ex-URSS sont hautement concernés, en voisins, par les dernières conquêtes des talibans en Afghanistan. Ils observent, impuissants, ce groupe considéré comme terroriste par la Russie prendre le contrôle de régions frontalières. Les talibans auraient déjà pris le contrôle de plus de la moitié de l’Afghanistan. Le Turkménistan partage à lui seul 800 km de frontières vides et découvertes avec son voisin afghan. Le Tadjikistan et l’Ouzbékistan doivent d’ores et déjà gérer plus de 900 km de frontière sous contrôle des talibans. Les zones qui n’ont pas encore été prises permettent aux militaires et civils de fuir leur pays. Chose d’autant plus simple que, dans un souci de "neutralité", le Tadjikistan a laissé entrer plus d’un millier de soldats afghans qui fuyaient les combattants talibans en début de semaine.
Une situation qui met ces trois pays d’Asie centrale au cœur des préoccupations de la Russie. Car les experts militaires abondent dans la presse russe : et si des groupes terroristes profitaient de la confusion pour entrer dans ces pays et rejoindre la Russie ? Ces trois petites nations n’ont pas de frontière commune avec la Russie mais elles jouissent d’échanges dynamiques, notamment de travailleurs, avec leur lointain voisin. Les travailleurs tadjiks permettent à Moscou de réaliser ses plus grands chantiers, ils assurent aussi la propreté de la capitale russe… En envoyant leur argent au pays, ces travailleurs migrants assurent entre 27 à 37 % du PIB du Tadjikistan selon les années. Mais, harcelés et mis en difficulté par les services de l’immigration russe, ils se sont aussi parfois montrés perméables à la propagande djihadiste ces dernières années.
En Ouzbékistan, les services de renseignement tentent d’identifier d’anciens djihadistes qui ont combattu dans des structures terroristes telles que le Mouvement islamique d’Ouzbékistan, l’EI ou Al Qaïda parmi les récents réfugiés. De ces centaines de soldats afghans qui ont traversé la frontière ouzbèke cette semaine, 53 hommes ont été renvoyés au pays après avoir été contrôlés par les services. La Russie craint que de nouvelles cellules puissent naître dans ce pays. Le Tadjikistan a quant à lui annoncé déployer 20 000 réservistes dans le sud de son territoire.
Action militaire
Il n’existe pas d’Union régionale qui réunisse tous ces pays, de quoi contraindre la Russie à agir au cas par cas. Des instructeurs russes de l’armée régulière ont été envoyés en Ouzbékistan cette semaine pour former des soldats ouzbèkes à la conduite des véhicules de transport de troupes et à l’usage des lance-grenades. Mais le pays qui inquiète le plus le Kremlin, c’est bien le Tadjikistan, qui pourrait vite être débordé par la situation. La Russie ne peut pas prendre ce risque, elle y a installé sa plus grande base située à l’étranger : pas moins de 5 000 hommes et une escadrille d’hélicoptères de combat auxquels il faut ajouter une station d’observation des forces spatiales.
Ces hommes et ces hélicoptères sont engagés depuis plusieurs jours dans des exercices conjoints avec les forces tadjikes, durant lesquels sont notamment effectuées des simulations de neutralisation de convois terroristes.
Le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a répété jeudi qu’il était prêt à engager l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), qui réunit Russie, Biélorussie, Arménie, Kazakhstan, Kirghizistan et Tadjikistan si ce dernier en faisait la demande. Demande formulée dès jeudi midi par le président tadjik, Emomali Rakhmon, deux jours après avoir eu Vladimir Poutine en entretien téléphonique.
Diplomatie
Au-delà du risque terroriste et d’une situation instable, la Russie rappelle quand même que les talibans n’ont jusqu’ici jamais démontré la moindre volonté expansionniste en dehors de l’Afghanistan. Mercredi, le ministère des Affaires étrangères russe a proposé aux parties du conflit de reprendre les négociations. Cela fait plusieurs mois que la Russie tente de faire s’asseoir à une seule et même table hauts responsables talibans et diplomates afghans sans jamais y parvenir. Ces réunions régulièrement organisées à Moscou ont longtemps eu pour objectif de pousser les politiciens afghans à accepter la création d’un gouvernement temporaire dans lequel auraient siégé des responsables talibans. Mais les soldats américains ont quitté leurs bases avant même que les diplomates russes aient pu parvenir à leurs fins. Désormais, l’ambition de Sergueï Lavrov est simple mais de moins en moins concevable : parvenir à ramener les deux camps aux négociations.