Hassan Rohani cède la présidence de l'Iran sur fond d'illusions perdues
Hassan Rohani cède la présidence ce mardi à Ebrahim Raïssi, sur fond de recentrage idéologique du régime. La libéralisation de l’économie qu’il a tentée s’est avérée impraticable. La faute à Trump et aux cercles ultraconservateurs. Ses deux mandats furent aussi ceux des grandes révoltes populaires. Bilan.
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Publié le 02-08-2021 à 18h43 - Mis à jour le 11-08-2021 à 17h43
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Hassan Rohani restera dans l’histoire comme le président à qui l’on doit la plus belle promesse d’ouverture économique de l’Iran, qui s’était enfermé dans un statut d’État paria depuis sa Révolution islamique en 1979. En annonçant la conclusion d’un accord sur son programme nucléaire avec les grandes puissances mondiales le 14 juillet 2015, deux ans après son élection, Hassan Rohani et son ministre Mohammad Javad Zarif pensent qu’ils sont en mesure de mettre fin à l’un des contentieux diplomatiques majeurs de ce début de troisième millénaire. Les termes du "plan d’action global commun" (JCPOA, selon le sigle anglais) sont prometteurs. La République islamique accepte de geler de larges pans de son programme atomique pendant au moins une décennie, gage de sa bonne foi quant à sa volonté de ne pas développer de volet militaire. En contrepartie, les restrictions internationales à son encontre sont levées et les portes de l’économie mondiale lui sont rouvertes. Une opportunité pour l’Iran de relancer une économie nationale largement aux mains d’acteurs étatiques (ou assimilés) et plombée par des décisions erratiques autant que par des sanctions internationales liées au contentieux nucléaire.
Cet événement historique vaut à Hassan Rohani, qui cède la présidence ce 3 août à l’ultraconservateur Ebrahim Raïssi, un crédit - presque - sans réserve sur la scène internationale. En Iran, il se montre digne de la confiance qu’il avait inspirée à une population en large majorité jeune, urbaine, cultivée et avide de libertés, mal à l’aise dans une société corsetée par la charia et repliée sur une "économie de résistance". La manière dont il est élu le 14 juin 2013, dès le premier tour de la présidentielle et avec près de 51 % des suffrages, avait traduit l’espoir de cette population d’enfin voir l’Iran s’ouvrir au monde.
Ce clerc, alors âgé de 64 ans, se présente comme un conservateur modéré et est discrètement proche du courant réformiste. Dans le contexte de l’époque, marqué par l’adversité et le poids des sanctions dont l’Iran fait l’objet ainsi que par le ras-le-bol d’une jeunesse désireuse de lendemains plus sereins, cette image joue nettement en sa faveur. Huit ans après sa première élection, malgré ses bons contacts avec le guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei (qui reste le plus haut dirigeant du pays), il n’est pas parvenu à ses fins. L’échec de la levée promise de l’assignation à résidence des dirigeants réformateurs Mehdi Karoubi et Mirhossein Moussavi, objectif pourtant raisonnable, constituera l’une des déceptions de sa présidence.
La libéralisation n’aura jamais lieu
Hassan Rohani restera aussi dans les annales comme le président de la pire désillusion à la suite de l’ouverture avortée de son pays. L’élection à la présidence des États-Unis, ennemi juré de l’Iran, du Républicain Donald Trump va complètement saper le projet de Rohani visant à dynamiser le secteur privé en attirant les investissements étrangers dans son pays. Désireux de se démarquer de son populaire prédécesseur, le Démocrate Barack Obama, et tenant l’Iran comme responsable de tous les maux au Moyen-Orient, M. Trump va enclencher une politique de pression maximale à l’égard de Téhéran. Dès mai 2018, près de trois ans après l’annonce du JCPOA, il en retire les États-Unis et rétablit le régime des restrictions économiques et financières contre l’Iran, tout en le durcissant. La libéralisation tant attendue de l’économie iranienne n’aura jamais lieu.
