L’hostilité contre les réfugiés syriens, et maintenant afghans, grandit en Turquie
Alors que l’Afghanistan vacille, la population turque craint d’avoir à gérer une nouvelle vague de réfugiés.
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Publié le 15-08-2021 à 18h34 - Mis à jour le 16-08-2021 à 06h37
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#NeprenezpaslesAfghans, ou encore #JeNeVeuxPlusdeRefugiésDansMonPays… Ce sont les hashtags très virulents qui ont battu des records sur les réseaux sociaux ces derniers jours en Turquie et certaines stars du show-biz n’ont pas hésité à alimenter la polémique.
Les images de migrants à la frontière avec l’Iran se multiplient dans les médias ces derniers jours avec l’arrivée des talibans à Kaboul, alimentant l’inquiétude au sein de l’opinion publique turque. Les entrées de migrants afghans dans le pays sont estimées entre 500 et 1 000 par jour sans qu’il soit possible d’en faire une compatibilité exacte.
"Il y a en effet une augmentation du nombre d'arrivées, tout le monde est d'accord sur ce point-là, mais contrairement aux craintes, il n'y a pas de flux massif, on ne peut pas parler de milliers de personnes qui traversent", tempère Metin Çorabatır, président du centre d'étude sur l'asile et la migration, fraîchement revenu d'un voyage sur place.
Un quasi-pogrom à Ankara
Située sur la route de l’Europe, la Turquie craint pourtant d’avoir à gérer une nouvelle vague de réfugiés sur son sol et c’est dans la ville d’Ankara que les hostilités ont éclaté au grand jour.
Dans la nuit de mercredi à jeudi, la capitale turque a été le théâtre d’expéditions punitives anti-migrants. Les attaques ciblées sont survenues en représailles à la mort d’un jeune Turc agressé par un jeune homme d’origine étrangère, présenté comme Syrien par une partie de la presse turque.
Des scènes glaçantes, qui ne sont pas sans rappeler des épisodes de pogroms qui ont entaché l’histoire du pays… La police est critiquée pour son manque de réactivité et la majorité de la classe politique est restée très discrète. Une partie des réfugiés syriens a été évacuée du quartier, tandis que d’autres restent terrés chez eux, dans la peur d’une nouvelle vague de violence.
"Dire adieu à nos frères syriens"
Plus la situation économique se dégrade et plus l'hostilité envers les réfugiés s'exprime dans les déclarations politiques. "Nous devons dire adieu à nos frères syriens et les renvoyer dans leur pays", avait ainsi déclaré dans un programme télévisé en juillet dernier le leader du parti d'opposition du CHP (Parti républicain du peuple), souvent comparé à la sociale-démocratie européenne.
Le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan essuie de nombreuses critiques pour sa politique migratoire jusque dans son propre camp. La perte des grandes municipalités - à l’instar d’Istanbul et Ankara - lors des élections de 2019 a notamment été attribuée à un vote sanction de la part d’une partie de son électorat traditionnel.
Embarrassé sur le dossier, le gouvernement évite de s'exprimer sur la question ces dernières semaines. Une posture que critique Didem Danıs, chercheuse et présidente de l'Association pour la recherche sur la migration, dans un entretien paru le samedi 14 août sur le site d'information en ligne Gazete Duvar : "le gouvernement doit mettre en place une politique migratoire claire et transparente le plus tôt possible et l'expliquer à l'opinion publique. Plus aucun Syrien ou autre réfugié ne pourra se sentir en sécurité dans le pays", regrette-t-elle.
Avec 4 millions de personnes réfugiées sur son sol, la Turquie est le pays du monde qui accueille le plus de demandeurs d’asile. Le nombre de ressortissants afghans recensés officiellement s’élève à 130 000 personnes d’après le Haut-Commissariat aux Réfugiés, chiffre qui est amené à augmenter dans les prochaines semaines.
"Jusqu'à aujourd'hui, la Turquie était un pays de transit pour les migrants qui souhaitaient rejoindre l'Europe […] Mais aujourd'hui, les migrants viennent directement en Turquie pour y travailler pour un temps ou bien pour s'installer", explique-t-elle.
Un mur en construction
Démunie et isolée face à une potentielle nouvelle vague, Ankara a choisi de faire construire un mur à sa frontière orientale. Haut de 3 mètres, il devrait s'étendre sur 295 kilomètres à la fin de sa construction, mais les spécialistes de la migration doutent de son efficacité à empêcher l'arrivée de nouveaux réfugiés en détresse. "C'est avec les Nations unies, de manière concertée, que les mesures doivent être prises", conclut Metin Çorabatır, "la Turquie doit pouvoir bénéficier de l'expérience de l'ONU sur la question. Il faut éviter de répéter les erreurs qui ont été faites au début de la guerre en Syrie."