Un an après, les "accords d’Abraham" entre les Emirats et Israël tiennent toujours
Sans résolution du conflit palestinien, les accords risquent de rester fondamentalement financiers. Éclairage.
Publié le 15-09-2021 à 07h21
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/2VTO7RNPAZBFJD27RMYAMAP6VA.jpg)
Cela fait un an jour pour jour que les représentants des Émirats arabes unis, de Bahreïn et d'Israël se sont retrouvés sur la pelouse de la Maison-Blanche à Washington pour signer les très médiatisés "accords d'Abraham". Entre-temps, la pandémie s'est aggravée et les deux gouvernements ont radicalement changé, mais les accords ont tenu. "Ceci est une étape importante pour un futur de paix, sécurité et prospérité pour tous, a dit le premier ambassadeur de Bahreïn en Israël en présentant son accréditation au président Isaac Herzog, ce mardi. Je suis sûr que les accords d'Abraham ouvriront un chemin et inspireront toutes les nations à établir un monde meilleur, plus prospère et plus sûr."
En Israël, on jubile encore dans les couloirs du ministère des Affaires étrangères. Le porte-parole Lior Haïat s'est même payé un marathon d'entretiens avec la presse internationale diffusé en direct sur sa page Facebook pour l'occasion. "Notre plus grand succès, c'est d'avoir changé le Moyen-Orient", a dit Haiat sur France 24.
Les retombées économiques des accords sont indéniables, si on en croit les statistiques officielles israéliennes. Le commerce avec les Émirats a été multiplié par dix. "Cette année a été incroyable", dit Asher Fredman. Ancien bras droit de l'ambassadeur israélien à Washington, Gilad Erdan, lorsqu'il était ministre des Affaires stratégiques (un portefeuille aujourd'hui fermé, dont le but premier était de lutter contre la campagne de boycott), le jeune Israélien d'origine américaine fait partie de ceux qui ont embrassé la nouvelle amitié israélo-arabe. Il dirige aujourd'hui Gulf-Israel Green Ventures, un cabinet de conseil qui cherche à développer les liens entre les deux pays dans l'économie durable et la "greentech".
Secteur d’avenir
C'est un secteur d'avenir. Après de longues années passées la tête dans le sable, la région s'empare enfin du dérèglement climatique. "C'est insensé que le Liban manque d'eau potable, alors qu'à moins de deux heures de route de Beyrouth, il y a un des leaders mondiaux du traitement des eaux." Pour lui, cette année a surtout été riche de connexions. "C'est une paix de personne à personne, une paix entre les peuples, pas entre les États", dit-il, faisant écho à la ligne du gouvernement.
Pourtant les accords restent fondamentalement financiers. Si près de 200 000 Israéliens ont visité les Émirats depuis la normalisation, ce n’est pas la même chose dans l’autre sens. La fermeture étanche de l’État hébreu pour cause de pandémie n’aide pas. Et d’autres éléments viennent entacher le bilan. Les relations avec le Soudan, qui a officiellement rejoint les accords en janvier, restent au point mort. Et surtout, on n’a pas vu d’autres candidats à la normalisation depuis la fin de l’ère Trump, pas même l’Arabie saoudite, qui avait pourtant officieusement entériné les accords.
"Riyad attend d'avoir mieux que ce qu'ont eu les Émirats", dit Amos Yadlin, un haut gradé israélien et ancien directeur du prestigieux Institute of National Security Studies. Les accords présupposaient la vente par les États-Unis d'armes sophistiquées à Abou Dhabi, comme le jet F-35. Cela ne risque pas d'être une priorité pour l'administration Biden, mais pour l'analyste, ce désengagement n'est pas forcément une mauvaise chose. "Washington devrait transférer Israël de Eucom à Centcom, et faire de ce dernier l'Otan du Moyen-Orient" pour contrer l'influence iranienne.
Une paix entre palais
Si les Israéliens se sentent bien accueillis dans le Golfe, ce n’est pas forcément le cas dans d’autres pays officiellement amis. La visite de Naftali Bennett à Charm el-Cheikh lundi a été tenue secrète jusqu’au dernier moment. Celle du président israélien au roi de Jordanie Abdoullah II fin août n’a été révélée qu’une semaine après. La stratégie actuelle du gouvernement de Bennett et Lapid est de réduire le conflit, échanger le calme contre une occupation plus légère en Cisjordanie, une stratégie qui semble parfaitement en accord avec l’esprit des accords d’Abraham.
Le gouvernement de Mahmoud Abbas semble se prendre au jeu, s’ouvrant même à de nouvelles négociations de paix par l’intermédiaire de l’Égypte et de la Jordanie. En attendant, dans la rue palestinienne, on revendique l’unité et on désavoue l’Autorité palestinienne. Il semble qu’Israël ne puisse espérer qu’une paix entre palais.