Toutefois, si l'action de Hassan Rohani a été neutralisée de l'extérieur par la politique de Donald Trump, elle a également été court-circuitée de l'intérieur par les cercles ultrconservateurs. "Le principal échec de Rohani est lié à l'échec de la propre stratégie du guide dont Rohani était l'instrument", souligne Clément Therme, chercheur à l'Institut universitaire européen de Florence.
Au départ, la stratégie du guide suprême pour renforcer son régime consistait à élargir la base du système de la République islamique en utilisant les modérés de Rohani pour améliorer la situation économique du pays et donc les conditions de vie de la population. Mais les ultraconservateurs ont fini par lui mettre des bâtons dans les roues lorsqu’il s’est avéré que cela supposait des réformes trop périlleuses pour le système et que ceux-ci avaient eux-mêmes trop à y perdre.
"Ainsi, toutes les lois que Rohani a proposées pour normaliser le système bancaire iranien en l'alignant sur les normes internationales du Gafi (Groupe d'action financière, pour la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, NdlR) ont été bloquées", précise le chercheur, parce que "cela menaçait les réseaux rentiers liés aux appareils sécuritaires de l'État profond". Longtemps au cœur de cet appareil sécuritaire, Hassan Rohani porte une responsabilité non négligeable car "il n'est pas vraiment entré en confrontation avec le système". Et cette absence de jusqu'au-boutisme a déçu une bonne partie de son électorat qui attendait plus de résistance de sa part face aux radicaux.
Un échec et une clarification
"Cet échec est aussi une clarification : le changement ne viendra pas de l'intérieur du système", estime Clément Therme. L'échec de la tentative d'élargissement de la base du système a poussé le guide à mettre en œuvre la stratégie opposée, à savoir la contraction du système. Sa nouvelle stratégie a consisté à opérer "un important mouvement de recentrage idéologique à même de consolider son modèle et ses structures, abonde le sociologue Majid Golpour, chercheur associé à l'ULB. "L'essentiel était de sauver le système en revigorant son idéologie tout en resserrant le cadre sécuritaire. Ce qui induit que l'adhésion au système se fait désormais plus par la contrainte que sur base volontaire", ajoute M. Therme.
"Le rétrécissement est un choix du régime pour avoir moins de concurrence en interne. Pour preuve, les modérés ont été évacués de l'élection présidentielle de cette année", dit-il. Avec une facilité d'autant plus grande que les ultraconservateurs ont rendu les modérés responsables de la gravité de la situation économique, à laquelle s'ajoute celle de la pandémie de Covid-19. L'arrivée à la présidence ce mardi de l'ultraconservateur Ebrahim Raïssi traduit bien ce recentrage sur le noyau dur de la République islamique.
Affaiblissement de la classe moyenne
Après la libéralisation ratée de l’économie, qui devait permettre d’améliorer le niveau de vie des Iraniens, Hassan Rohani a fait face à un accroissement de la grogne sociale qui s’est traduite par davantage de manifestations, de grèves, de mouvements de contestation qui prendront pour cible son gouvernement, mais aussi le régime de la République islamique et son chef suprême, l’ayatollah Ali Khamenei. Les deux mandats de Rohani seront aussi ceux de la réduction du pouvoir d’achat, de l’affaiblissement de la classe moyenne et des révoltes populaires.
Le mois dernier, des troubles ont éclaté à la suite d’importantes pénuries d’eau affectant la province désertique du Khouzistan, dans le sud-ouest du pays. Ceux-ci rappellent le mouvement populaire qui s’est étendu sur une dizaine de jours entre fin 2018 et début 2019, où des dizaines de milliers d’Iraniens avaient dénoncé le coût élevé de la vie partout dans le pays. Quant au large mouvement de contestation de l’automne 2019 consécutif à l’augmentation des prix à la pompe des carburants (dû au rabotage des subventions accordées de longue date), il avait induit une répression sanglante, faisant des centaines de morts. Un épisode qui traduit le lien désormais inexorable entre paix sociale et répression dure.